
Choisir ses morts
L’engorgement des services de réanimation, qui force les responsables de santé à décider à qui allouer leurs ressources limitées, a doublé la crise sanitaire d’une crise morale. N’est-ce pas dans ce genre de situation que l’on est en droit d’attendre une réponse ferme des dirigeants politiques ?
Un tramway sans freins est sur le point d’écraser cinq ouvriers qui occupent la voie principale. Le conducteur a encore la possibilité de dévier sa course folle vers une voie secondaire qui, s’il la choisit, ne tuera qu’un seul homme. Formulé en 1967 par Philippa Foot, le dilemme est devenu fameux. Érigé en cas d’école, il fut retourné dans tous les sens. En vain. On finit par conclure que la morale ne pouvait trancher. Certains pourtant résistaient. Ils recommandaient qu’on sacrifiât toujours le petit nombre au profit du grand nombre. Ceux-là devaient avoir l’esprit comptable. Judith Jarvis Thomson voulut leur clouer le bec et proposa une variante, elle aussi restée célèbre : cette fois-ci, vous observez le tramway du haut d’un pont. Près de vous, un homme très obèse est penché pour le regarder passer. Il suffirait de le pousser du coude pour qu’il tombe et obstrue la voie, et sauve ainsi la vie des cinq ouvriers qui y travaillent. À tous ceux qu’on interroge, le refus est unanime. Là, le geste est insupportable. Pourtant, c’est très exactement le même dilemme que celui du tramway. Mais présenté sous cette forme, il rend le choix inadmissible.
Il faut croire qu’on s’amuse bien dans les universités où il est proposé aux étudiants de réfléchir sur de telles expériences de pensée. Pas de doute que la variante de l’homme obèse figure parmi les plus drôles. Celle que le professeur se réserve comme un plaisir de fin de repas. Le plus curieux est la façon dont ces exemple