Ces jeunes matheux français qui ont choisi la City
L’enseignement supérieur français forme encore à l’excellence dans des domaines précis. Mais les jeunes diplômés très recherchés qui sortent de nos meilleures formations ne trouvent pas toujours de poste de chercheur en France ni de débouchés dans un emploi attractif. Londres, au contraire, a su tirer parti d’une filière particulière de matheux formés à Paris dans un secteur économique stratégique. Qui sont ces jeunes gens qui ne voient pas leur avenir en France ?
En 2007, 300 000 Français environ travaillent en Grande-Bretagne, dont 200 000 à Londres. La très bonne situation du marché du travail à Londres et dans le sud de l’Angleterre explique largement ces flux migratoires1. Du jeune sans qualification particulière employé dans le commerce ou la restauration au banquier de la City résidant dans le quartier chic de South Kensington, Londres est devenue une grande ville … française. Des articles de presse et des émissions de télévision ont été régulièrement consacrés à ce phénomène migratoire. En revanche, aucune étude systématique de sociologie ni d’anthropologie sociale n’a été pour l’instant consacrée aux Français de Grande-Bretagne, pourtant magnifique terrain d’enquête pour un chercheur2.
Dans la diversité de la communauté française expatriée, les diplômés des grandes écoles d’ingénieurs, souvent dotés d’un solide bagage en mathématiques, constituent un vivier particulièrement prisé dans les métiers de la finance de marché à Londres. Analystes quantitatifs, vendeurs, traders : autant de dénominations qui recouvrent la variété des métiers dans les salles de marché de la City où les Français ont acquis une position privilégiée.
Ce sont les itinéraires, les motivations, et les perspectives professionnelles de ces ingénieurs que nous avons cherché à comprendre à partir d’une enquête. Pour ce faire, nous avons rencontré et interrogé pendant le mois d’octobre 2007 plusieurs jeunes ingénieurs français, ou formés en France, issus des promotions récentes, travaillant à la City. Tous sont diplômés d’une grande école française d’ingénieurs de rang A et titulaires du master (ex-Dea) en « Probabilités et finance », créé par l’université de Paris VI en partenariat avec l’École polytechnique, en vue de préparer spécialement aux métiers de la finance de marché. Pourquoi les analystes quantitatifs français (que l’on appelle communément les quants) sont-ils si recherchés sur la place financière de Londres ? Leur expatriation équivaut-elle à une fuite des cerveaux, comme on le lit parfois ? Que révèle-t-elle plus généralement sur les pratiques des jeunes diplômés français issus des meilleures écoles ?
Mathématiques et finance : une spécialité française
Pour comprendre la réussite des ingénieurs français dans les métiers de la finance de marché, il faut commencer par revenir sur une caractéristique du système d’enseignement secondaire français : les mathématiques servent encore très largement à y sélectionner les bons élèves. Être doué en mathématiques constitue en France la voie royale pour accéder aux études supérieures, y compris d’ailleurs à celles préparant à des métiers qui n’auront que peu, voire rien, à voir avec cette matière. L’exemple des études de médecine est à cet égard éloquent. Alors que la plupart des médecins n’auront jamais à se servir des mathématiques dans leur vie professionnelle, cette matière sert en France à « écrémer » les amphithéâtres à la fin de la première année. L’usage sélectif des mathématiques est dans ce cas critiquable, car il ferme les études à un certain nombre d’étudiants qui pourraient faire d’excellents médecins, à condition qu’ils aient des bases scientifiques en sciences et vie de la terre, en chimie ou encore en informatique.
Pour ce qui est des grandes écoles d’ingénieurs, la filière S (ex-C), suivie par les classes préparatoires de mathématiques supérieures et de mathématiques spéciales, continuent de constituer les voies d’accès aux concours. À l’issue d’un cursus bac + 5 ou bac + 6, le diplôme d’une école d’ingénieurs permet à ces « forts en maths » d’entrer sur le marché du travail, dans l’industrie mais aussi dans les métiers de services. À la différence de nombreux pays européens et des États-Unis, point besoin en France de faire une thèse de doctorat pour accéder à un poste nécessitant des compétences scientifiques de haut niveau dans l’entreprise. L’exercice de la thèse reste plutôt réservé aux étudiants qui voudront devenir chercheurs ou enseignants-chercheurs à l’université. À l’issue d’un cursus bac + 8, ceux-ci devront accepter un salaire de départ de 2 000 euros mensuels, soit comme chargé de recherche au Cnrs, soit comme maître de conférences dans une université.
Les diplômés des grandes écoles d’ingénieurs françaises délaissent depuis une dizaine d’années l’industrie pour se tourner vers les métiers de la finance. Comme le note Gilles Pagès, professeur de mathématiques à l’université Paris VI et coresponsable du master Probabilités et finance :
Puisque le secteur de la production a sans doute moins d’avenir, sous nos climats, que celui des services, la financiarisation globale des sociétés occidentales conduit inexorablement au développement de la finance de marché (retraite, épargne, régulation des risques écologiques, énergie, etc.3).
C’est la raison pour laquelle les options de spécialisation « finance » se sont développées dans les cursus offerts aux futurs ingénieurs des grandes écoles, comme Polytechnique ou l’École nationale supérieure d’informatique et des mathématiques appliquées de Grenoble (Ensimag). Plus encore, les masters de mathématiques appliquées à la finance fleurissent, parfois d’ailleurs sous la forme d’un partenariat entre les universités et les écoles d’ingénieurs. À titre d’exemple, on peut citer le master Mathématiques et applications, option finance, créé par l’université de Marne-la-Vallée et l’École nationale des ponts et chaussées, ou encore le master Probabilités et finance, création conjointe de l’université de Paris VI et de l’École polytechnique. Au total, le site internet spécialisé maths-fi.com recense en 2007 pas moins d’une douzaine de masters « finance de marché » en France4. « L’épine dorsale de la formation est constituée du calcul stochastique5 », une discipline dans laquelle les mathématiciens français ont développé assez tôt une excellente compétence appliquée aux produits financiers. Nicole El Karaoui, professeur de mathématiques à l’École polytechnique et à l’université de Paris VI, fut ainsi en France une des pionnières de la modélisation des produits dérivés d’actions ou d’obligations grâce au calcul différentiel stochastique. Scientifique reconnue internationalement, elle est aujourd’hui une des coresponsables du master Probabilités et finance Paris VI-Polytechnique avec Gilles Pagès et Marc Yor6.
De sa création en 1991 à 2006, le master de Paris VI-Polytechnique a produit 591 diplômés, français et étrangers, pour la majeure partie déjà issus d’une école d’ingénieurs mais pouvant venir aussi de la seule formation universitaire. Il s’agit d’une formation courte qui attire surtout le sexe masculin, reproduisant ainsi le déséquilibre entre hommes et femmes qui caractérise les écoles d’ingénieurs. Parmi les motivations qui poussent les jeunes ingénieurs des meilleures écoles vers ce master, il y a la garantie d’un emploi permettant d’appliquer son savoir fondamental en mathématiques au domaine porteur de la finance, tout en étant assuré d’une rémunération confortable. Un diplômé de l’École nationale des ponts et chaussées explique ainsi avoir connu une première expérience dans l’industrie automobile en France qui l’a beaucoup déçu. Sa décision de faire le master de Jussieu à l’issue de cette expérience, puis de devenir quant dans une banque de marché, ne l’a jamais amené à regretter le monde de l’industrie automobile, appliquant encore « le cycle de production en V » alors que l’on apprend dans les écoles d’ingénieurs que celui-ci est à bien des égards dépassé. Aucun ingénieur ayant choisi le métier de quant, que nous avons interrogé, regrette son choix par rapport à une carrière dans l’industrie ou la recherche universitaire. Originaire d’un pays du Maghreb, un polytechnicien déplore qu’en Europe, les métiers de la recherche ne soient pas suffisamment reconnus dans l’industrie comme à l’université. Pour lui, il n’était donc pas question de s’engager dans une voie qui n’assure pas assez de reconnaissance professionnelle et salariale. Un ingénieur de Centrale dit avoir hésité à faire un doctorat en mathématiques appliquées, mais qu’il en a été dissuadé par certains de ses professeurs et par sa mère, chercheuse en biologie, qui a consacré toute sa vie à l’université pour une rémunération à ses yeux trop modeste.
Le placement garanti pour chaque promotion à l’issue du master n’est pas un mythe. Les voies de recrutement sont multiples : annonces des établissements financiers sur le site internet spécialisé maths-fi.com, contacts des chasseurs de tête ou simplement utilisation des réseaux de cooptation. Le fait que de nombreux quants chefs d’équipe, en poste à Paris ou à Londres, soient issus du master, les amène à s’adresser directement aux nouveaux diplômés et à favoriser leur embauche. Mais les réseaux sont parfois aussi personnels. Un polytechnicien dit avoir sollicité ses amis travaillant comme quants à Londres depuis plusieurs années, afin qu’ils déposent son CV dans plusieurs établissements de la City qui, ensuite, l’ont simplement appelé.
Pourquoi Londres en particulier?
Sur les 591 diplômés du master Probabilités et finance de Paris VI-Polytechnique, 129 (soit 22 %) travaillent en 2007 dans des établissements financiers situés à Londres7. En recensant le nombre de diplômés de ce master ayant par ailleurs accompli une école d’ingénieurs, l’ordre de représentation des écoles est le suivant : 1. École polytechnique ; 2. École nationale des ponts et chaussées ; 3. École nationale de la statistique et de l’administration économique ; 4. École nationale supérieure des télécommunications ; 5. Supelec ; 6. (à égalité) École nationale supérieure des techniques avancées et École des mines ; 7. École centrale ; 8. École nationale supérieure d’information et de mathématiques appliquées de Grenoble8.
Le phénomène des jeunes ingénieurs français ou francophones travaillant dans les banques de marché établi à Londres n’est donc pas marginal, notamment pour le métier de quant spécialisé dans les titres financiers sophistiqués comme les produits dérivés d’actions ou d’obligations. En mars 2006, deux journalistes du Wall Street Journal s’interrogeaient même sur les raisons de cette situation originale9. Les réponses à cette question sont, comme toujours, de plusieurs ordres. Elles tiennent d’abord aux conditions générales exceptionnelles dans le secteur des services qu’offre le marché du travail londonien aux jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. Depuis 1997, la « nouvelle économie » a permis de créer 2, 1 millions d’emplois en Grande-Bretagne, dont 1, 1 million (soit 52 %) ont été pourvus par des non-Britanniques10. Londres est devenue notamment la capitale de la finance mondiale et c’est à la City que se retrouvent les jeunes diplômés du monde entier intéressés par les métiers de la banque, et plus particulièrement encore de la banque de marché. Comme le dit un jeune centralien en octobre 2007 : « On est quasiment dans une situation de plein emploi pour des gens qui ont un CV comme le mien et il y a une vraie mobilité professionnelle entre les banques. C’est une différence avec Paris où il y a quatre ou cinq employeurs qui occupent vingt-cinq personnes chacun, avec des possibilités de bouger nécessairement plus réduites. » À l’exception d’un seul, les ingénieurs interrogés, qui occupent un emploi de quant à la City depuis moins de cinq ans, ont tous déjà changé au moins une fois d’employeur, et ont pu négocier une amélioration de leur salaire lors de leur mobilité. Dans un article paru récemment dans Le Monde, le délégué général de Paris Europlace, Arnaud de Bresson, déclarait que le pôle de compétitivité Finance innovation créé en 2006 pour promouvoir la place financière de Paris souhaitait localiser l’expertise financière à Paris, afin de profiter davantage de l’expérience acquise par les jeunes diplômés français à l’étranger. Cet appel ne semble pas concerner beaucoup les quants français interrogés à Londres qui considèrent tous que Paris n’est pas prête de leur offrir les mêmes opportunités professionnelles en termes de carrières et de salaires11.
En deuxième lieu, l’intérêt des banques de marché de la City pour les ingénieurs français est lié au fait que leur formation en mathématiques fondamentales, acquise depuis le lycée, est souvent très solide, et leur permet d’être performants. Pour ces diplômés « forts en maths », le métier de quant est vécu comme une possibilité d’appliquer concrètement des connaissances acquises au cours d’études difficiles mais passionnantes. Comme le souligne un polytechnicien : « Je me dis souvent que je n’ai pas passé toutes ces nuits blanches en prépa pour rien ; je peux continuer à Londres à faire des maths, ce que j’aime avant tout, en étant de plus bien payé. » Le métier de quant à Londres semble en quelque sorte offrir le meilleur des mondes : faire du calcul de probabilités à haut niveau tout en garantissant un excellent salaire. Comme l’a observé Olivier Godechot dans son travail de sociologie économique sur le métier de trader à Paris, la salle des marchés représente aussi pour ces ingénieurs
la poursuite de la grande école par d’autres moyens. L’atmosphère qui règne dans la salle de marché ressemble (en un peu plus besogneux) à une salle informatique de grande école12.
Le troisième facteur d’attractivité de la City est d’ordre culturel : le marché du travail britannique tient moins compte des « étiquettes » que le marché du travail français. Comme le souligne un jeune centralien : « Ici, une fois que vous avez fait vos preuves, on se moque que vous veniez de telle ou telle école. L’école d’origine n’agit pas sur les responsabilités que l’on vous confie ni sur votre salaire. Alors qu’en France, il demeure toujours la hiérarchie entre les écoles. À Paris, en tant que centralien, je serai toujours moins bien considéré qu’un X. » L’absence d’étiquette s’applique aussi à la nationalité, facteur qui n’intervient ni dans le recrutement ni dans la carrière des diplômés travaillant à la City. Les salles de marché des banques sont de vrais univers multiculturels, au même titre que le marché du travail à Londres de manière plus générale.
Enfin, l’attractivité de Londres est liée aux rémunérations qui sont largement supérieures à celles offertes par l’industrie, mais aussi par les banques de marché à Paris. Dans l’ensemble, les ingénieurs interrogés disent se voir proposer à Londres des salaires plus de 50% supérieurs à ceux qu’offrent les banques de marché à Paris. Un centralien précise : « À Londres, c’est le même salaire en livres que celui proposé en euros à Paris, plus 20%13. » Bien que la vie soit plus chère à Londres qu’à Paris, notamment pour ce qui concerne le logement, la plupart des jeunes ingénieurs diplômés se disent très satisfaits de leur salaire et soulignent qu’il s’agit pour eux d’un élément de reconnaissance important. En prenant du recul, certains affirment même qu’ils sont presque « trop payés » par rapport à leurs camarades de promotion restés en France. Un diplômé de l’École nationale des ponts et chaussées déclare ainsi : « Mon meilleur camarade de promotion à l’Enpc travaille dans l’industrie en France et il ignore mon salaire qui doit représenter à peu près trois fois le sien. Je ne lui en parle pas, car je ne trouve pas cela très juste pour lui. » Les quants français sont ainsi conscients d’être des privilégiés par rapport à la plupart de leurs camarades de promotion, mais aussi par rapport à leurs familles. À la différence cette fois-ci des conclusions d’Olivier Godechot sur les traders à Paris, notre enquête (certes plus modeste) n’a pas permis d’observer une proportion importante de chefs d’entreprise ou de cadres supérieurs du privé parmi les parents (et notamment les pères) des quants de Londres issus des écoles d’ingénieurs françaises. La plupart des interviewés déclarent, au contraire, avoir des parents qui appartiennent aux classes moyennes, avec une certaine prépondérance des métiers d’ingénieurs, de cadres de la fonction publique, d’enseignants et de chercheurs14.
Évolution de carrière et scénarios d’avenir
Personne ne sait vraiment si la crise immobilière américaine, qui a débuté en août 2007, aura des effets prolongés sur l’activité des marchés financiers et donc des banques de marché. En novembre 2007, on enregistre cependant à Londres les premiers licenciements dans des secteurs de la banque qui auraient de toute façon dû être restructurés. Il est fort probable que d’autres licenciements interviennent d’ici la fin de l’année 2007. Dans le court terme, les quants français travaillant à la City ne semblent pas inquiets, car ils considèrent que les crises majeures de la finance ayant eu lieu depuis trois décennies ont toujours été moins fortes qu’on ne l’avait annoncé. La plupart d’entre eux se voient continuer à travailler à Londres, et imaginent souvent deux scénarios pour leur avenir.
Le premier consiste à faire le saut vers le métier réputé le plus « noble » de la salle des marchés : celui de trader. Le trader est celui qui intervient sur les marchés, identifie et saisit les opportunités d’achat et de vente et surtout en gère les risques (c’est en ce sens que son métier est considéré « noble »). La noblesse du risque va de pair avec la rémunération la plus élevée : le trader est celui qui remporte les plus forts bonus. Certains des quants interrogés assument parfaitement le fait que la salle de marché est un univers qui anime leur rêve de « faire fortune ». Faut-il déplorer ce rêve, à l’instar de l’écrivain George Steiner, qui voit dans la quête de réussite des jeunes étudiants à la Bourse et à la City de Londres le triomphe d’une génération au conformisme petit-bourgeois15 ?
La seconde perspective d’avenir, souvent complémentaire de la première, consiste à « prendre sa retraite » de la City vers quarante ans, pour revenir en France « où la qualité de la vie est meilleure qu’en Grande-Bretagne » et vivre de ses placements soit dans l’immobilier, soit dans des activités commerciales diverses et variées. Cet objectif de rentrer un jour chez soi « riche et tranquille » est exprimé de la même manière par deux polytechniciens originaires l’un d’un pays du Maghreb, l’autre d’un pays d’Europe centrale et orientale.
Plusieurs conclusions ressortent de ces représentations de l’avenir. La première est que les élites formées dans les écoles d’ingénieurs françaises sont globalisées au sens où elles sont prêtes à trouver « le meilleur emploi au meilleur endroit », mais aussi à jouir ensuite du fruit de leur travail dans le « meilleur endroit ». La question essentielle pour un pays comme la France a trait à la première dimension : celle de la vie professionnelle par rapport à des « ailleurs » où, de toute manière, les diplômés français sont prêts à aller. À cet égard, le cas des quants travaillant à Londres ne constitue qu’un exemple parmi d’autres. Comme autre cas intéressant, on pourrait citer celui des chercheurs et des professeurs d’université, dont les départs (toutes disciplines confondues) pourraient s’accentuer à l’avenir si les conditions générales de travail et de rémunération à l’université française ne sont pas amenées à évoluer rapidement. En 2007, un professeur d’université ayant vingt ans d’expérience de l’enseignement et de la recherche perçoit à Oxford ou à Cambridge un salaire qui est en moyenne deux tiers supérieur à celui offert par une université française. Il y trouve, par ailleurs, des conditions pour mener ses recherches qui sont très bonnes. Ce n’est pas par hasard si, d’après une étude récente de la Higher Education Statistics Agency, les enseignants non britanniques représentent, en 2007, 19, 07% des effectifs des universités britanniques. Dans ce paysage internationalisé, les Français occupent une place de choix, puisqu’ils sont au nombre de 1 850. D’après cette même étude, 58% de l’effectif des enseignants à la London School of Economics and Political Science, 38% à Imperial College, 37% à Cambridge, et 35% à Oxford, ne sont pas britanniques. Plus que jamais, il convient donc de réfléchir aux conditions offertes par le marché du travail français aux professions diplômées en comparaison de ce qui est pratiqué non seulement chez les voisins européens, mais plus largement dans le monde. Il serait tout de même satisfaisant que soient contredits les propos de ce trader français à Londres, ancien élève de l’École nationale des ponts et chaussées et du master Probabilités et finance de Paris VI, qui déclarait en août 2007 à Libération :
Les jeunes Européens vont gagner leur argent en Angleterre. Une fois retraités, ils vont le dépenser en France, un pays moins dynamique, mais plus agréable à vivre16.
Ne faut-il pas souhaiter en effet un autre destin à la France que de devenir un grand jardin, dans lequel se retireraient pour jouir d’une retraite confortable les diplômés européens après avoir vécu (y compris pour les Français) « les choses sérieuses » de leur vie professionnelle ailleurs ?
- *.
Directeur de recherche au Ceri-Sciences Po, Paris ; London School of Economics-Sciences Po Alliance Professor, Londres.
- 1.
Ce n’est pas le cas dans le nord de l’Angleterre, au pays de Galles et en Écosse, voir Florence Faucher-King et Patrick Le Galès, Tony Blair. 1997-2007. Les besoins d’une réforme, Paris, Presses de Sciences-Po, 2007.
- 2.
Il existe davantage de travaux sur les Britanniques qui ont choisi de vivre en France, comme ceux entamés par Helen Drake, professeur de sciences politiques à l’université de Loughborough.
- 3.
Gilles Pagès, « Exportation de la French touch ou fuite des cerveaux ? », Variances, no 30, mai 2007.
- 4.
Voir le site internet www.maths-fi.com
- 5.
G. Pagès, « Exportation de la French touch … », art. cité.
- 6.
Voir le portrait que lui a consacré Libération le 16 mai 2006.
- 7.
Je remercie Gilles Pagès de m’avoir communiqué la liste des diplômés.
- 8.
Certains diplômés peuvent être issus de deux écoles, notamment les polytechniciens qui ont suivi une école d’application après leur formation à l’X.
- 9.
Article de Carrick Mollenkamp et Charles Flemming paru dans le Wall Street Journal du 9 mars 2006.
- 10.
Paul Waugh, “Foreign migrants are taking all the new jobs”, Evening Standard, 1er novembre 2007.
- 11.
Le Monde, 18 septembre 2007.
- 12.
Olivier Godechot, les Traders : essai de sociologie des marchés financiers, Paris, La Découverte, 2001, p. 167.
- 13.
1 £ = 1, 50 €.
- 14.
O. Godechot, les Traders …, op. cit.
- 15.
George Steiner, « Entretien avec Paul de Sinety et Alexis Tadié », dans Diversité et culture, Paris, Cultures France, coll. « Penser l’Europe », 2007, p. 85.
- 16.
Libération, 20 août 2007.