Politique : la décomposition des familles
La canicule de l’été passée, un vent de colère et de désunion a soufflé dès la rentrée à travers les caméras et les micros tendus aux dirigeants politiques de premier ou de second rang. Les grandes manœuvres ont commencé dans la plupart des formations politiques depuis quelques mois. Et si les écologistes et le Front national tiennent le haut du pavé en termes de déchirures et d’invectives, les socialistes ont parfois du mal à assumer tous leurs ministres et Les Républicains ne cachent même plus leurs divisions en vue de la future primaire qui devrait départager leurs champions.
Personne n’ignore que la future élection présidentielle et d’éventuels remaniements de fin d’année sont les causes principales de ce climat délétère. Pour quelques points dans les sondages et quelques chances de promotion au sein des stratégies gouvernementales, les anciens couples se défont, les stratégies se révèlent, la fille achève le père, les amitiés fragiles cèdent le pas aux nouveaux intérêts. Chacun a ses raisons de se fâcher, à l’approche de régionales sans grand enjeu, au-delà du score du Front national et de l’ampleur du discrédit socialiste.
Pendant ce temps, le monde se rappelle au pays, par l’afflux de migrants, devenus des « réfugiés », les risques de conflits, de crise financière ou d’emballement inexorable du dérèglement climatique. Sur tous ces sujets, et sur ceux qui devraient les voir prendre du poids dans l’opinion en priorité, la parole des écologistes semble effacée, ou brouillée par leurs désaccords tactiques. Et pour tous les autres, la présidentielle apparaît, une fois encore, comme la seule échéance importante.
Des écologistes désunis
La rentrée a vu se dérouler un certain nombre de mises au point et de discordes sonnantes et bruyantes dans les mouvements politiques. Celle qui a agité la famille écologiste a fait plus de bruit que les autres, profitant de ses propres journées d’été pour planter le décor avant d’utiliser celle des socialistes à La Rochelle pour jouer l’acte II de cette pièce dont l’issue semblait prévisible et connue de tous. Question tactique, ou stratégie à long terme ? Alors que les régionales s’annoncent difficiles, voire catastrophiques, pour la gauche, la question posée aux écologistes est toujours la même : autonomie ou alliance dès le premier tour ? Deux cultures politiques et deux visions du rôle de l’écologie s’affrontent une nouvelle fois.
Depuis leur création, les mouvements écologistes n’ont cessé de faire le va-et-vient entre ces deux stratégies. L’échec du hollandisme est venu poser à nouveau la question à laquelle Antoine Waechter puis Dominique Voynet avaient répondu de façon opposée : les écologistes doivent-ils s’allier avec le Parti socialiste et soutenir une majorité à tout prix ? Ne vaut-il pas mieux reprendre du champ, pour incarner un espoir, une possibilité de réinventer une majorité alternative, à l’image du Rassemblement qui a conquis la mairie de Grenoble, ou d’un Podemos en Espagne, plutôt que de rester dans un gouvernement dont les décisions vont à l’encontre des promesses et de l’opinion ? C’est la ligne que Cécile Duflot et Pascal Canfin incarnent depuis plus de deux ans, contre plusieurs députés et sénateurs, dont Jean-Vincent Placé et François de Rugy, qui ont choisi les premiers de quitter Europe Écologie Les Verts pour défendre leur conviction : il faut soutenir le gouvernement, voire y entrer pour agir à l’intérieur. Au-delà de l’opportunisme et du plan de carrière éventuel, c’est une option stratégique qu’une partie des responsables écologistes pourrait vouloir défendre dans les prochains mois, contre la majorité des militants.
Appels à un « Front populaire »
Le grand frère socialiste n’est pas tout à fait étranger à ces dissensions. Il a toujours su jouer sur la corde sensible de la responsabilité, ou de l’intérêt, pour attirer des cadres écologistes à négocier des alliances. Deux arguments ressortent avec force : l’union de la gauche doit éviter les succès de la droite, ou le risque de succès du Front national ; et puis, pour les tenants de la « gauche plurielle », l’écologie a besoin de s’allier pour accéder aux responsabilités et irriguer les politiques menées par des majorités socialistes. Si le scrutin majoritaire oblige aux alliances préalables, c’est sur la base d’alliances de second tour que dans la grande majorité des régions gouvernent depuis 2010 des majorités composées de socialistes, communistes et écologistes.
Et puisqu’il y a deux tours, pourquoi s’allier dès le premier tour ? Voilà la question qui divise les écologistes. Comment certains stratèges peuvent-ils assurer qu’une liste d’union dès le premier tour pourrait rassembler plus d’électeurs que la fusion de deux listes au second tour ? À moins qu’il ne s’agisse d’une volonté de simplifier à l’extrême l’enjeu de l’élection : pour empêcher la victoire de la droite ou du Front national, il n’y aurait qu’une solution : voter pour une liste d’union de la gauche rassemblée contre l’adversaire commun. C’est en filigrane ce que propose désormais Jean-Christophe Cambadélis en évoquant la nécessité d’un nouveau « Front populaire » face au risque de Front national.
Dernières élections avant présidentielle
Les discordes écologistes permettent aux socialistes de trouver quelques alliés de circonstance pour en appeler à la raison et à la responsabilité, face au risque de déferlement de la droite aux prochaines régionales. De fait, la quasi-totalité des régions pourrait basculer de gauche à droite le 13 décembre 2015. Et le désaveu à l’égard du gouvernement et du président pèse lourdement dans la balance. À l’inverse, s’ils évitaient de s’enfermer dans les méandres d’appareils, les écologistes auraient pu tirer profit de la situation à bien des titres. L’histoire électorale a montré comment un électorat socialiste en rupture peut se porter sur l’offre écologiste. Ce fut le cas dans les années 1990, et encore en 2009, lors du succès d’Europe Écologie.
Et surtout, au moment où Paris recevra le sommet international sur le climat, et tandis que les médias commenteront l’état de la planète jour après jour, il n’est pas besoin de sondages pour comprendre que les idées écologistes pourraient peser dans la balance. L’écologie – et son aura potentielle – est donc un enjeu important, et la gauche ne peut pas s’en passer si elle veut conserver quelques régions et une chance de figurer en bonne position pour la prochaine élection présidentielle.
L’autre enjeu de la séquence, c’est la division de la droite elle-même, en prévision de la présidentielle, justement. Trop occupés à se disputer la légitimité de porter les couleurs de leur nouveau parti Les Républicains, les ténors de l’ex-Ump ont du mal à s’intéresser à la conquête des régions qui leur semblent pourtant promises. Pour eux, le rendez-vous le plus important semble déjà être leur primaire. Dans les faits, cette consultation risque de se transformer en élection présidentielle avant l’heure. Mais les jeux internes et les rivalités qui se font jour pourraient avoir un effet démobilisateur sur une partie des électeurs pour les régionales.
Le Front national, fragilisé, au cœur du jeu
Le Parti socialiste appelle à l’union pour s’opposer au Front national ; tandis que la droite tente de rallier le centre sans se faire déborder par sa droite, au risque de quelques dérapages dans cette course à la petite phrase qui fait choc. Au centre de toutes les attentions, le Front national lui-même n’apparaît pas au meilleur de sa forme.
La guerre familiale engagée par Marine Le Pen contre son père peut sembler nécessaire à l’approfondissement d’une stratégie susceptible de porter ses fruits à long terme. Pour le moment, elle risque de fragiliser l’image patiemment construite de parti capable de parler d’une seule voix – au-delà des styles différents – et d’inquiéter une partie de son électorat. Si l’on ajoute les révélations de détournement de fonds – dont on peut supposer qu’elles se poursuivront – et les risques judiciaires bien réels, le parti lepéniste pourrait connaître une période mouvementée et perdre de nombreux soutiens, qui viennent chercher à travers lui à assouvir un besoin de simplification du monde, le réconfort d’une parole unique et une dénonciation de la décadence dont les politiciens seraient responsables.
Le Front national n’est pas à l’abri d’un accident de parcours consécutif à ces déchirures internes, qui rappellerait la scission de 1998. Comme l’a montré le choc du 21 avril 2002, cela n’entraverait pas forcément sa progression à long terme ; sauf si les autres forces politiques arrivaient à profiter de ce répit pour reprendre l’offensive et sortir de leur impuissance avérée, ou supposée. Ce serait le cas des écologistes, s’ils réussissaient à sortir de l’injonction de leur partenaire socialiste à « s’opposer au Front national », pour changer de formule et proposer – au-delà d’alliances nouvelles – une vision réaliste et novatrice des réfugiés, des crises internationales, alimentaires ou agricoles, en lien avec la question climatique et énergétique, par exemple.
Pendant que certains pensent à la présidentielle à venir, l’actualité mondiale donne à voir un chaos global, dans lequel des flux de réfugiés s’échouent sur les plages de l’Europe. L’opinion évolue rapidement, au fil des jours, hésitant entre la peur et l’empathie, entre le repli et l’ouverture. Un point de bascule est imminent, sur ce sujet comme sur d’autres.