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Diffusion des événements de la ligne de front. Place de la République à Erevan, 7 octobre 2020. Via Wikimédia
Diffusion des événements de la ligne de front. Place de la République à Erevan, 7 octobre 2020. Via Wikimédia
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Arbitrages

Éditorial

par

Esprit

Le Haut-Karabakh est devenu le miroir grossissant d’un ordre international déréglé et d’un multilatéralisme auquel les parties font à peine semblant de croire encore.

Un conflit s’est à nouveau embrasé cet automne aux portes de l’Europe. Les combats ont repris depuis le 27 septembre dans le Haut-Karabakh, ce petit territoire montagneux du Sud-Caucase, objet d’un litige vieux de plus de trente ans. Peuplé majoritairement d’Arméniens, le Haut-­Karabakh a déclaré son indépendance en 1991 dans la foulée de l’effondrement de l’Union soviétique. Une guerre l’a opposé à l’­Azerbaïdjan, qui lui refuse toute reconnaissance, faisant plus de 30 000 morts, jusqu’à un cessez-le-feu fragile en 1994.

À première vue, la réactivation du conflit dans le Haut-Karabakh mobilise une partition bien connue dans les territoires de l’ancien espace soviétique. Sur les principes d’abord, puisque s’opposent, comme ce fut le cas au Kosovo ou en Ukraine, le droit à l’autodétermination d’une part, et le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté d’un pays de l’autre. Sur les tentatives d’apaisement par la communauté internationale ensuite, puisque le groupe de Minsk a ouvert une médiation pour obtenir un règlement pacifique du conflit. Pourtant, dans cette partition classique, tout sonne faux aujourd’hui. En effet, les combats se poursuivent et s’intensifient. Et surtout, l’idée de grandes puissances se penchant sur un conflit local pour tenter de le régler tout en y préservant leurs intérêts a définitivement vécu. Le soutien militaire de la Turquie à l’Azerbaïdjan donne un tour inquiétant à la situation. Défiant à la fois l’Otan (dont la Turquie est membre) et la Russie, Erdoğan veut imposer son pays, déjà présent sur les théâtres de la Syrie, de la Libye et de la Méditerranée orientale, comme acteur et arbitre ultime des conflits régionaux, remettant au goût du jour son rêve de panturquisme (une union des peuples turcophones allant du Bosphore à l’Asie centrale).

En face, l’attitude de la Russie frappe par son attentisme, jouant autant le rôle de pyromane que de pompier. Quant aux États-Unis, ils confirment leur retrait croissant des affaires internationales. Et l’Iran, qui partage une frontière avec les deux belligérants et compte une importante minorité azérie, marche sur une ligne de crête, méfiant à l’égard du soutien militaire qu’Israël apporte à l’Azerbaïdjan. Les liens d’amitié qui unissent nombre de pays européens à l’Arménie, du fait d’une diaspora arménienne nombreuse et de la conscience des menaces qui pèsent encore sur le peuple arménien – dont on vient de commémorer le génocide –, pourraient pousser les dirigeants européens à prendre leurs distances avec le principe du respect de l’intégrité territoriale que brandit l’Azerbaïdjan, pour protéger la population arménienne.

Le Haut-Karabakh est donc devenu le miroir grossissant d’un ordre international déréglé et d’un multilatéralisme auquel les parties font à peine semblant de croire encore. Pourtant, face au retour de logiques impériales, et alors qu’aucune puissance n’est en mesure d’imposer un cessez-le-feu durable, c’est bien de mécanismes collectifs que l’on pourrait attendre l’impulsion pour organiser l’arrêt des bombardements, la mise en place de couloirs humanitaires et le retour à la table des négociations. Hélas, entre l’enlisement du groupe de Minsk et la marginalisation des Nations unies, les marges de manœuvre semblent limitées.

Le Haut-Karabakh est devenu le miroir grossissant d’un ordre international déréglé.

Sans doute, tout n’est pas perdu et différentes options seraient ­certainement envisageables, pour peu qu’on se donne les moyens de les explorer. Cela paraît plus nécessaire que jamais. Si le discours de non-­intervention a gagné du terrain ces dernières années (avec les conséquences parfois dramatiques que l’on sait, notamment en Syrie), qui peut encore croire que refuser de se mêler des désordres du monde permet de s’en préserver ? On sait désormais que l’attentat de Villepinte, déjoué de justesse en juin 2018, avait été conçu par l’Iran… Dans un monde dont des régions entières sont en proie au chaos, les démocraties risquent de payer cher la croyance selon laquelle leur indifférence les protège.

Esprit

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