
Avancer masqué
Éditorial
De toutes formes, de toutes couleurs, le masque a fait cet été son entrée sur la liste des objets quotidiens incontournables. D’abord obligatoire dans les transports en commun et la plupart des lieux publics clos, son port s’est peu à peu généralisé à l’espace public dans une majorité d’agglomérations françaises, de façon totale ou partielle. Pour les enfants de plus de onze ans, il devient même une « fourniture scolaire comme une autre », selon les mots du ministre de l’Éducation nationale, tandis que les salariés qui reprennent le chemin du travail devront dorénavant le porter en continu, à moins d’être seuls dans leur bureau. Face à une situation sanitaire jugée inquiétante, le masque est manifestement devenu – plus que les tests, dont la politique reste à ce jour illisible en France – l’instrument privilégié de la lutte contre une possible résurgence de l’épidémie.
Ce petit objet raconte à lui seul l’histoire, déjà longue, de la manière dont nous avons fait face à l’apparition d’un virus dont nous ne savions rien ou presque. Il en a cristallisé les incertitudes, les tâtonnements, les polémiques aussi. Il paraît loin, le temps où le gouvernement en minimisait l’utilité, ne le déclarant indispensable que pour les personnes malades avérées. Puis ce furent les débats sur l’état du fameux stock, qui nous a tant manqué. Au-delà de la question des responsabilités des uns et des autres, sur laquelle la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire – qui reprend ces jours-ci ses travaux – tentera de faire la lumière, il est certain que les changements de position sur les masques, tant leur disponibilité que leur utilité, ont considérablement affaibli le crédit de la parole politique dans ce moment critique. Dans le même temps, le masque devenait le révélateur de chaînes d’approvisionnement mondialisées et fragiles, ainsi que de notre dépendance à la Chine. Cette dernière, principale fournisseuse de masques chirurgicaux à la France, cessa dès le mois de janvier de les exporter pour les garder à son usage. Et alors que l’on débattait de savoir quels types de masques étaient efficaces et dans quelles circonstances, des millions de masques en tissu étaient confectionnés dans les foyers et par les professionnels du textile, incarnant une des formes de mobilisation civique privilégiée pendant cette crise.
Il faut donc maîtriser une épidémie, tout en continuant de vivre.
Mais, avec la rentrée et l’automne qui arrive, le masque se trouve chargé d’une responsabilité nouvelle, qui est de résoudre une contradiction : celle de permettre à la vie économique et sociale de reprendre le plus normalement possible, tout en limitant au maximum les interactions physiques qui la sous-tendent d’ordinaire. C’est aussi que les priorités ont évolué. Autant au mois de mars dernier, l’enjeu était d’éviter la saturation des services de réanimation, face à l’augmentation vertigineuse du nombre de cas, autant le repoussoir absolu pour cette rentrée semble être la perspective d’un nouveau confinement généralisé. Les écoles, les lycées et les entreprises soulignent le besoin de revenir à des formes « présentielles » d’interaction, mais les dernières semaines ont montré que celles-ci restent porteuses d’un risque de contamination. Il faut donc maîtriser une épidémie, avec laquelle nous n’en avons manifestement pas terminé, tout en continuant de vivre. Pour cela, nous nous en remettons essentiellement au masque. Reste à savoir comment cela fonctionnera concrètement, et si nous réussirons cet exploit de rester présents les uns aux autres sans constituer un danger les uns pour les autres : présents, mais neutralisés. C’est un nouveau chapitre de l’histoire de la pandémie qu’il nous faut entamer, celle de la vie avec le virus. Le masque est devenu, bon gré mal gré, l’outil indispensable pour avancer sur cette ligne de crête. Il est surtout le signe de la grande incertitude dans laquelle nous nous trouvons encore.