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Grand Paris : l'impasse du Grand Soir institutionnel

mai 2010

#Divers

Le président de la République a proposé récemment d’ouvrir le chantier de la gouvernance du Grand Paris. Il a raison. Il faut mener de front ce chantier et celui du projet. Faute de quoi, on continuera à débattre ou rêver de projets mirifiques (130 km de métro automatique, une dizaine de clusters mondiaux…) en faisant abstraction des conditions de portage politique et des moyens nécessaires.

À l’issue des élections régionales et avant l’échéance électorale généralisée et rapprochée de 2014, la fenêtre de tir est réduite. Il y a urgence. Pour autant, il est illusoire d’imaginer un Grand soir institutionnel en cherchant à imiter le Grand Londres. Cette comparaison n’a pas de sens : il y a une institution du Grand Londres, parce qu’il n’existe pas de « petit Londres », de ville-centre constituée, tant sur le plan urbain que politique, comme Paris, et que Londres ne dispose pas non plus d’une institution régionale comme l’Île-de-France. Mais surtout raisonner en ces termes reviendrait à s’enliser dans un débat impossible : celui du périmètre pour cette nouvelle institution métropolitaine, question que le Grand Londres n’a pas réglée, en ignorant une grande part de l’espace métropolitain du sud-est de l’Angleterre.

Les conditions de la modernisation institutionnelle de la métropole francilienne sont en germe, sous nos yeux. Il faut les faire fructifier.

Le nouveau paysage géopolitique métropolitain

La région Île-de-France constitue le premier pilier de cette modernisation institutionnelle, autour de trois atouts potentiels. Elle dispose d’une légitimité politique renforcée par le succès électoral. Elle est aiguillonnée par l’intervention de l’État et mise au défi par les critiques convergentes vis-à-vis de sa prudence lors du précédent mandat. Elle sera, enfin, en situation d’organiser une action consolidée avec celle des départements aux termes de la réforme nationale à venir. Pour ces raisons, la Région est en capacité d’affirmer sa fonction stratégique, non seulement de façon générale, en matière d’aménagement du territoire, mais en la déclinant sur quelques secteurs-clés : les transports, le logement, l’enseignement supérieur.

Mais la puissance de l’Île-de-France fait les limites de l’institution régionale. En raison de son poids dans la vie de la nation et de sa complexité interne, elle ne constituera jamais à elle seule le pouvoir métropolitain. C’est là tout le paradoxe de la situation francilienne en regard de celles des autres métropoles mondiales : elle est l’une des rares à disposer d’une institution « à la bonne échelle », mais sa place au sein d’un État unitaire constitue une limite définitive au plein exercice de sa puissance politique.

Il faut alors être attentif à une dynamique nouvelle : celle de l’organisation du « local métropolitain ». Jusqu’à présent, il faut bien reconnaître que la carte fragmentée des intercommunalités en Île-de-France n’avait pas grand sens. Mais, aujourd’hui, le paysage politique local est en pleine effervescence. S’esquisse le maillage de la métropole par la constitution d’intercommunalités massives, autour de 400 000 habitants. À cette échelle se joue d’abord la structuration des identités locales, fortement contrastées, qui font la réalité métropolitaine : les Hauts-de-Seine n’ont aucune signification « vécue », les communes non plus, mais il y a bien un nord Hauts-de-Seine autour de La Défense, un centre avec les boucles de la Seine entre Boulogne et Issy, et un sud autour de la vallée de la Bièvre. Si l’attachement à la commune est réel en Île-de-France comme ailleurs, le niveau communal ne suffit plus à caractériser l’identité locale, en regard de la complexité et de la dilatation métropolitaine. La construction géopolitique en cours participe alors de deux logiques : ces nouvelles intercommunalités sont à la fois « proches », appropriables par chacun au-dedans, et « visibles » à l’extérieur, à l’échelle métropolitaine. En cela, elles fabriquent du local dans la métropole. On peut voir là une singularité essentielle de l’intercommunalité francilienne : alors qu’ailleurs en France, cette dernière vise au premier chef à combiner politics et policies – le politique et les politiques publiques –, en Île-de-France elle relève principalement du politique. De tels blocs intercommunaux vont être en capacité de mettre en œuvre des projets d’envergure métropolitaine, et d’organiser un « rapport de force » avec les autres territoires de la métropole.

Deux scénarios autour de la conférence métropolitaine

De là découle la troisième question pour la gouvernance métropolitaine : entre la globalité régionale et le local ainsi recomposé, quel mode de régulation « verticale », à même de maîtriser les conflits d’échelles propres au fonctionnement métropolitain ? Face à cette question, deux scénarios sont aujourd’hui envisageables.

Le premier s’esquisse actuellement de façon discrète. Il consiste en un renouveau du modèle historique du compromis « gaullo-communiste ». C’est la configuration géopolitique des Trente Glorieuses : l’État ignore la ville-centre, Paris, et passe un accord direct avec le local, c’est-à-dire les municipalités de la banlieue rouge communiste autour de deux principes stratégiques fondant les grands investissements publics : polycentrisme et rééquilibrage à l’est. C. Blanc paraît aujourd’hui réactiver ce scénario au travers duquel l’État construit sa stratégie sur la fragmentation locale. Le projet de loi met clairement en place les instruments d’un tel scénario : la Société du Grand Paris propose des « contrats de développement territorial » qui ne peuvent laisser indifférents les barons de la banlieue parisienne. Dans une telle hypothèse, la conférence métropolitaine – le syndicat Paris Métropole – est réduite à pérenniser la fonction que lui avait assignée à l’origine B. Delanoë, celle d’un « Sénat des maires ». Au mieux, elle devient « l’agora métropolitaine » stricto sensu que suggère le président de la République, au pire, la chambre d’enregistrement où se récapitulent les accords entre les intercommunalités et l’État.

Le second scénario tient à la capacité de Paris Métropole à assurer effectivement cette fonction d’articulation entre questions locales et enjeux métropolitains. C’est alors la figure d’un « G20 du Grand Paris », réunissant la ville-centre et ces blocs intercommunaux, qu’il s’agirait de mettre en place. Trois registres pourraient permettre à Paris Métropole d’exercer cette fonction régulatrice.

Le premier consiste à organiser les synergies entre les projets d’aménagement et de développement des blocs intercommunaux. Il s’agirait d’aller au-delà de la fonction de planification (c’est-à-dire d’arbitrage et de priorisation…) qui relève de la région pour organiser les coopérations, les liens fonctionnels entre les projets « métropolitains ». Cela passe par de la labellisation, de la mutualisation : de la coopération « horizontale » pour fabriquer de la cohérence métropolitaine. Dans cette logique, on pourrait imaginer que Paris Métropole mette en place une « commission métropolitaine du débat public », afin de confronter les grands projets locaux à la diversité des usagers et des intérêts dans la métropole. Le projet que vient d’annoncer le maire de Paris visant à réduire ou interdire la circulation automobile sur les voies sur berges relèverait à l’évidence d’un tel dispositif !

Le deuxième est celui de la redistribution interterritoriale, opérée non pas sur le registre fiscal et financier (du ressort de la loi et des institutions), mais à partir des investissements et des prestations des grands syndicats techniques. Historiquement, à l’époque du département de la Seine, puis du District de la région parisienne, ce sont ces grands opérateurs techniques qui, au travers de leurs réseaux (eau, assainissement…), ont structuré l’agglomération et garanti une forme d’égalité territoriale. Cette fonction redistributrice, visant l’équité territoriale pourrait être renouvelée aujourd’hui, en intégrant la 2e couronne, par exemple autour de la gestion des ressources rares (eau, matériaux…). Dans le même esprit, on pourrait imaginer la création, dans le domaine du logement, d’un opérateur public/privé ayant pour fonction la production et la gestion d’un parc locatif de droit privé. Cela permettrait de compenser la disparition de ce parc, induit par le retrait des grands investisseurs institutionnels (assurances), et de favoriser la mobilité résidentielle, contrepoint essentiel à la focalisation exclusive sur les infrastructures de déplacement pour assurer la performance du marché du travail métropolitain.

Enfin, Paris Métropole pourrait développer une fonction de mobilisation sociétale, qui fait fortement défaut à la métropole francilienne, par comparaison avec ses concurrentes. Pour ce faire, il faut rompre avec la figure classique des instances de concertation (le Conseil économique et social), fondée sur la représentativité catégorielle. On pourrait prendre appui pour cela sur un dispositif construisant dès à présent un mode de « coproduction » privé/public, animé par les élus membres de Paris Métropole, celui des pôles de compétitivité où se retrouvent directement les entreprises, le milieu scientifique et les collectivités territoriales.

*

Une région renforcée, un maillage local recomposé, un G20 interterritorial, voilà un scénario jouable pour la gouvernance métropolitaine. Partout dans le monde, cette question est posée aux pouvoirs publics. Partout les mêmes leçons s’imposent : il n’y a pas de modèle et à la complexité de la vie métropolitaine correspond dans chaque cas une figure singulière de gouvernance plurielle. Entre immobilisme et illusion, l’État et les acteurs franciliens sauront-ils trouver ensemble la voie de l’imagination et de la raison ?

ESTÈBE Philippe

Daniel Behar

Daniel Béhar est professeur à l'École d'urbanisme de Paris (Université Paris-Est), où il anime la chaire "Aménager le Grand Paris". Il est également consultant à la coopérative Acadie.

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