Hôpital : pourquoi une nouvelle réforme ?
Fallait-il faire une nouvelle réforme de l’hôpital ? Et que propose exactement la loi Hôpital, patients, santé, territoire (HPST) qui vient d’être votée ? Cette loi, à l’image de l’ensemble de la politique de santé publique qui multiplie les réformes depuis une dizaine d’années, manque avant tout de lisibilité, suscitant une méfiance qui porte moins sur les déclarations explicites que sur des procès d’intention.
La loi Hôpital, patients, santé, territoires (Hpst) devrait sortir du dédale parlementaire fin juin. Roselyne Bachelot aura ainsi obtenu le vote de sa réforme. De son côté, l’hôpital mettra certainement beaucoup de temps à se remettre de plusieurs semaines de contestation contre cette loi. Pour tenter de comprendre ce qui a pu conduire l’hôpital de la situation que nous décrivions dans le numéro d’Esprit de janvier 2007 à ce mouvement de contestation, sans doute faut-il admettre la complexité du décryptage du mouvement : les facteurs qui ont causé la contestation ne sont pas seulement multiples, ils se sont aussi alimentés les uns les autres et l’analyse rationnelle ne suffit plus à cerner ce qui a mené une réforme, initialement relativement consensuelle, à une loi au final très contestée.
Que propose la loi Bachelot ?
La loi Hpst est structurée en quatre titres. Le premier modifie la gouvernance hospitalière, en particulier l’articulation secteur public/secteur privé, et le fonctionnement interne des hôpitaux conduisant au débat sur les pouvoirs du directeur
Le deuxième titre vise à renforcer l’organisation de l’offre de soins et porte notamment sur l’accessibilité et la qualité des soins ainsi que sur l’organisation des professions de santé.
Le troisième titre présente diverses mesures tendant à l’amélioration de la santé publique : santé des femmes et des jeunes, prise en charge des affections de longue durée.
Le quatrième titre, enfin, définit l’organisation territoriale du système de santé avec notamment une des mesures-phares de la loi : la création des agences régionales de santé (Ars), l’autre partie de ce titre traitant de l’organisation du secteur médico-social.
Cette réforme s’inscrit dans une suite – plus ou moins cohérente – de réformes antérieures. La réforme Juppé de 1996 apportait quelques transformations importantes comme la création des agences régionales de l’hospitalisation (Arh), destinées à assurer un pilotage régional de la politique hospitalière et à renforcer, voire supplanter, les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales considérées comme peu aptes à la mise en œuvre de politiques hospitalières ambitieuses. Ces Arh, centrées sur l’hospitalisation, auront constitué la première version des Ars prévues dans la loi actuellement en débat, et dont les missions seront étendues à l’ensemble de la santé. Surtout, les Ars associeront le planificateur de l’organisation sanitaire (l’État) et le financeur (l’assurance-maladie). La réforme de 1996 créait également l’embryon d’une refonte de l’organisation interne des hôpitaux avec la création de centres de responsabilité initialement destinés à coordonner plusieurs services autour d’un projet unique. Ces centres de responsabilité avaient fait long feu en maintenant l’ensemble de leurs prérogatives aux services, toujours considérés comme l’unité de base de l’organisation hospitalière.
La loi Kouchner de 2002 était très orientée vers les patients et affichait résolument sa réaction contre le plan Juppé et sa vision considérée comme technocratique et financière. Son titre premier – « nul ne peut se prévaloir du préjudice du seul fait de sa naissance » – légiférait en urgence après l’arrêt du conseil d’État relatif à l’affaire Perruche pour mettre un arrêt à la possibilité de poursuivre parents ou médecins pour le fait d’être né. Le titre II portait sur la démocratie sanitaire, notamment les droits et responsabilités des usagers avec une mesure phare : le droit du patient à l’accès direct à son dossier médical. Le troisième titre traitait de la qualité du système de santé, le quatrième de la réparation des conséquences des risques sanitaires. Dans ce dernier domaine, la loi de 2002 a laissé un dispositif efficace et novateur sur le plan du droit avec la création de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), chargé de la double mission de l’organisation du dispositif de règlement amiable des accidents médicaux et d’indemnisation, le cas échéant, des victimes d’aléas thérapeutiques. Enfin, la loi Kouchner organisait l’évolution du système d’accréditation vers une « certification » des hôpitaux.
Le plan Mattei de 2003 introduisait quatre réformes majeures : la tarification à l’activité (T2A), qui constituait une véritable révolution dans le financement des hôpitaux en mettant fin au dispositif du budget global qui datait de vingt ans ; la refonte de la gouvernance interne des hôpitaux avec la création des pôles – sorte de deuxième génération de centres de responsabilité – destinés à devenir des échelons de pilotage médical et administratif des hôpitaux ; la relance d’une politique d’investissement, connue sous le label « hôpital 2007 ».
La réforme de l’assurance-maladie de 2004 porte le nom du ministre Douste-Blazy et avait une orientation clairement financière. Elle introduisait le médecin traitant et créait des contributions forfaitaires à la charge de l’assuré comme les franchises. L’esprit de cette réforme était la restriction de la liberté de l’assuré dans son parcours de soins et sa « responsabilisation financière ». Ce même mois d’août 2004 était votée presque simultanément, mais en toute discrétion, une loi de santé publique, la première depuis celle de 1902. Cette loi traitait d’enjeux de santé publique au fond sur des sujets comme la lutte contre les épidémies, la réduction des inégalités de santé ou encore la qualité et la sécurité des soins. L’ampleur du débat et sa médiatisation autour de la première loi, le peu de lisibilité de la deuxième avec ses cent objectifs de santé publique – pas moins ! – et la discrétion des débats, témoignaient sans doute des priorités et de l’intérêt du monde politique pour les finances publiques et les déficits sociaux, plus que pour les grands enjeux sociétaux et de santé publique.
À ces lois, strictement hospitalières, il nous faut ajouter la réforme des 35 heures, mise en place par le gouvernement Jospin à partir de l’année 2000. Celles-ci ont eu trois conséquences majeures sur l’hôpital. La première, d’ordre technique, a été la pénurie de personnel, jusqu’à aujourd’hui, en raison notamment de l’absence d’anticipation pour les professions régies par numerus clausus, principalement les infirmier(ères) et les médecins. La deuxième a été d’ordre financier avec un accroissement des coûts de personnel, l’organisation pour la continuité des soins sur 24 heures et 365 jours permettant peu de gains de productivité (hors réorganisations structurelles). La troisième, silencieuse mais majeure, a été d’ordre sociologique, en modifiant en profondeur le rapport au travail des personnels hospitaliers. Les 35 heures ont en partie brisé l’idée que les niveaux de salaires et les contraintes d’organisation du travail (gardes, nuits, week-end) étaient compensés par une valeur ajoutée sociale importante et reconnue. Imposer une réduction du temps de travail de 10 % en n’en prévoyant pas les conséquences, réelles ou ressenties, devait renvoyer un message quasi vexatoire sur l’utilité sociale du temps de travail hospitalier. Que la loi ait engendré directement cette révolution dans le rapport au travail des hospitaliers ou qu’elle n’ait été que le catalyseur d’une évolution sociétale plus profonde, il est un fait que les 35 heures auront transformé l’hôpital au-delà de toute attente et surtout au-delà de toute anticipation.
On le voit, chacune de ces lois associait à chaque fois des mesures portant sur des enjeux différents des politiques de santé, au détriment, sinon de la cohérence de la politique menée, au moins de sa lisibilité. Pour ce qui concerne l’hôpital, quatre questions majeures ont traversé ces réformes et demeurent jusqu’à la loi en cours (Hpst).
La première est celle du diagnostic. Hôpital en crise et au bord du gouffre pour les uns ; service public performant pour les autres : jamais le débat au fond n’a permis de dégager une analyse consensuelle du dispositif hospitalier français.
Le relatif bon fonctionnement de nos hôpitaux par rapport à de nombreux autres pays, une part du Pib consacrée à la santé certes élevée, mais proche des niveaux allemand ou suisse et inférieure aux États-Unis, la diminution progressive de la part des dépenses hospitalières dans la consommation médicale totale constituent autant d’éléments flatteurs. Ils n’ont jamais compensé l’analyse plus ou moins partagée d’hôpitaux locaux peu performants, de centres universitaires peu ou mal pilotés et aux résultats très inégaux, notamment en recherche. La faible organisation générale de l’ensemble du système et notamment des relations entre la médecine hospitalière et la médecine de ville autour de parcours cohérents pour les patients parachèvent ce diagnostic mitigé.
La deuxième question est celle de la nature même des missions de l’hôpital : service public ou entreprise ? Au-delà des anathèmes, la question posée est clairement celle de la place du politique dans le pilotage hospitalier. Et en arrière-plan apparaissent des sujets aussi divers que le rôle des élus locaux, le mode de financement, les modalités de nomination des directeurs, l’organisation du pouvoir médical ou encore l’emprise plus ou moins directe de la tutelle centrale sur chaque établissement.
La troisième question est celle des relations entre l’hôpital et son environnement : l’articulation avec l’immense secteur médico-social connaît un retard coupable alors que les pathologies chroniques représentent désormais la grande majorité des maladies et que la réduction des inégalités de santé est régulièrement affichée comme une priorité nationale ; les liens avec la médecine de ville ou encore les relations avec le secteur privé donnent à l’hôpital l’image d’un système autocentré ; enfin, dans le champ de la recherche et de l’enseignement, la question demeure de l’articulation entre l’hôpital d’une part, l’université et les établissements publics de recherche (Inserm et Cnrs) d’autre part.
La quatrième question concerne un point spécifique : l’évolution de l’organisation hospitalo-universitaire francilienne. Alors que les universités parisiennes ont évolué ces dernières années en fusionnant leurs facultés de médecine, la carte hospitalo-universitaire de la région demeure d’inspiration principalement… historique. Ainsi, indépendamment des grands pôles de développement de ces trente dernières années et des évolutions démographiques, l’organisation des hôpitaux d’Île-de-France, leur rattachement, ou pas, au Chu (l’AP-HP) et l’étendue de leurs missions d’enseignement ou de recherche n’ont pas été pensés depuis les années 1970.
Et nous pourrions ajouter une cinquième question, aussi simpliste qu’essentielle : quelle santé voulons-nous et combien sommes-nous prêts à y consacrer financièrement, pour nous-mêmes aujourd’hui comme pour les générations futures ?
Les débats de ces dernières années, pas plus que les campagnes électorales récentes ou les programmes des partis politiques ne permettent de dégager des lignes directrices fortes autour de ces grandes questions fondamentales. Le résultat est que le débat sur la loi Hpst présentée par Roselyne Bachelot n’a pu s’appuyer sur aucun fondement idéologique ou politique clair. Ce débat s’est développé en dehors de tout paradigme et de toute doctrine établie. Les promoteurs comme les opposants à cette loi étaient bien démunis d’un corpus d’idées qui fasse sens et permette d’affirmer une vision politique de l’hôpital et de son devenir.
Une loi qui fédère des mécontentements multiples et anciens
Le titre du numéro d’Esprit de janvier 2007 – l’Hôpital en mouvement – assumait un parti pris et une conviction : celle que l’hôpital et ses acteurs peuvent être soupçonnés des plus grandes tares, assurément pas celle de l’inertie. Contrairement au discours qui laisse à croire que l’hôpital aurait besoin de sa première vraie réforme, l’hôpital s’est radicalement transformé au cours de la décennie écoulée. On peut débattre de l’impact de ces changements sur les grands objectifs, notamment le maintien ou l’amélioration des niveaux de qualité des soins (en particulier la réduction des inégalités), la maîtrise des dépenses de santé ou encore le niveau de l’enseignement et de la recherche. Et il est un fait que la France est peu habituée à l’évaluation de ses politiques publiques et aux études d’impact de ses réformes. Mais on ne peut nier que l’hôpital ait été « en mouvement » sur presque tous ses axes fondamentaux d’organisation : le mode de financement (Mattei, 2003), l’organisation du pouvoir en interne (Juppé, 1996 et Mattei, 2003), les rapports hôpital/patients (Kouchner, 2002 et Douste-Blazy, 2004), la prise en compte des enjeux qualité et les procédures de certification (Juppé, 1996 et Mattei, 2003), le rapport au travail (Aubry, 2000).
Dans ce contexte, le sentiment d’une majorité des acteurs hospitaliers est que l’heure n’était pas à une réforme supplémentaire. Convaincu que l’argument de la réforme indispensable et urgente était infondé, chacun a analysé la volonté gouvernementale puis les différents articles de la loi moins à l’aune des écrits et discours explicites actuels que de ses propres soupçons et arrière-pensées difficilement étayables et, au bout du compte, largement subjectifs.
Les uns, et en particulier les partenaires sociaux, ont vu dans plusieurs réformes et notamment la loi Mattei de 2003 une volonté mal dissimulée de projeter le devenir de l’hôpital dans un cadre libéral avec les nouveaux principes de tarification et de soumettre le fonctionnement hospitalier à des règles importées de l’entreprise en promouvant les pôles.
Les autres, et notamment ceux extérieurs à l’hôpital public, ont toujours dénoncé ce qu’ils estimaient être de la lâcheté politique face aux conservatismes de tous bords pour le statu quo, en se limitant à des changements cosmétiques, sans s’attaquer réellement aux dysfonctionnements du service public hospitalier.
La synthèse présentée par le numéro de la revue de janvier 2007 tentait de démontrer que les réformes avaient été réelles, et non seulement cosmétiques, mais en aucun cas d’inspiration « libérale » et qu’il n’existe pas plus centralisateur et administré que le mécanisme actuel de financement des hôpitaux (la tarification à l’activité, T2A).
Mais cette décennie de réformes n’ayant jamais donné lieu à de vrais débats sur les enjeux politiques, les acteurs qui ont contribué à leur mise en œuvre l’ont fait avec de nombreuses arrière-pensées.
Et c’est ainsi que la loi Bachelot a progressivement basculé d’un relatif consensus sur la nécessité d’ajuster le dispositif, notamment par une meilleure organisation hospitalière à l’échelon du territoire de santé, vers une franche opposition aux motifs disparates.
Ceux qui ont manifesté l’ont souvent fait sur un déclic, différent pour chacun. Un détail de la loi, une phrase dans un discours qui les a soudainement renforcés dans leur conviction qu’il y avait tromperie. Ce débat sur la loi Hpst et l’assemblage pour le moins hétéroclite des revendications ont finalement révélé plus l’ampleur des inquiétudes qu’une opposition franche à la réforme.
Beaucoup d’acteurs ont interprété la loi à l’aune de dix années de crainte de voir se révéler un dessein non avoué. Les syndicats et les médecins les plus attachés à leur exercice public et au service public hospitalier ont interprété la loi à l’aune de leurs soupçons d’un libéralisme en marche avec en ligne de mire la privatisation du système. Ils ont fondé leurs soupçons sur les choix de terminologie avec le conseil d’administration qui devient un conseil de surveillance, sur la volonté de mise à l’écart des élus locaux (le maire n’est plus président de droit du futur conseil de surveillance), sur le renforcement du pouvoir du directeur (à certaines étapes de la discussion parlementaire, il nommait tous les responsables hospitaliers en interne), sur le renforcement du rôle de l’État avec la transformation des agences régionales de l’hospitalisation en agences régionales de santé, ou encore sur l’extension des missions des cliniques qui pourront désormais participer à la formation des jeunes médecins en accueillant des internes.
L’analyse n’est pas fausse même si le débat aurait pu conduire les mêmes à se féliciter de la fin des dysfonctionnements de la plupart des conseils d’administration d’hôpitaux, de la limitation du pouvoir parfois conservateur des élus locaux, de la nécessité d’un directeur qui pilote réellement, du rôle renforcé de l’État sur ses missions d’organisation et de planification des soins ou encore de la prise de ses responsabilités par le secteur privé, notamment pour l’organisation de la permanence des soins.
Certains ont soupçonné que c’est l’absence de doctrine politique qui conduirait au démantèlement du secteur public hospitalier, d’autres avaient la conviction que les objectifs politiques du gouvernement étaient au contraire manifestes et assumés. Dans les deux cas, et parfois dans le désordre des idées, ils se sont retrouvés pour manifester contre le projet de loi.
Ils n’ont eu qu’à rejoindre dans la rue ceux qui manifestaient principalement pour le maintien des équilibres du moment ; ceux que la loi interpellait sur des points particuliers, comme la liberté d’installation des médecins sur le territoire ou le maintien des chefferies de service. À certaines étapes du débat, les jeunes médecins auraient pu être contraints dans leur installation en fonction des besoins de santé par territoire, point qui a soudainement levé l’opposition des syndicats d’internes et de jeunes spécialistes. Ils étaient soucieux de continuer à bénéficier de la même liberté que leurs aînés, indépendamment souvent de toute considération pour l’intérêt général. Ce mouvement rejoignait également une autre contestation récente, principalement parisienne, contre le changement de mode de rémunération des praticiens exerçant une activité libérale à l’hôpital.
À l’instar du débat de ces dernières années, les acteurs, notamment hospitaliers, se seront finalement mobilisés non pas sur des éléments de choix de politique majeurs, comme les agences régionales de santé, la création des communautés de territoire et plus globalement l’accès aux soins mais sur des points à forte valeur symbolique comme le pouvoir des directeurs.
Pourtant, le monde hospitalier était globalement demandeur d’une poursuite et d’un approfondissement des réformes engagées. Nombre d’hospitaliers étaient favorables à la poursuite de la réforme de la gouvernance, lancée en 2004 par Jean-François Mattei avec la mise en place des pôles hospitaliers, des conseils exécutifs locaux et pour les centres hospitaliers universitaires, à une articulation renforcée entre les directeurs, les présidents des commissions médicales et les doyens de facultés de médecine. À peine installée, cette réforme méritait d’être poursuivie, parfois renforcée et surtout… évaluée. Les premières générations de directeurs et médecins qui l’avaient lancée auraient eu besoin que le temps soit donné à leurs successeurs pour installer ces organisations de manière plus pérenne dans le décor hospitalier.
La plupart des tribunes et autres plates-formes de revendications des médecins demandaient par exemple un renforcement du rôle de contrôle et de planification de l’État sur les mécanismes de financement à l’activité, plus que l’abandon de la tarification à l’activité. Si les contrats d’objectifs initialement prévus pour assurer cette régulation ont pu être conclus, ils n’ont jamais été suffisamment précis pour rassurer les acteurs contre le risque de stratégies sélectives, des cliniques privées comme des hôpitaux publics, avec la prise en charge des patients les plus rentables. Et même si la formule est plus simpliste que la complexité du système ne le permettrait, il est un fait que la tarification à l’activité peut conduire à des stratégies inopportunes et qu’il n’existe actuellement ni mécanisme efficace de contrôle ni comité d’éthique chargé de s’assurer de la cohérence du système et de la préservation de l’intérêt général.
Dans un autre domaine, les 35 heures avaient profondément déstructuré le contrat social interne et le rapport au travail des hospitaliers. Pour les médecins notamment, les 35 heures avaient mis brutalement fin à un contrat tacite de bénévolat. Face à ces changements aussi fondamentaux, les acteurs de l’hôpital étaient en attente d’une réflexion sur les valeurs du métier, l’évolution des relations entre médecins et personnel infirmier et sur le développement des nouvelles compétences en appui à l’augmentation inéluctable des prises en charge de patients atteints de pathologies chroniques. N’avoir jamais ouvert ces débats fondamentaux sur l’organisation des ressources humaines depuis la loi sur les 35 heures est pratiquement vécu comme un déni de justice par les personnels hospitaliers.
« Hôpital-entreprise » contre État fort : un discours contradictoire
L’analyse sur l’inspiration libérale, ou non, de cette loi est brouillée par une suite de contradictions. Sur le rôle du directeur, véritable point de crispation du mouvement de contestation, le discours et les symboles sont largement empruntés au monde de l’entreprise (le directeur « patron ») alors que le contenu de la loi relevait plus d’une approche de type « préfectoral » avec la nomination des directeurs de Chu en Conseil des ministres et celle des autres directement par le directeur de l’agence régionale de santé.
Sur l’installation des médecins, le projet de loi pour la première fois osait le débat de la restriction de la liberté d’installation. Dans le même temps, il proposait l’extension de contrats « sur objectif » dans l’hôpital public.
Sur les cliniques privées, tout en vantant implicitement leur efficience comparée à l’hôpital public avec le refus d’abandonner l’objectif de convergence des règles de tarification, la loi – pour la première fois également – posait la question de la participation de ces mêmes cliniques au service public de santé, les débats allant jusqu’aux détails des modalités de licenciement de médecins qui refuseraient d’en assumer la charge.
Là encore, la loi multipliait les initiatives sans assumer clairement une idée directrice, laissant à chacun le soin d’interpréter si les hésitations dans l’orientation de la loi relevaient du jeu des lobbies, des intentions mal assumées vers un démantèlement du service public, ou de la meilleure des tactiques pour trouver un chemin dans une forêt de corporatismes.
À l’hôpital, à l’université : quel enjeu politique pour quelles réformes ?
Les débats et les oppositions autour de la partie hospitalière de la loi Hpst ont pris racine dans le mouvement des enseignants-chercheurs. Rien n’aurait pourtant dû rapprocher le débat sur la réforme des universités de celui sur l’hôpital. Au-delà du fait évident que certains enseignants-chercheurs et même présidents d’université sont également médecins, le point de départ des deux réformes et leurs objectifs avaient peu en commun. Paradoxalement même, alors qu’il était question de renforcer l’autonomie des universités au nom de la liberté dont elles avaient besoin pour s’adapter, il est plutôt question de limiter l’autonomie des hôpitaux en vue de les contraindre aux réorganisations et à l’équilibre budgétaire.
Le point commun des positions du gouvernement, des défenseurs ou opposants aux réformes est l’ambiguïté du projet politique et, parfois, l’absence même de vision d’avenir claire. Les discours ne portent le plus souvent pas de projet politique du service public hospitalier. Certaines réformes techniques comme le financement par la tarification à l’activité finissent par tenir lieu de stratégie et constituer de facto une vision politique de l’avenir de l’hôpital lorsqu’elles devraient se contenter de décliner techniquement une philosophie politique de la santé. De même, la nouvelle gouvernance hospitalière est autant la résultante d’une vision du fonctionnement de l’hôpital qu’elle en constitue la principale inspiration. En l’absence de paradigmes politiques et de réflexions sur le service public hospitalier, le devenir de l’hôpital semble aujourd’hui autant entre les mains de parlementaires que de statisticiens ou contrôleurs de gestion et c’est le sens même des missions de soins, d’enseignement ou de recherche des hôpitaux qui reste à définir.
Dommage que le débat politique sur la loi soit terminé. Il commençait tout juste.
19 juin 2009
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Respectivement directeur de l’Hôtel-Dieu à Paris et doyen de la faculté de médecine d’Angers. Voir leurs contributions dans le dossier « L’hôpital en mouvement », Esprit, janvier 2007.