La Russie, entre livre unique et livre éclaté
Les Russes ont pendant longtemps été les lecteurs d’un seul livre : le psautier. Mais quid du livre de chevet aujourd’hui, du livre unique que l’on lit et relit, et où l’on vient se ressourcer ? Si le samizdat a joué son rôle historique et passé son temps, les classiques sont loin d’avoir achevé leur carrière. Le grand Pouchkine, avant tous, a bousculé le genre romanesque et émancipé la littérature russe de la référence au livre unique.
Timeo hominem unius libri [Je crains l’homme d’un seul livre], dit un proverbe latin inscrit au fronton de la Société de lecture de Genève. Les Russes ont pendant longtemps été des lecteurs d’un seul livre : le psautier. C’est dans le psautier que le Russe apprenait à lire, qu’il fût noble ou de petite extrace. Le psautier slavon a laissé des traces ineffaçables dans la psyché russe ; le profond sentiment religieux lié à la lecture faisait qu’en effet l’homme russe médiéval, l’homme russe du peuple bien longtemps plus tard était l’homme d’un seul livre, le livre. Et il en est resté la profonde conviction que le livre doit dire toute la vérité et que plusieurs livres ne peuvent que mentir. Les schismatiques de la Vieille foi, dits raskolniks, eurent, bien entendu, leurs propres livres sacrés, et surtout cette étonnante Vie de l’archiprêtre Avvakoum, monument de modernisme expressif enté sur une structure mentale médiévale, livre d’imprécation et de consolation qui, comme les grands prophètes juifs, accompagnait le vieux-croyant durant toute sa vie. Et les ouvrages portant sur le livre sacré d’Avvakoum en devenaient eux-mêmes sacrés : je me souviens avoir vu une sorte d’ostentation du livre en français de mon maître Pierre Pascal sur Avvakoum et les débuts du raskol, qui était préservé au cimetière de Rogojskoe, en pleine période soviétique, comme une sorte de bible, personne pourtant ne pouvait le lire car il était en français… On en voit l’effet dans la trilogie biographique de Gorki, racontant sa naissance à la lecture grâce au psautier, et dans bien d’autres ouvrages qui racontent la culture acquise dans le peuple. Bien sûr l’aristocratie connaissait le pluralisme des livres, elle avait sa bibliothèque, encore que celle-ci soit longtemps restée très limitée. On sait que la bibliothèque de théologie d’Ivan IV reste quelque part scellée dans les murs du Kremlin : c’était un objet d’opprobre, du fait qu’il y avait des ouvrages des alloslaves, hérétiques latins ou réformés… André Siniavski a étudié ce sentiment presque mystique qui relie le Russe au livre : même après une certaine sécularisation, l’idée est restée ancrée que le livre devait être un livre total, disant toute la vérité. Non pas le livre absolu et impossible de Mallarmé, mais le livre de la révélation, le livre de la vie. Gogol a été hanté par cette idée, ses Âmes mortes se voulaient un livre unique, comme la Divine comédie de Dante, une transposition de l’ambition médiévale dans les temps modernes, où tout serait dit sur la façon de refonder le monde, d’exploiter ses vices pour le bénéfice du salut. Gogol a toujours été persécuté mentalement par l’idée de l’échec, précisément du fait de cette ambition médiévale. Il acheva sa vie tourmentée par une sorte de manuel de vie, de livre spirituel pour la direction des âmes, les Extraits de la correspondance avec mes amis, s’attirant les foudres du critique Bielinski précisément parce qu’il voulait diriger les âmes. Tolstoï aussi, grand esprit religieux, voulait, quoiqu’en dissidence avec son temps et avec la religion établie, écrire un livre à vivre, et ses trois grands romans présentent tous, à des titres divers, cette ambition de direction des âmes. Dostoïevski acheva sa vie avec le même type d’ambition, lorsqu’il écrivit les Frères Karamazov, où non seulement le starets Zossime envoie Aliocha dans le monde avec une mission d’éclairer le siècle, mais tout le livre, inachevé, devait prendre la forme d’une sortie du monastère vers le monde. En un sens, le livre hagiographique soviétique du type du roman d’Ostrovski Et l’acier fut trempé relève également de ce genre, mais abâtardi.
Les classiques russes
L’homme russe devait donc avoir des livres de chevet, c’est-à-dire des livres qui l’accompagnent toute sa vie, des livres de vie, des livres d’édification. Lorsque la culture russe s’émancipa de l’Église, se modernisa et s’européanisa, au xviiie siècle, elle resta tributaire d’une conception didactique, édificatrice de la littérature. Aussi le classicisme russe du siècle des Lumières ne donna pas de très grands chefs-d’œuvre. Mais au début du xixe siècle, quand l’influence française se fit plus forte, que les « modernes » l’emportèrent sur les « anciens », et qu’apparut un jeune prodige appelé Pouchkine, il revint précisément à Pouchkine d’écrire ce qui devait rester un livre de chevet pour bien des Russes de génération en génération, et jusqu’à aujourd’hui. Eugène Onéguine est ce livre, aussi devons-nous nous y arrêter. Les huit chapitres de ce roman en vers (des tétramètres iambiques), sa strophe si originale, inventée par Pouchkine (trois quatrains aux rimes alternées, plates et embrassées, plus un distique final), en font un long chapelet versifié que beaucoup de Russes mémorisent encore aujourd’hui. Qui en tout cas n’a pas tenté de maîtriser en sa mémoire les 5 541 vers du poème, aidé par la structure de la strophe onéguinienne et par les rimes astucieuses du poète ? Plusieurs de mes amis ont su le poème par cœur à plusieurs étapes de leur existence, mais bien sûr il ne reste pas intégralement et à jamais dans les tablettes de la mémoire. Pourquoi le poème est-il devenu un poème national, et pourquoi a-t-il été un livre de chevet par-delà les distinctions sociales et même les révolutions qui ont secoué la Russie ? Probablement parce que ce poème dit la profonde dichotomie de l’âme russe entre le désordre et l’ordre, parce qu’il est un reflet de la géographie mentale de la nation avec ses noms de familles si russes, mais qui découlent des noms de fleuves : Onéga, ou Lena, pour Onéguine et Lenski, parce qu’il donne le rythme même de la vie russe avec son enracinement si profond, jusqu’à aujourd’hui, dans l’espace rural, et avec l’inévitable déracinement, la biglossie, la biculture, le « double pouvoir » en chaque âme russe : l’un venu de la ruralité, de la foi russe (elle-même un mélange de paganisme, de superstitions et de christianisme), l’autre venu de l’Europe, des Lumières, de la civilisation du xviiie siècle que la Russie sut porter à un si haut degré. Entre la métaphore antique, la pointe ironique, l’observation malicieuse de la campagne, la chronique des mœurs, la sténographie des conversations de salons et l’émoi secret des cours, Eugène Onéguine donne l’impression d’effectuer un vaste tour initiatique de la vie russe. Dostoïevski, en 1880, dans un très célèbre discours publié dans le Journal d’un écrivain, a attribué l’universalisme du poème à la leçon de soumission au rythme du monde que donne l’héroïne, Tatiana, au héros : soumission à la loi, soumission à l’ordre malgré le désordre intérieur. Et cette soumission secrète représente, écrit-il, la leçon que Pouchkine donne au cœur russe séditieux. Pouchkine est notre tout, a dit le poète Apollon Grigoriev, formule d’autant plus surprenante que Pouchkine est un produit de la culture française et de la haute éducation au Lycée impérial : mais ce « tout » est resté dans la psyché russe du fait de la prodigieuse souplesse stylistique du poème à l’intérieur du corset jamais en défaut de la strophe onéguinienne. Ni les poèmes populistes de Nikolaï Nekrassov ni les romances du poète Fer n’auront jamais le statut de livre de chevet qu’aura eu Eugène Onéguine. À l’époque soviétique, peut-être, un poème long aura un statut quelque peu similaire : le Vassili Tiorkine d’Alexandre Tvardovski. Le poème dit les tribulations du paysan Tiorkine durant la Deuxième Guerre mondiale. Il est écrit en vers trochaïques de quatre pieds, alors que le poème de Pouchkine est en vers iambiques, c’est-à-dire qu’au rythme fringant et « occidental » de Pouchkine répond le rythme campagnard, populaire de Tvardovski, et qu’au héros mondain, blasé, et soumis à la leçon de soumission, à la loi que lui dicte Tatiana, répond le héros gouailleur, « peuple » et débrouillard de Tvardovski, mais lui aussi soumis à un destin qui le dépasse de loin. À la subtile leçon du monde répond la lourde leçon de la « vérité » de la guerre. Tiorkine a aussi été un livre de chevet, un livre où des générations de Soviétiques ont reconnu la vérité, surtout lorsqu’ils ont reçu par le samizdat la suite inédite de Tiorkine, ce Tiorkine en enfer, qui circulait sous le manteau quand j’étais moi-même étudiant en Russie dans les années 1950. Au Dégel, les Russes n’eurent pas des livres de chevet, mais des enregistrements de chevet, si l’on peut dire : ce furent les cassettes Boulat Okoudjava et Alexandre Galitch. Ils furent à eux seuls bien plus que Brassens et Piaf mis ensemble : c’était la fronde et la nostalgie, la soumission et la plainte qui s’expriment par ces « voix de chevet » ; leur diffusion fut inouïe, et il n’est pas exagéré de dire que ces deux voix-là ont fait tomber le monument totalitaire.
Lecture clandestine
Mon ami, l’écrivain Victor Nekrassov, lorsque je fis sa connaissance, en était à sa septième relecture de Guerre et Paix de Tolstoï. Autrement dit, le plus long des trois romans de Tolstoï est certainement, lui aussi, un livre de chevet. Comme le roman en vers de Pouchkine, il fait accomplir au lecteur russe une sorte de révolution complète, biographique, idéologique, intellectuelle : non seulement il marie, comme le dit son titre, emprunté à Proudhon, l’intime et le familial, la paix avec la guerre, le public et l’historique, mais surtout il fait passer tous les héros par l’épreuve de la vie, la désillusion venue de la guerre comme de la paix, et cette école de vérité leur apprend à désapprendre. Car Tolstoï invite essentiellement à adopter une autre vision, à renoncer aux explications rationnelles et idéologiques, à se confier au rythme même de la vie, et son roman, qui nous fait traverser tant de souffrances collectives, tant de recherches individuelles de la vérité, nous fait aussi avancer tout simplement dans la marche des générations : commencé dans la nursery, il s’achève dans la nursery, seulement la roue a tourné d’une génération entière. Livre de chevet, Guerre et Paix le fut parce qu’il donnait une leçon très russe : une leçon fondée sur l’abandon par le seigneur russe de sa culture européenne, et sa découverte d’une sorte de sagesse du peuple, inconsciente mais forte, symbolisée par Platon Karataïev et manifestée dans des bribes de phrases détournées de leur sens, des visions du sens dernier de la vie à l’occasion de trébuchements de la langue et de mots mal entendus. Natacha et Pierre, le prince André, la leçon de sagesse donnée par le vieux chêne, le désordre de la bataille, et l’ordre mystérieux du désordre : voilà les grandes leçons d’un livre qui reste effectivement un livre de chevet pour tous les lecteurs russes au moins à une étape de leur vie, même si tous ne le relisent pas sept fois comme ce grand enfant qu’était Nekrassov, l’auteur d’un petit et beau livre sur les leçons de la guerre, Dans les tranchées de Stalingrad. Un livre de chevet est forcément un livre d’éducation, d’apprentissage : Tolstoï apprend à se simplifier, à se défaire de la culture, du rationalisme, de l’acquis. Et cette leçon reste à jamais parce qu’elle comble un appel intérieur de la psyché russe.
Samizdat : le mot recouvre une réalité mystique du livre, le livre interdit, le livre qu’on se passe dans la clandestinité : par le samizdat, le livre préservait son statut de révélation mystique, de livre unique et sacré. Vassili Tiorkine en enfer, complément interdit au poème officiel, circula en samizdat. Une anecdote de l’époque soviétique disait qu’une grand-mère surprise à recopier Guerre et Paix tous les soirs dans un cahier d’écolier expliquait : je veux que ma petite-fille lise le livre de Tolstoï et elle n’accepte de lire que du samizdat. En un sens Tolstoï, dès son vivant, avait connu le samizdat : la version non expurgée de Résurrection a circulé ainsi ; En quoi consiste ma foi et bien d’autres écrits condamnés par l’Église officielle ont également été recopiés en sous-main et ont circulé sous le manteau ; j’ai moi-même un tel exemplaire, relié en cuir noir, et datant de la fin du siècle dernier. Comment ne pas évoquer la période enflammée des lecteurs de samizdat, ceux qui recevaient un texte tapé à la machine, ou encore recopié à la main, pour une ou deux nuits, des nuits blanches passées à avaler des textes qui en recevaient évidemment un sens tout transfiguré ? Livres non de chevet, mais de nuit, de nuit blanche, et dont la trace était bien plus forte que celle d’un livre lu dans le processus normal. Le poème d’Anna Akhmatova par exemple, le Poème sans héros, fit partie de ces textes clandestins qui flamboyaient mystérieusement, ou encore les Notes sur Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa, ou encore les Mémoires de Nadejda Mandelstam. C’étaient des textes qui sacralisaient les grands poètes du souterrain : Akhmatova ou Mandelstam, qui leur servaient de talmud mystique. Soljénitsyne eut naturellement son heure de lecture enflammée, lui aussi, quand il fallait lire le Pavillon des cancéreux en une grande nuit blanche, avaler l’Archipel du Goulag en trois nuits. On en sortait éreinté, mais également métamorphosé.
Mais y avait-il des auteurs « autorisés » que l’on puisse cataloguer dans les livres de chevet ? Certes la génération des communistes enthousiastes, qui a existé dans les années 1920-1930, a eu ses livres de chevet, dont certains livres d’édification socialiste qui nous semblent si indigestes, comme Et l’acier fut trempé, déjà mentionné, et qui date de 1934. Mais il y eut surtout des livres mi-autorisés, publiés avec retard et à petits tirages, introuvables, et de ce fait encore plus désirables. D’abord le poète Essenine : la gouaille, le lyrisme tendre, le désespoir de ce jeune prodige poétique sorti de la campagne russe – il se suicida après avoir rallié la révolution et senti qu’elle écraserait tout son monde intime –, Essenine le confident des cœurs, le livre de chevet, le livre des mémoires. Pour son unique exemplaire se bat un des zeks de Soljénitsyne au goulag. Il y eut aussi les livres satiriques d’Ilf et de Petrov, le Veau d’or et les Douze chaises : une multitude d’expressions passèrent dans la vie courante, on parlait ilf-petrovien comme langue de ralliement, une façon de dominer le quotidien, de persifler la bureaucratie, de célébrer les petits malins. La répartition de ces chefs-d’œuvre dans le milieu des années 1950 fut un événement pour des millions de gens, les arma de mots cocasses pour affronter la vie mesquine et ritualisée soviétique. Le héros principal, « le grand combinateur » Ostap Bender, a acquis une véritable existence indépendante de ses créateurs, et une multitude de ses réparties cocasses et expressions paradoxales sont passées en proverbe. Encore aujourd’hui tout Russe rit sous cape rien qu’en pensant à Ostap et aux douze chaises dans l’une desquelles sont cachés les diamants. Un peu plus tard, dans les années 1970, deux frères qui écrivaient ensemble, les frères Strougatski, occupèrent à leur tour les esprits par leurs récits fantastiques, d’anticipation et de satire indirecte : on les lisait avec passion, on vivait dans leur monde, sur leur « pente » (un de leurs meilleurs livres est l’Escargot sur la pente).
L’arrivée des best-sellers
La censure, le monopole d’édition, la dissidence, les ouvrages mi-tolérés mi-interdits comme les Douze chaises n’ont aujourd’hui plus leur place dans une société russe qui est depuis dix ans ouverte à tous les vents, surtout dans le domaine de l’édition. Des phénomènes typiquement occidentaux sont apparus : la vogue des hebdomadaires, par exemple, ces succédanés de la culture qui paralysent la vraie lecture en mobilisant les heures de loisir. Et, bien entendu, les thèmes interdits et tous ceux qui se situaient dans la frange entre le permis et l’interdit s’étalent aujourd’hui à l’envi. Il ne reste plus guère de place pour les livres de chevet, et la Russie n’en a peut-être guère plus actuellement que n’en a l’Occident. Pourtant, d’étranges emportements ont été notés sur le marché de la lecture. Ce fut, au début des années 1990, l’incroyable engouement pour l’écrivain anglais Tolkien, un engouement qui dépassait largement les frontières de la jeunesse. Des clubs de jeunes tolkienistes apparurent partout, les éditions russes de Tolkien inondèrent le marché, s’étalèrent dans les couloirs du métro, au sortir des bouches de métro, sur les marchés des banlieues et des bourgades. L’engouement est un peu passé aujourd’hui, mais Tolkien reste sûrement un des auteurs les plus vendus et les plus chéris. Puis apparut Marinina : cette femme ancien officier de police est devenue en l’espace d’une demi-décennie un auteur de best-sellers, une présence forte sur le marché de la lecture, et même plus encore : elle compense à elle seule des décennies de famine dans ce domaine. Les romans policiers qu’elle produit à un rythme très soutenu ont pour cadre la Russie d’aujourd’hui avec sa criminalité diffuse, ses mœurs relâchées, ses différents jargons. Son succès étonnant tient évidemment au mariage d’une bonne étude de mœurs avec des intrigues constamment renouvelées et qui diffèrent tout à fait des classiques du genre (ce qui lui vaut d’ailleurs d’être traduite en plusieurs langues). L’étoile de Marinina n’a pas faibli, mais une autre étoile est apparue dans un genre bien différent : le roman historique. Son auteur se cache sous un pseudonyme, B. Akounine, ce qui donne le nom de l’anarchiste princier Bakounine. En fait, il s’agit d’un homme de lettres, rédacteur en chef de Littérature étrangère, une des grandes revues. Ses romans ont le charme du coloris historique, du dépaysement, et mettent en scène des protagonistes intrépides qui ont quelque chose des héros de Dumas père. Ils sont situés au xixe siècle, pendant la guerre avec la Turquie, à la fin de la décennie 1870 pour la plupart.
Mais quid du livre de chevet, du livre unique que l’on lit et relit, où l’on vient se ressourcer aux heures d’acédie ou de désespoir ? Eh bien, ce livre-là probablement n’existe plus, hormis les classiques dont j’ai déjà parlé et qui sont loin d’avoir achevé leur carrière. Certes il y a bien parmi les « postmodernistes » un auteur préféré, Pélévine, ingénieur dont le hobby est d’écrire des textes savamment labyrinthiques, contrefaçons ironiques de tous les genres classiques, inspirées par la parodie, l’humour et une sorte de philosophie orientale qui s’explique par la conversion de l’auteur au bouddhisme. La satire de Pélévine porte tout autant sur les anecdotes et le folklore de l’époque soviétique que sur le patchwork des stéréotypes américano-russes qui encombrent à l’heure actuelle la psyché russe. Pélévine est traduit en français, mais une large part de ses pirouettes et sarcasmes parodiques ne passe pas le mur de la traduction.
Ainsi nul risque aujourd’hui que la Russie devienne ou plutôt redevienne le pays d’un seul livre ! Voyez la poésie postmoderne avec ses textes aléatoires, comme les cartes que le poète Gandlevski bat à chaque nouvelle lecture de ses vers, de façon à ce que le texte ne soit jamais le même, et qu’il n’ait aucune chance de jamais réapparaître dans l’esprit du lecteur sous la forme première, qui a été abolie. Reste Pouchkine qui, à sa façon, était postmoderne, se moquant des lois du genre romanesque, plaçant sa préface à Eugène Onéguine à la fin du chapitre VII.
J’ai rendu hommage au classicisme.
Un peu tard, mais nous avons la préface !
Ainsi dirons-nous avec lui : j’ai rendu hommage au livre de chevet russe, un peu tard, mais nous sommes sûrs qu’il ne mourra pas !
- *.
Cet article est tout d’abord paru dans un recueil consacré aux Livres de chevet pour une nuit, pour une vie, dirigé par Gérald Cohen, Paris, Autrement, 2001. Il sera repris dans Vivre en russe, Paris, L’Âge d’homme, 2007.