
La personne au centre
Entretien avec Julia Kristeva
Julia Kristeva revient sur l’affaire de diffamation dont elle a fait l’objet, analyse le nouveau communautarisme des colères, évoque son engagement psychanalytique, son athéisme et son intérêt pour la foi, le féminisme et la notion européenne de personne.
Georges Nivat – Revenons pour commencer sur la pénible affaire qui a vu, en mars 2018, des journaux français et américains faire état d’informations provenant d’une Commission officielle des archives de la sécurité d’État bulgare, qui semblaient indiquer que vous auriez été recrutée comme agent, dans les années 1970, par les services secrets bulgares. Comment comprendre que ces archives aient refait surface de cette façon, et surtout, que des journaux comme L’Obs et le New Yorker aient pu relayer ces informations sans aucune précaution ?
Julia Kristeva – Cette « affaire » est importante en effet parce qu’elle révèle que l’accélération médiatique préfère embaumer la mémoire de l’Europe totalitaire – qui ne manque pas de resurgir sous la forme d’une revanche nationaliste – plutôt que de s’atteler à une véritable réévaluation de ce désastre historique. J’ai été très choquée qu’un journal comme L’Obs puisse se précipiter sur ces prétendues révélations sans s’interroger un instant sur les manœuvres de la police secrète bulgare. Les rédacteurs du Monde, eux, ayant repris l’information après la publication des premiers articles accusateurs, l’ont accompagnée d’un article de l’historienne Sonia Combe, qui mettait les lecteurs en garde contre les conclusions hâtives de ces dossiers trafiqués et falsifiés[1].
L’attaque fut très brutale. Un jour, j’ai reçu des messages d’une p