
Entre Albert Camus et André Malraux : cette rencontre qui n’eut pas lieu
Des années 1940 à 1970, Camus, l’enfant de la Méditerranée, découvre l’univers germanopratin de son aîné et mentor Malraux. En dépit de l’apparente proximité de leurs combats résistants et humanistes et une grandeur spirituelle commune, s’affrontent en réalité deux conceptions de l’art, de la condition humaine, du monde et de la justice.
Si nous appelons rencontre moins une mise en présence qu’une mise en tension réciproque entre deux ou plusieurs personnes, un mouvement de décentrement de soi vers l’Autre, une rencontre entre l’aîné (Malraux) et le cadet (Camus) ne se produisit pas vraiment.
Albert Camus, André Malraux, Jean-Paul Sartre, parmi d’autres, ne pouvaient pas ne pas se croiser dans ce haut lieu parisien de la pensée qu'était le siège des éditions Gallimard. Malraux est alors déjà une figure reconnue, imposante, incontestée, Prix Goncourt en 1933 pour La condition humaine. Par rapport à Camus, compte tenu de leur différence d’âge et d’aura intellectuelle, il jouerait presque le rôle de père et de conseiller littéraire. Ce père dont Camus éprouve cruellement le manque, après la disparition du sien. Mais un père théâtralement égocentré, dans une mise en scène constante de lui-même, volontiers hautain : le contraire de la modestie et de la sensibilité de Camus.
Sensibilité excessive sans doute, cachée sous un voile de pudeur, à l’inverse de cette insensibilité où Malraux s’emmurait – peut-être par désir de protection, peut-être aussi parce qu’il était viscéralement convaincu que son histoire individuelle avait vocation à se confondre avec la « grande Histoire » dans laquelle elle devait se dissoudre. Chez Camus, la sensation est au départ de l’idée, et l’amour passe avant la morale. Chez Malraux, les fulgurations de l’idée, ou de l’intuition, étouffent la sensation d