
Albert Camus et la revue Esprit (1944-1976)
Avec cette conférence donnée à l'École normale supérieure en 2007, Jeanyves Guérin propose de décaler le regard souvent concentré sur les relations de Camus avec les Temps Modernes pour s'interroger sur ses relations, non moins significatives et éclairantes, avec la revue Esprit. Coordinateur du Dictionnaire Camus paru chez Robert Laffont en 2009, il a aussi été un contributeur important de la revue, et a notamment présenté une analyse du dernier roman d'Albert Camus, le Premier homme.
Nous vous proposons également une traversée des archives d'Esprit, à travers un certain nombre d'articles sur Camus. Camus lui-même ne publie qu'un texte dans Esprit, un appel en faveur de syndicalistes espagnols condamnés à mort par le régime de Franco, qu'il avait lancé lors d'un meeting salle Wagram en février 1952. Mais la revue revient souvent, au fil des ans, sur son oeuvre et son parcours. En janvier 1950, dans un numéro intitulé "Les carrefours de Camus", Rachel Bespaloff fait le portrait, à travers ses oeuvres, d'un Camus intranquille, à la fois sceptique et passionné. Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue, mort peu de temps après la parution de ce numéro (en mars de la même année) lui consacre un long article, et parle lui aussi de cette "passion de discipline": "Même quand il dialogue, écrit Mounier, Camus semble toujours lutter contre un abandon."

Albert Béguin (directeur d'Esprit de 1950 à 1957), consacre un article à L'homme révolté en 1952, dans lequel il analyse la notion de "pureté" et d'innocence, récurrente dans l'oeuvre de Camus, ainsi que les polémiques suscitées par le livre au moment de sa parution. Jean Conilh, quelques années plus tard, continue ce suivi de l'oeuvre camusienne en pointant le danger d'une pensée de l'exil, qui peut mener à l'indifférence. Pour lui, l'abandon du royaume risque de faire sombrer l'espoir. Cet espoir, Jean-Marie Domenach (directeur d'Esprit de 1957 à 1976) le voit porté par les engagements de Camus, dans un bref article publié en sa mémoire, peu de temps après sa mort prématurée, en 1960 : "Aucun contemporain n'a tenu une telle place parmi nous (…). C'était un compagnon de nos jours".
La fin de sa vie est marquée par la question algérienne, qu'il explore dans les Chroniques algériennes et le Premier homme (son dernier roman, demeuré inachevé). Jeanyves Guérin analyse ces deux oeuvres, et fait le portrait de Camus en "homme-mémoire de l'Algérie". Benjamin Stora, quant à lui, décrit l'attribution du Prix Nobel de littérature à Camus en 1957, les polémiques qu'elle a suscitées et la concomitance du prix avec la controverse autour des positions de Camus sur la guerre d'Algérie.
Enfin, Guy Samama imagine une rencontre intellectuelle entre Simone Weil et Albert Camus, la rebelle et le révolté.