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Douala, Cameroun. piqsels.com
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L’autodestruction du Cameroun

septembre 2021

Au Cameroun, les affrontements entre séparatistes et armée régulière menacent de plonger le pays dans la guerre civile. La médiation de la communauté internationale, doublée d’une réforme institutionnelle, est indispensable pour mettre fin à l’escalade de violence dans un État rattrapé par son héritage colonial.

La situation se dégrade de plus en plus dans les régions anglophones du Cameroun. La violence, la destruction, les assassinats et l’horreur sont le quotidien des populations. La communauté internationale s’inquiète d’un risque de généralisation de la guerre civile au regard des affrontements entre les séparatistes et l’armée régulière. Ils résultent d’une décolonisation mal négociée et inachevée, qui a conduit à la rupture entre le gouvernement et la minorité anglophone depuis l’indépendance du Cameroun.

Un État, deux communautés

La création de l’État du Cameroun date de la conférence de Berlin de 1884 sur le partage de l’Afrique entre les puissances coloniales. Situé en Afrique centrale, au cœur du golfe de Guinée, avec près de 750 000 km2 de superficie, le Cameroun, alors sous protectorat allemand, comptait parmi les plus grandes colonies de peuplement. À la suite de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles voit l’Allemagne renoncer à ses territoires d’outre-mer : la partie orientale du Cameroun est administrée par la France et sa partie occidentale par l’Angleterre.

Le vent des indépendances qui va souffler sur l’Afrique verra la naissance, le 1er janvier 1960, de l’État indépendant du Cameroun oriental francophone. Le Cameroun occidental, toujours sous administration britannique (qui octroie un certain nombre de compétences aux collectivités locales, contrairement au système d’administration directe de la France), enclenche son processus de décolonisation. À l’issue d’un plébiscite organisé par l’ONU en février 1961, le Northern-Cameroons choisit le rattachement au Nigeria tandis que le Southern-Cameroons opte pour le rattachement au Cameroun oriental.

Les conférences de Bamenda en juin 1961, de Foumban en juillet 1961 et de Yaoundé en août 1961 définissent les bases de la réunification des deux États dans un État fédéral, ce qui a lieu le 1er octobre 1961. La cohabitation, d’abord pacifique, va rapidement se détériorer du fait des antagonismes entre les dirigeants des États fédérés et des velléités francophones d’hégémonie.

La forme de l’État est sujette à discorde et connaît plusieurs changements : République unie du Cameroun en 1972, puis République du Cameroun en 1984, avec des pouvoirs accrus pour le chef de l’État. À ce jour, le Cameroun n’a connu que deux présidents de la République, tous deux issus de la partie francophone. L’absence d’alternance démocratique, la concentration du pouvoir, l’appauvrissement des populations, l’autonomie limitée des communautés et la corruption vont progressivement nourrir les volontés séparatistes. Le sentiment d’exclusion des anglophones est renforcé par le manque d’infrastructures dans leur région, par leur faible représentation dans l’administration et par l’absence de considération de leur histoire dans les institutions. C’est dans ce contexte que germe l’idée d’autodétermination, voire d’indépendance, dans l’administration, la diaspora et les organisations de la société civile.

À ce jour, le Cameroun n’a connu que deux présidents de la République, tous deux issus de la partie francophone.

Vers la guerre civile

Tout est parti de la répression d’une manifestation pacifique organisée par des avocats et des enseignants anglophones, le 19 novembre 2016, dans la ville de Bamenda. Des acteurs de la société civile et la diaspora coordonnent alors, notamment grâce aux réseaux sociaux, des actions de désobéissance civile et des opérations « villes mortes » dans l’ensemble des régions anglophones.

Tout en appelant au dialogue, le gouvernement procède à des arrestations et coupe l’accès à Internet. Face au blocus maintenu dans les villes, le gouvernement concède l’organisation de plusieurs concours spéciaux pour le recrutement des élèves magistrats et greffiers d’expression anglaise, la réintroduction dans la formation de ces derniers de la Common Law, un recrutement spécial de plus de 1 500 enseignants bilingues, la création de facultés de médecine et d’ingénierie dans les universités anglo-saxonnes, la création d’une commission chargée du bilinguisme et du multiculturalisme, le rétablissement d’Internet et la libération d’une grande partie des contestataires.

Mais cela ne suffit pas : le 1er octobre 2017, les séparatistes proclament l’indépendance de la République fédérale d’Ambazonie. On assiste alors à une répression de tous les manifestants sortis pour les festivités, à l’arrestation de plusieurs militants et au maintien des opérations militaires dans les zones concernées. Plusieurs milices armées, appelées Ambazonia Defense Forces, apparaissent et prennent pour cible l’armée régulière, les représentants de l’administration centrale et les civils qui ne respectent pas les mesures édictées par les dirigeants de la contestation.

Les conséquences de cette guerre civile sont terribles : plus de 700 soldats et de 5 000 civils tués, 45 000 personnes réfugiées au Nigeria, en grande partie des femmes et des enfants, dont la scolarisation est sévèrement compromise ; plus d’un demi-million de Camerounais ont dû fuir leur domicile. Si la justice par le tribunal militaire a reconnu la culpabilité des soldats de l’armée camerounaise dans le massacre de Ngarbuh de 2019, le flou demeure sur les auteurs des autres massacres. Faute d’une enquête indépendante et internationale pour déterminer les auteurs des différents massacres perpétrés dans ces régions, les protagonistes du conflit se rejettent mutuellement la responsabilité.

En plus des dégâts humains, on peut souligner plusieurs pertes économiques : un manque à gagner de 269 milliards de francs CFA pour les entreprises, donc de 6 milliards pour l’État en recettes fiscales ; 8 000 emplois perdus dans le secteur agro-industriel, qui viennent s’ajouter aux 6 400 emplois perdus sur les sites à l’arrêt à cause de la guerre civile ; un taux de chômage de 23 % dans l’agriculture ; une chute des recettes d’exportations (cacao, café) évaluée à 20 % ; un taux de croissance ralenti à 2 % (avec un taux d’inflation de 3, 5 %).

Vers la paix ?

Il est encore possible d’arrêter cette guerre grâce à l’instauration d’un cessez-le-feu, la libération des prisonniers et l’ouverture d’un dialogue politique inclusif, y compris avec les séparatistes, concernant la réforme de l’État et du système électoral. La communauté internationale peut faire pression, notamment par la menace de sanctions, pour inviter les protagonistes du conflit à la table des discussions, sous l’égide de l’Union africaine, des Nations unies et des partenaires stratégiques du Cameroun.

Une réforme institutionnelle et politique favoriserait l’alternance démocratique, au détriment de la concentration du pouvoir, qui est détenu depuis novembre 1982 par le président Paul Biya et ses affidés du parti unique Union nationale camerounaise. En effet, le statu quo observé depuis près de quarante ans conduit à l’autodestruction de l’État, avec le risque que le pays ne devienne un terreau du terrorisme, déjà actif dans sa partie septentrionale avec Boko Haram.

Hippolyte Éric Djounguep

Spécialiste des études africaines, chercheur à l’Université du Québec (Trois-Rivières), il a notamment publié, avec Gertrude Nga Kala, Crise anglophone au Cameroun. Guerre sauvage ? (Generis, 2020).

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