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Dans le même numéro

Que reste-t-il des chrétiens de gauche ?

novembre 2012

#Divers

Repère

Que reste-t-il des chrétiens de gauche ?

À propos de…

• Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (sous la dir. de), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2012, 622 p., 27 €

Une histoire brève mais fertile

Les auteurs en conviennent : les chrétiens de gauche, pas seulement les catholiques mais aussi les protestants de gauche, ne constituent plus aujourd’hui un courant – si ce terme est approprié pour désigner cet engagement politique inspiré par l’Évangile – structurant une partie de la gauche, ni même de la politique française. C’est donc au moment de sa disparition (peut-être simplement provisoire. Le marxisme n’a-t-il pas trouvé une nouvelle actualité avec la crise ? Alors l’Évangile…) que Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel en retracent l’histoire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans son beau texte de conclusion qui est aussi une oraison (critique), Jean-Louis Schlegel considère la disparition de ce courant de pensée et d’action de la gauche comme le fruit de plusieurs évolutions. La sécularisation de la société, sinon sa déchristianisation, aboutit à une méfiance et souvent une franche hostilité à l’égard du religieux quand ce dernier ne prétend pas seulement en appeler aux bons sentiments d’humanité. La disparition des liens qui unissaient la politique et le religieux a conduit à rendre incompréhensible la justification d’un engagement politique à gauche par la foi et l’Évangile. Toutefois, ces arguments pourraient s’appliquer aussi aux traditionalistes, qui apparaissent en meilleure forme politique. L’ouvrage ne se termine pas sur le seul échec politique des chrétiens de gauche. Il souligne au contraire combien les idées de ces chrétiens ont alimenté les débats qui traversent la gauche dans les années 1960 et 1970 (l’anticolonialisme, l’autogestion, la solidarité avec les peuples du Sud) mais aussi combien elles ont pénétré, depuis le concile de Vatican II, une bonne partie de l’Église, réveillé la doctrine sociale qu’elle met aujourd’hui en avant, à défaut de pouvoir influer sur les positions éthiques et anthropologiques qui peuvent accompagner un repli et un raidissement identitaires. Plus simplement, le livre montre aussi combien leur présence est encore grande dans les associations qui servent les plus faibles et rappellent la dignité des pauvres et l’humanité des étrangers dans une époque d’arrogance financière et de craintes sécuritaires. Disparition de la visibilité politique des chrétiens de gauche d’un côté mais vivacité de leur engagement social au nom de l’Évangile de l’autre : c’est sur ce constat que s’achève l’histoire que cet ouvrage relate et analyse pour la première fois comme un tout.

En écrivant la première synthèse historique de ces chrétiens de gauche, qui correspond à une séquence d’une quarantaine d’années, encadrée d’un côté par la Résistance et de l’autre par l’élection de François Mitterrand en 1981, les auteurs interrogent la singularité de cet engagement politique à gauche dans l’histoire politique contemporaine du christianisme.

En effet, avant la Seconde Guerre mondiale, les relations entre l’Église catholique et la démocratie, la République et le monde moderne étaient très conflictuelles, et ce depuis la Révolution française. C’est l’engagement de chrétiens dans la Résistance évoqué par Denis Pelletier qui a achevé un processus de rapprochement entre l’Église et la société commencé à la fin du xixe siècle. La question ne s’était pas posée dans ces termes pour les protestants. Dès le début, ils avaient fait corps avec une République qui leur avait garanti les libertés de conscience et religieuse.

Cette histoire se termine après l’élection de François Mitterrand, à laquelle les chrétiens de gauche ont pourtant fortement contribué au PS, au Psu, à la Cfdt. Ces derniers cessent alors progressivement d’être une force politique à gauche. F. Mitterrand, plus religieux et spirituel que catholique progressiste, ne fit rien pour leur ménager une place au PS. Les auteurs insistent bien sûr sur le changement de climat des années 1980 et 1990, qui délégitima dramatiquement a posteriori bien des engagements. Ils ne soulignent guère en revanche la responsabilité de la deuxième gauche dans ce déclin. Si cette gauche largement chrétienne et mendésiste portait dans les années 1960 tous les espoirs de changements face au socialisme conservateur et laïque de la Sfio et face au stalinisme du Pcf, à partir de la fin des années 1970, la deuxième gauche, qui se mobilisa magnifiquement sur les questions démocratiques et antitotalitaires lors du soutien à Solidarnosc en Pologne, représenta aussi un réalisme sec d’adaptation au capitalisme dans lequel on a du mal à retrouver l’élan intellectuel et la générosité sociale des chrétiens de gauche du début. Comme toute la gauche, les chrétiens de cette obédience ne se sont pas remis politiquement du tournant de la rigueur. Aussi se sont-ils repliés vers l’humanitaire, le social, le culturel. Cela montre d’une certaine manière les limites d’un mouvement ne s’appuyant sur aucune structure autonome (pas de syndicat, pas de parti, seulement des journaux) et ne disposant pas de doctrine autonome : ni la doctrine sociale de l’Église, trop démocrate-chrétienne, ni le marxisme, qui a séduit de nombreux chrétiens mais qui était trop dangereusement athée et associé au totalitarisme. Mais cette critique peut finalement être adressée à tous les « passeurs », ce que furent fondamentalement les chrétiens de gauche, des passeurs entre l’Évangile et la gauche, entre l’Église et la société, entre les colonisés et la gauche française, entre le christianisme et l’Islam. Au moment ù paraît ce livre, il faut évoquer à ce titre le passeur que fut Pierre Chaulet, qui vient de mourir. Ce médecin, chrétien de gauche, assez peu emblématique du « dreyfusisme chrétien » pendant la guerre d’Algérie, fut beaucoup plus radical que la plupart des autres chrétiens de gauche puisqu’il rejoignit tôt le Fln et vécut en Algérie jusqu’au début des années 1990. Il repose aujourd’hui dans le carré chrétien du cimetière de Saïda.

Au-delà des figures (le militant ouvrier Marcel Gonin, le fondateur de la Jac Bernard Lambert, Emmanuel Mounier et de nombreux auteurs d’Esprit…) et du foisonnement des organisations syndicales (la Cftc et la Cfdt), de jeunesse (la Joc), des journaux (Témoignage chrétien, Esprit), des organisations d’entraide (la Cimade), des lieux de rencontre (le Saulchoir) qui furent des combats de cette gauche chrétienne auxquels l’ouvrage consacre des textes complémentaires aux différents chapitres, quelle fut la singularité de cette histoire d’une quarantaine d’années entre les années 1940 et 1980 ? Elle fut marquée par les espoirs d’ouverture de l’Église au monde, suscités par Vatican II (1962-1965) après la condamnation en 1955 de l’expérience des prêtres-ouvriers, par les luttes anticoloniales de la guerre d’Algérie (1954-1962) et le tiers-mondisme, par un socialisme antistalinien, démocratique et autogestionnaire. Ce dernier devient un thème central de la Cfdt en 1965 et de la revue Esprit. Il culmine dans les luttes de Lip et du Larzac en 1973. Le livre s’attache aussi à l’incompréhension des chrétiens de gauche pour la « prise de parole » que fut Mai 68, à l’exception de Michel de Certeau et des étudiants et dominicains du Saulchoir. Les thèmes de 68 étaient trop en rupture avec la foi et la culture chrétiennes pour pouvoir être compris par des chrétiens, même engagés à gauche.

Les mouvements chrétiens de gauche eurent aussi une sensibilité commune : une manière de s’engager en cherchant à faire vivre le message d’amour et de charité de l’Évangile, qui oblige à une éthique et à la défense de valeurs refreinant la séduction de l’idéologie marxiste et dont le dreyfusisme – c’est l’un des paradoxes apparents que souligne bien le livre – serait la référence, un esprit de résistance au capitalisme, un refus de l’injustice et surtout une volonté de faire de la politique par le bas, avec les faibles : les ouvriers de Lip, les paysans du Larzac, les dominés du tiers monde, les étrangers illégaux. Les prêtres-ouvriers étaient des exemples forts de cette volonté dans les années 1950. Les équipiers de la Cimade en sont toujours les représentants.

Jean-Pierre Peyroulou

Questions sur une tradition interrompue

Le précieux ouvrage dirigé par Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel apporte une brassée de faits et rafraîchit notre mémoire. Parmi les nombreuses réflexions qu’il suscite, la principale est celle-ci : pourquoi ce mouvement puissant et multiforme des années 1945 à 1980 s’est-il interrompu ou dissous ? Tentons d’approcher l’énigme.

D’abord, si ce mouvement est né, après la guerre, d’un déplacement collectif et visible de chrétiens vers la gauche politique, il a été exposé, dès avant 1980, à un nouveau déplacement intellectuel de grande ampleur : le combat contre le totalitarisme venu au premier plan, ainsi que l’écologie. Avec eux, ce n’était plus du tout la même philosophie du progrès et des « avancées » qui pouvait soutenir ces nouveaux combats. Esprit a pris le tournant au milieu des années 1970. Ce déplacement a changé la donne et entraîné un certain déclin des chrétiens de gauche.

Vu sous cet angle, le déclin visible comporte un aspect positif. Les chrétiens de gauche se sont dissous dans la société, sont devenus invisibles (c’est ce qu’ils voulaient !). La contrepartie est qu’on les rencontre partout. Ils ne se sont pas reniés. Ils ne sont pas restés dans leurs chapelles. Dans beaucoup d’institutions sociales et politiques, on retrouve leur présence active, de plain-pied, au coude à coude avec les autres. Avec le recul, il semble que, au moins pour un temps, ils ont fait reculer l’anticléricalisme et les préjugés anciens contre la religion. Ils n’ont pas été estimés plus longtemps comme étrangers dans leur propre société.

Chacun le sait, ces faits et ce processus ressortissent au mot magique de « sécularisation », souvent peu explicatif. La sécularisation est le fond de tableau de toute cette époque. L’inévitable nostalgie qui peut nous habiter parfois n’est qu’un état d’âme. Cette sécularisation, encore en train aujourd’hui, était inévitable. Elle se cherchait en France depuis cinq siècles. La première sécularisation est celle de la Réforme protestante. Ce n’est pas parce que les rois de France l’ont refusée pour leur royaume qu’elle n’a pas travaillé la société. Vers 1960, comment imaginer que le monde catholique aurait pu rester plus longtemps préservé, à part, enfermé dans des certitudes, comme si rien ne s’était passé, comme si ni Copernic, ni Luther, ni la Révolution française n’avaient existé !

De plus, à partir des années 1980, nous nous sommes tous retrouvés brassés, bon gré mal gré, par la grande machine de la sécularisation, à l’œuvre dans la consommation et dans l’éducation de masse. L’heure du désenchantement du monde, annoncée par Max Weber, avait sonné ! Restait donc à la vivre le mieux possible, en acceptant ce qui va avec, la solitude, le désenchantement justement, parfois la désillusion.

La question gênante n’est pas le fait de la sécularisation, mais qu’elle se soit accélérée de façon galopante depuis une ou deux décennies, au même rythme que le capitalisme financier, signe troublant que les deux évolutions ne sont pas étrangères l’une à l’autre : ce sont des machines à produire de la dissolution des points d’ancrage, à produire du virtuel, de l’abstrait. La question n’est pas le fait de la sécularisation des chrétiens, auquel on n’échappe pas, mais la façon dont elle s’est faite. Le bien propre original s’est perdu : beaucoup de chrétiens de gauche (et de droite !) n’ont pas pu conserver une foi publique et une appartenance à leur Église. Ceci est peut-être moins vrai pour les protestants, plus expérimentés. Nous n’étions pas armés pour recevoir la vague qui nous est venue à la figure. Les confusions nombreuses entre la politique et la religion, l’ouvrage le montre, ont détourné notre attention d’enjeux essentiels : j’en mentionne, trop rapidement, quatre ; quatre failles ou dépressions de terrain qui nous ont joué bien des tours.

Tout d’abord, l’ignorance de réalités résistantes : méconnaissance de la politique réelle, qui comporte la prise du pouvoir, les intrigues, les ruses, les manœuvres et surtout la persévérance qui caractérisent la pratique quotidienne. La politique, nous a-t-on appris, est une Beruf, une profession et une vocation, elle n’est pas le carrefour des bons sentiments, ni le fait d’amateurs. Être de gauche est une position politique. Cela doit-il entraîner avec soi toute une transcendance, une sorte d’absolu ? Non. C’est un souci de justice qui a provoqué le déplacement des chrétiens vers la gauche. Mais la justice ne relève d’aucune philosophie de l’histoire assurée, elle demande un discernement de tous les instants. Cette position politique ne peut accorder aucune garantie, aucune gratification supplémentaire, comme « être moderne », « se sentir bien dans le sens de l’histoire » ou encore « disposer d’une supériorité morale » sur qui que ce soit.

De plus, en ce qui concerne la séduction marxiste, déjà à l’époque et surtout quand on était de gauche, pouvait-on exonérer la praxis marxiste de tout lien avec les pratiques communistes, en voulant ignorer, ce qui se savait déjà, les crimes du communisme en Ukraine, en Chine, qui se chiffrent en dizaines de millions de morts ?

Méconnaissance, ensuite, des Églises réelles, animaux encore plus coriaces, si c’est possible, que les animaux politiques. Hier comme aujourd’hui, les catholiques progressistes, par exemple, se heurtent à la question obsédante de l’obéissance à l’Église sous la forme du respect effectif des orientations de la papauté. Entre le respect servile et le ressentiment insondable, la chaire de Pierre, ou plutôt le roc de Pierre, est un idéal objet de fantasme dont on se dépêtre encore moins facilement que du machiavélisme politique. Elle est ou bien un atout à exploiter, ou bien un empêchement structurel, un multiplicateur de drames de conscience. En tout cas, un fait résistant. La collégialité votée à Vatican II a été oubliée le jour même de la fermeture du concile.

Manque, encore, d’une anthropologie. À l’époque nous ne trouvions pas la philosophie ou l’anthropologie que nous cherchions. Celle-ci ne pouvait être ni la philosophie spiritualiste de l’avant-guerre, ni le structuralisme qui passait la foi à la moulinette, ni l’anthropologie libérale anglaise que, d’ailleurs, nous ignorions. Restait le marxisme dominant. Il a fallu attendre en France, vers 1975, le nouveau courant représenté par des auteurs comme Arendt, Claude Lefort, Marcel Gauchet pour qu’une pensée de la limite et du présent politique devienne accessible. Parmi les grands ancêtres, il y avait Max Weber, soulignant qu’une construction conceptuelle n’est jamais qu’une esquisse et n’épuise jamais le réel, ou Marcel Mauss révélant un principe anthropologique du « donner, rendre, recevoir ». À la fois trop subtils et trop simples pour les amateurs de dialectique, ces auteurs restaient dans l’ombre, ne prêtant pas à l’action, pensait-on. Aujourd’hui, la question reste ouverte : qu’est-ce qu’un homme ?

Le quatrième point est le plus douloureux. Pas plus que la politique, la théologie ne s’improvise. Au long de l’épopée des chrétiens de gauche, les conflits quotidiens détournent souvent l’attention de la question qui s’impose : « C’est désormais, comme dans le modernisme, l’insertion de la foi dans la rationalité moderne qui fait problème », écrit

Yvon Tranvouez avec une évidente force de percussion, dans le chapitre de ce collectif consacré aux questions proprement théologiques. Or cette insertion, même si l’on est à l’école du Christ, peut-elle se faire si l’on néglige le trait premier de cette foi ? Le christianisme tel qu’il est enseigné, aujourd’hui encore, ignore le fait qu’il est une eschatologie, la venue des derniers temps en ce monde, et comporte, dès la première génération, « le retard de la parousie », donc une tension dans le temps, une manière de vivre la contradiction entre la réalité du monde et l’idée du Royaume de Dieu qui entre dans le monde1. Les chrétiens de gauche, et les autres, ont cru parfois que les problèmes de l’histoire pouvaient être résolus dans la seule histoire, ou dans une philosophie de l’histoire, ce qui pour eux, selon leur foi, est une interprétation inconcevable. Alors que l’eschatologie chrétienne était en réalité leur originalité, elle commençait à leur paraître douteuse, sans qu’ils se donnent assez de mal pour la penser.

Jean-Claude Eslin

Librairie

Toni Morrison, Home, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2012, 151 p., 17 €

Qu’est-ce qu’être étranger chez soi ? Cette question du « chez soi » (home, terme difficile à traduire en français, ce qui explique le choix de laisser le titre dans sa langue originale) parcourt toute l’œuvre de Toni Morrison. Les Noirs aux États-Unis sont coutumiers de ce que le grand intellectuel W.E.B. DuBois décrivait comme une « double conscience », cette sensation d’appartenir à un pays tout en s’y sentant perpétuellement étranger. Dans ce court roman, l’écrivain nous transporte dans les années 1950, à l’époque de la guerre de Corée. Frank Money, au nom évocateur d’une réussite financière qu’il ne peut connaître, rentre de la guerre pour retrouver sa ville de Lotus et sa sœur, Cee. Si l’armée américaine est à l’époque mixte, le pays, en revanche, maintient une stricte ségrégation entre Noirs et Blancs. Il n’y a donc, en réalité, pas de retour possible, et, au traumatisme du soldat, déjà évoqué par Hemingway dans sa nouvelle « Un soldat chez lui », s’ajoute l’impossibilité pour un Noir de retrouver un pays auquel il n’appartient pas entièrement.

Morrison nous fait suivre les pérégrinations de Frank et les épreuves traversées par Cee, elle aussi à la recherche d’une maison, d’un refuge. Elle quitte sa famille pour épouser un « Prince » (le nom de son mari) de pacotille, qui la quitte bien vite, puis pense avoir enfin trouvé un « chez elle » lorsqu’elle entre au service d’un médecin blanc qui va utiliser son corps pour ses expérimentations eugénistes. Ce corps meurtri, c’est aussi celui de Frank, qui porte en lui le souvenir douloureux de ce qu’il a vécu « là-bas », en Corée, où il a tenu entre ses mains ses camarades agonisants, où il a, lui aussi, commis une faute irréparable. Car il n’y a point de manichéisme chez Toni Morrison, point de victimes parfaites ni de bourreaux désignés ; la victime, elle aussi, porte en elle la faute, faute que Frank devra expier en regardant sa sœur se reconstruire, entourée d’autres femmes, comprenant qu’il ne peut plus, comme naguère, la protéger.

Ce court récit transporte le lecteur, lui fait vivre aussi toute la difficulté à raconter les blessures qui hantent les personnages. Ce n’est pas un hasard si Frank vient de Lotus, nom qui rappelle les lotophages de l’Odyssée, oubliant leur patrie dans les délices de la bouche. Sauf qu’ici, l’oubli est impossible ; l’image d’un pied noir dépassant d’une charrette, enfoncé dans une fosse à coups de pelle, encadre le roman, comme si le souvenir du martyre de cet inconnu, gravé dans la mémoire du frère et de la sœur, pouvait seul les réunir. Leurs pérégrinations les ramènent in fine dans cette ville où ils ont tous deux souffert, mais à laquelle, malgré tout, ils appartiennent, par leur souffrance même. Les fantômes qui hantent ce roman, comme les autres œuvres de Morrison, en particulier Beloved, ne peuvent être enterrés que dans ce « chez soi » paradoxal.

« La terre nous est étroite », écrivait Mahmoud Darwich, autre porte-voix d’étrangers sur leur propre terre ; chez Morrison, la terre est à la fois ce qui enterre et ce qui conserve, ce qui préserve la mémoire et permet la renaissance. Ce monde, que Frank voit en noir et blanc, parfois strié de rouge, lors de ses crises d’angoisse (ce que l’on appellerait aujourd’hui un syndrome de stress post-traumatique), ce monde qui a tué ses parents et mutilé sa sœur est aussi le sien, c’est cette Amérique qu’il est allé défendre en Corée. Jamais Morrison ne dit, dans ses livres, qui est noir, qui est blanc ; il n’est que de voir les rapports que les personnages ont entre eux pour le comprendre. Pas de vengeance, pas de rétribution ; comme Faulkner, elle parle des races, de leurs relations, de ce Sud qui, quelle que soit la période à laquelle on s’intéresse (et Morrison les a presque toutes explorées), garde dans sa terre noire et blanche les traces de sang qui toujours se renouvellent. Comme lui, jamais elle ne se laisse réduire à un discours ; explorant toutes les facettes de la langue, elle continue d’écrire ces histoires d’Américains étrangers à eux-mêmes et à leur propre terre, qui font parler leurs cicatrices et leurs fantômes, construisant une œuvre qui compte parmi les plus belles de la littérature contemporaine.

Alice Béja

Christa Wolf, Ville des anges, Paris, Le Seuil, 2012, 394 p., 22 €

Ce dernier livre publié en Allemagne du vivant de son auteur résonne comme un document testamentaire. Oscillant entre récit autobiographique et fiction romanesque, Christa Wolf plonge dans son séjour de neuf mois (de l’automne 1992 à l’été 1993) à Los Angeles à l’invitation de la fondation Getty et prête sa voix à une narratrice qui, bénéficiant aussi d’une bourse de recherche, tente de découvrir la personnalité de L., la correspondante allemande dont son amie Emma lui a confié les lettres avant de mourir.

La diversité des situations évoquées met à nu les blessures liées à une exigence de vérité, à une recherche d’intégrité au-delà même des engagements politiques ou littéraires. À travers la nécessité d’une forme d’oubli, c’est le travail de mémoire qui se glisse au cœur du récit. En racontant des histoires de vie, au gré des rencontres ou des souvenirs de la narratrice, Christa Wolf est taraudée par une question centrale qui, à elle seule, résume les contradictions inhérentes à la confrontation entre son idéal socialiste et la réalité de la Rda : comment a-t-elle pu occulter ces années entre 1959 et 1962 où elle était considérée par la Stasi comme un « agent informel » ?

Christa Wolf est née en 1929 à Landsberg – aujourd’hui ville polonaise – dans une famille de la classe moyenne, protestante et pronazie. Fuyant les troupes soviétiques, la famille s’établit dans la région du Mecklenburg qui fera partie de la Rda. Christa Wolf adhère au Sed en 1949, étudie la littérature à Iéna et Leipzig, travaille en tant que collaboratrice scientifique de l’Union des écrivains de la Rda et appartient au comité directeur de 1955 à 1977. Elle s’autorise cependant quelque liberté avec le régime en s’élevant par exemple contre les mesures prises à l’encontre du compositeur interprète Wolf Biermann.

Dès son deuxième roman, le Ciel partagé1, qui obtient le prix Heinrich Mann en 1963, elle acquiert une notoriété internationale et devient une figure majeure de la littérature allemande d’après guerre. Christa Wolf est décédée à Berlin en décembre 2011.

Dans Ville des anges, l’univers de Christa Wolf s’inscrit en arrière-plan d’un roman dont la puissance tient à l’alchimie étrange entre une narration complexe et une simplicité d’expression.

Les préoccupations féministes de l’écrivain, déjà présentes dans Christa T.2 et prolongées par son exploration des mythes grecs dans Cassandre3 et Médée4, se retrouvent à travers l’itinéraire comparé de deux Allemandes décédées, amies de jeunesse séparées par les aléas de l’histoire : Emma, proche de la narratrice dont elle connaît tous les doutes et hésitations, est restée fidèle à ses idéaux, tandis que L., psychanalyste non juive de Berlin, a émigré aux États-Unis par amour pour un philosophe juif marié.

La réflexion de Christa Wolf sur la responsabilité des intellectuels et la légitimité de l’écriture, explicite notamment dans un des textes de Aucun lieu, nulle part et neuf autres récits5 où elle imagine une rencontre entre Heinrich von Kleist et Karoline von Günderrode, est reprise par l’allusion réitérée à un philosophe qui, écrasé par la connaissance des atrocités nazies, ne parvient plus à conclure ses écrits alors que d’autres exilés continuent à créer.

L’ambivalence de ses positions et leur retentissement physique et moral, exprimé dans des textes comme le Corps même6, qui relate les maladies qui la frappent au moment même où le régime de la Rda s’effondre, ou comme Ce qui reste7, qui revient sur ses années de surveillance par la Stasi, résonnent avec force dans toutes les notes que la narratrice écrit ou relit.

Mais, plus encore, Ville des anges est habité par le sentiment douloureux non pas d’avoir quitté son pays, mais d’avoir été quitté par lui. Le récit s’apparente à un long travail de deuil, exacerbé par le fait que la narratrice, où qu’elle aille et quoi qu’elle fasse, est toujours confrontée à sa germanité. La pluralité des temps du récit, la richesse des lieux décrits, l’épaisseur des personnages suggérés favorisent une lecture croisée des événements historiques.

La Californie représente le choc absolu, à la fois temple de la consommation, hymne à l’individualisme et terre de soleil à la luminosité troublante, aux plages éblouissantes. Elle est l’antithèse de ce que fut la Rda et de toutes les valeurs de ceux qui voulurent édifier le socialisme. Mais Los Angeles est aussi la ville qui a accueilli les émigrés fuyant l’Allemagne nazie, des artistes comme Bertolt Brecht, Lion Feuchtwanger ou Thomas Mann, dont la narratrice visite les villas, des anonymes également, juifs pour la plupart, dont la deuxième génération, aux prises avec un ancrage identitaire incertain, la questionne sur son pays.

L’unité du récit ne cesse d’être rompue : phrases au présent, à l’imparfait, au passé, mélanges des versions, confusion entre les notes rapportées d’Europe et celles écrites au jour le jour. La narratrice s’exprime à la première personne du singulier quand elle rend compte de son séjour américain mais s’invective à la deuxième personne du singulier quand elle revient sur les termes de son engagement politique en Rda et interpelle à la deuxième personne du pluriel ceux qui ont partagé ses idéaux.

Tout est prétexte à l’errance du souvenir : les rêves, les réflexions, les coupures de presse qui reviennent sur les accusations de collaboration avec la Stasi, le journal de Thomas Mann, la correspondance entre Emma et L., et surtout les discussions incessantes sur le fait d’être Allemand, Allemand de la Rda, Allemand de l’ex-Rda.

À cette confusion des époques et des espaces répond comme en miroir une écriture d’une limpidité absolue, guidée par la seule recherche d’une authenticité. Les mêmes mots reviennent comme un leitmotiv : vérité, oubli, utopie, protestation, culpabilité, refus, tournant, perte, crédulité, principe de réalité, ambivalence, compromis.

Les références au sous-titre du livre, The Overcoat of Dr Freud (le pardessus du Dr Freud), rythment le récit, comme légitimant le caractère subjectif d’une démarche qui espère réconcilier les multiples facettes de l’héroïne et lui permettre, par le recours au savoir et à un travail sur soi, de comprendre ce qui la définit vraiment. Chaque épisode est saisi avec précision comme entité qui se justifie en tant que telle, tout en s’inscrivant dans la volonté de maîtrise de l’histoire et de pleine participation à l’effort de mémoire. Même le dénouement de l’intrigue (qui est cette mystérieuse L. ?), qui intervient aux deux tiers du récit, semble d’une logique attendue. Tout semble obéir à une détermination farouche : trouver avant la mort un sens à un parcours de vie, apaiser la conscience tourmentée d’une femme culpabilisée pour avoir été un temps à la fois surveillée et surveillante dans un pays aimé.

Sylvie Bressler

Heinz Wismann, Penser entre les langues, Paris, Albin Michel, 2012, 312 p., 22 €

Le récit biblique voit dans la diversité des langues et l’incompréhension entre les hommes qui en résulte l’effet de la punition de l’ubris humaine, symbolisée par la construction de la tour de Babel, qui visait à atteindre le ciel ; loin d’une punition, cette « babélisation » est une chance pour H. Wismann, qui rappelle volontiers le propos de Walter Benjamin, selon lequel « la finalité des langues consiste peut-être à balayer la totalité de ce qu’il est possible d’exprimer ». Plus encore, la « babélisation » nous invite à « penser entre les langues », à passer de l’une à l’autre (Wismann a longtemps dirigé aux éditions du Cerf la collection « Passages ») ; et lui-même, allemand écrivant en français et enseignant en France (il est directeur d’études à l’Ehess), est un grand « passeur » – entre l’allemand et le français, entre chacune de ces deux langues et le grec.

Que signifie donc un titre si prometteur ? Il désigne d’abord une position quasi intenable : être bilingue ne suffit pas, c’est un état confortable ; or, l’entre-deux, c’est l’inconfort, le refus des certitudes. Être « entre », ce n’est pas constater simplement (et admettre, tenter de comprendre) une altérité ; c’est porter un autre regard sur notre propre identité, qui ne va plus de soi. Mettre la pensée à l’épreuve de la différence des langues et de leur syntaxe, c’est s’installer dans « le milieu de la réflexivité, pas de l’identification » :

En réalité, lorsque quelqu’un déploie une véritable activité intellectuelle, cela s’accompagne toujours d’un exil. Et cet exil peut être entièrement psychologique, ça peut être d’une langue à l’autre, ça peut être d’un domaine de connaissance à l’autre, c’est l’« inter ».

Mais penser entre les langues, c’est aussi mettre à l’épreuve du texte grec et de l’histoire de la philosophie l’interprétation et la traduction données par d’autres penseurs ; ainsi Héraclite et Parménide sont-ils rendus à une autre vérité que celle de Heidegger. C’est, par là, refuser une « ontologie » du langage (le « dit de l’être » heideggerien) au profit de l’histoire des penseurs et des pensées ; c’est rappeler que la syntaxe se travaille, se subvertit, contre une pensée antérieure, pour inscrire un écart dans la tradition, marque d’un « vouloir-dire ».

Penser entre les langues, c’est donc se situer aussi entre les domaines, entre philologie et philosophie, comme cet ouvrage – et ce que l’Université française a mis longtemps à accepter. C’est, pour un philosophe, se situer « entre les systèmes » : en subvertissant le système antérieur par un « écart » significatif (ainsi Épicure a-t-il subverti la cosmologie aristotélicienne par l’introduction d’une légère déviation – clinamen – dans la chute verticale et parallèle des atomes). Clinamen qui devient pour Wismann comme le paradigme de la pensée « entre les systèmes », le modèle de cet écart de la subversion inventive. On voit donc le rôle fondamental de l’histoire qui pourrait aussi bien être appelée histoire de la philosophie, de la littérature, ou histoire de l’art (tout un chapitre est d’ailleurs consacré à une lecture historique de la musique occidentale) : pour repérer les subversions innovantes, il faut « connaître ce par rapport à quoi elles jouent ».

Mais nous sommes d’abord face à l’autobiographie intellectuelle d’un Luftmensch (un « piéton de l’air, un être léger, sans racines », terme yiddish magnifique et difficile à traduire) : prise de conscience tardive d’un père d’abord favorable au nazisme, vigilance et lucidité immédiates de la mère, fuite devant l’arrivée à Berlin des chars russes, et passage in extremis à l’Ouest, avant que la frontière ne se referme définitivement : deux éléments majeurs qui feront notamment de Wismann un tenant de l’histoire des idées (de la philosophie) et un ennemi du structuralisme, qui la refuse ; qui surtout peut-être expliquent l’installation précoce dans un « entre-deux », avec la nécessité, pour se faire accepter à Münster alors, de se faire passer pour catholique alors que le jeune Heinz était protestant : « Une sorte de marrane. » Mensonge dont il tire une secrète fierté :

J’avais à la fois un regard ironique et une distance intérieure ; au fond, c’est l’amorce de ce que j’appelle un rapport réflexif au réel. C’est-à-dire ne pas être tout simplement envahi par les choses qui se présentent […] Demeure toujours un petit doute, la question : « Est-ce que c’est vraiment ça ? »

Quelques aspects peuvent paraître moins convaincants, qui tiennent en fait aux intentions polémiques : ainsi de la valorisation, dans la parole, du signifiant contre le signifié, et qui serait la trace sensible d’un vouloir-dire individuel, et non d’un « dit de l’être ». Mais si le signifiant subvertit la « structure » de la langue, ce peut-être au profit du « ça » (ça parle, disait Lacan), autant qu’au profit d’un sujet animé d’une intention de signifier en déstabilisant. L’évocation de la nouveauté comme écart par rapport à un donné antérieur rejoint les théories désormais classiques de l’intertextualité, et ne paraît guère « subversive ». Reste que la polémique vive est toujours le signe d’une pensée « en mouvement » ; et que l’ouvrage témoigne de cette sapientia telle que la concevait, selon l’étymologie, Barthes :

Nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible (Leçon inaugurale).

Chantal Labre

Frédéric Worms, Revivre. Éprouver nos blessures et nos ressources, Paris, Flammarion, coll. « Sens propre », 2012, 315 p., 19 €

« Nul n’est une île », écrivait le poète John Donne. De ses premiers travaux sur Bergson jusqu’à ses derniers sur le care et les catastrophes, en passant par toutes ses études sur la pensée française du xxe siècle, Frédéric Worms inscrit sa philosophie dans cette ligne : philosophie de la vie, philosophie des relations interhumaines, philosophie du soin qu’il faut leur apporter et des réparations qu’exige chacune de leurs « violations ».

À partir de sa thèse centrale – vivre, c’est toujours revivre –, Frédéric Worms construit une suite de variations : revivre, cela peut être une catastrophe (l’épuisante répétition du trauma) ou, au contraire, une vivifiante reprise, renaissance et réouverture du possible. Le thème renvoie à nos épreuves les plus singulières et les plus difficilement communicables (la mort, la maladie, la torture, l’angoisse, la perte ; mais aussi bien la création, l’énamoration, les joies inouïes et solitaires) comme à nos expériences les plus quotidiennes et les plus simples (c’est à chaque instant et dans ses occupations les plus apparemment routinières que chacun est appelé à revivre : dans sa fatigue, dans ses promenades, dans ses rêves ordinaires, dans un geste de son enfant, dans l’écoute d’une chanson populaire). Il est traité à travers une rumination, tantôt joyeuse tantôt grave, qui traverse aussi bien la philosophie que la littérature, aussi bien le passé que le présent et l’avenir, aussi bien les formes singulières de survie pour soi que la question de la survie de l’espèce.

L’originalité de ce livre apparaît particulièrement dans une double démarche.

Premièrement, cette question du revivre fait éclater les différents régimes de discursivité philosophique. Car il présente au premier abord une thèse éthique : l’art du revivre est un art de vivre selon lequel seul un certain travail de répétition, y compris de ce qu’on n’a pas vécu et qu’on revit pourtant sans cesse entre hallucination et mauvaise foi (les camps, les guerres, la mort de l’autre homme), peut nous libérer de nos répétitions névrotiques, privées et mortifères. Mais plus profondément la thèse est tout autant ontologique : la vie tout entière, c’est-à-dire non seulement les vies humaines, vie de l’esprit, vie du cœur ou vie politique, mais aussi bien les vies animales et végétales, voire la vie cosmique et inorganique, est structurée comme revivre, comme rupture à la fois permanente et sans cesse à réinventer entre deux plans d’existence. Il n’y a donc pas à opposer philosophie de la vie et philosophie de l’existence, ou humanisme personnaliste et antihumanisme objectiviste, puisque toutes se réconcilient dans cette pensée du revivre, principe universel de communication entre les substances, pour parler comme Leibniz. Et c’est encore aussi bien une thèse profondément esthétique puisque ce revivre est d’abord une question de sensation ou de pensée d’artiste, faite de rythmes inimitables, de gestes singuliers, de grande perspective et de souci du détail, d’élan et d’attente patiente.

Secondement, il s’agit là d’une pensée radicalement démocratique. Entendons-nous : non pas, comme il est finalement commun, une pensée qui s’accommoderait de la démocratie parlementaire faute de mieux ; non pas, comme il est finalement facile, une pensée qui se réclamerait d’une démocratie radicale contre toutes les formes instituées de démocratie ; mais une pensée qui se veut démocratique partout et tout le temps, dans l’instituant comme dans l’institué, dans la vie de l’esprit comme dans la vie des peuples, dans le principe de « l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui », pour parler comme Rancière, comme dans le principe de l’élection, politique mais aussi affective ou rationnelle, c’est-à-dire dans le principe d’une hiérarchisation des idées et des créations qui n’efface pas l’idée d’égalité des personnes mais l’ajuste à l’inégalité foncière des intuitions et des œuvres. On pourrait même dire que tout ce livre est là pour témoigner d’un tel démocratisme, non pas radical mais total, qui s’adresse à tous, donne la parole à tout, du plus apparemment futile au plus apparemment terrible, sans gommer ni leur différence essentielle (de puissance, de conviction, de création) ni leur égalité profonde (en termes de formes du revivre : que le plus grand ou le plus universel revive dans le plus petit ou le plus singulier, et inversement, n’est jamais vu comme une régression ou un signe de décadence, mais toujours comme une chance).

En ce sens, au-delà de l’éthique, de l’ontologique ou de l’esthétique, ce livre apparaît souterrainement comme un magnifique exercice concret de pensée politique et démocratique. Car le véritable amour de la démocratie commence peut-être là, dans une attention constante à chaque être, chaque œuvre, chaque expérience, elle-même portée par une certitude tout aussi constante : si nous ne savons jamais très bien pourquoi nous sommes tous là ici-bas, il va au moins de soi que nous ne sommes pas là uniquement pour nous blesser, nous déchirer, nous diviser, ou nous ignorer sans fin.

Pierre Zaoui

Carl Schmitt, La Visibilité de l’Église. Catholicisme romain et forme politique. Donoso Cortes, Trad. de l’allemand par André Dorémus (rev. et corr. par Olivier Mannoni), préf. de Jean-François Kervégan, prés. de Bernard Bourdin Paris, Cerf, coll. « La Nuit surveillée », 2012, 276 p., 33 €. Thierry Gonthier (sous la dir. de), Politique, religion et histoire chez Eric Voegelin, Paris, Cerf, coll. « Philosophie et théologie », 2011, 175 p., 15 €

La réunion de ces trois textes de Carl Schmitt, connus des « schmittistes » par des traductions anciennes ou partielles, apporte une pièce importante à sa connaissance en France. Ils concernent tous trois le catholicisme et ses rapports singuliers avec le politique. Essentielle est la présentation longue et très fouillée qu’en fait Bernard Bourdin, qui précise avec finesse le sens et les évolutions de la pensée de Schmitt. On le sait, c’est l’institution Église qui intéresse ce dernier, ou plutôt c’est sa « visibilité », sa « forme », qui régnèrent au temps de l’« éon » chrétien (l’ère chrétienne, la chrétienté), et qui subsistent sous la forme de « concepts politiques sécularisés » ; elles demeurent comme une sorte de modèle du politique à l’époque libérale, contre le libéralisme qui consacre le triomphe du non-politique ou d’autres forces destructrices du politique (l’économie, le droit…). « Visibilité », « forme » : Schmitt ne serait-il attentif qu’à l’extériorité et non au contenu substantiel ? Bourdin dément fermement cette interprétation : la réalité et la vitalité spirituelles de l’institution catholique ne sont pas indifférentes à Schmitt. Néanmoins, la configuration politique, pour ainsi dire, de l’Église catholique reste inégalée pour lui (lien avec l’invisible ou avec une transcendance, visée d’un universel, constitution d’un peuple, pessimisme sur l’homme pécheur, décisionnisme du pouvoir – renforcé par l’idée d’infaillibilité – qui reproduit le geste créateur de Dieu pour ainsi dire, sentiment d’urgence eschatologique qui est en même temps constamment freiné, et donc fin des temps remise à plus tard, et du coup importance de l’Église dans le temps intermédiaire avant la fin). Ce modèle, qui s’est imposé à partir de Grégoire VII et contre la Réforme protestante pour triompher lors du concile de Vatican I, est-il aussi admirable et désirable que Schmitt le prétend quand il s’agit de la communauté du Christ ? Le fait est qu’il séduit toujours. Mais la difficulté vient de la suite, dans les temps modernes de la sécularisation. Schmitt semble, dans un premier temps, avoir voulu transférer à l’État moderne certains traits de la visibilité de l’Église catholique. C’est une affaire très problématique, évidemment. Mais dans un second temps, il est en outre piégé par le modèle né en Allemagne avec l’« État total », celui du Führer et de sa Constitution, avec son antisémitisme, et il confère l’universalité de l’Église au « peuple racial » germanique, ou au principe de la race, qui rompt évidemment avec l’idée d’un « peuple de Dieu » universel. B. Bourdin tente de démêler l’écheveau des évolutions de Schmitt, une tâche compliquée par l’ambiguïté du juriste et philosophe politique après la Seconde Guerre mondiale, où à la fois il renie, mais imparfaitement et sans netteté, son passé de complaisance voire pire avec le nazisme et ne cesse de se justifier, tout en revenant à ses positions des années 1920 et en les précisant en diverses directions.

Les quatre textes (entre 1920 et 1944) sur le diplomate et philosophe contre-révolutionnaire espagnol Donoso Cortès, dont Bourdin propose aussi un commentaire très détaillé, ont l’avantage d’indiquer sans équivoque la source absolument « réactionnaire » où Schmitt puise une partie de son inspiration. La théologie politique de l’histoire, le décisionnisme opposé à la discussion démocratique sans fin, la « solution » de la dictature, le pessimisme sur la nature humaine opposé à l’optimisme libéral : tout cela se trouve chez Donoso Cortès, qui confère à ces concepts une dimension à la fois métaphysique, théologico-politique et anthropologique. Dans la dernière partie de sa longue présentation, Bourdin tente de dégager ce qui reste, ou ce qui serait fécond pour aujourd’hui, dans les thèses théologico-politiques de Schmitt. Il souligne qu’il faudrait penser non plus une « théologie politique » mais une « théologie du politique », qui proposerait une réflexion sérieuse sur la place de la religion dans les démocraties libérales. On pourrait dire : la séparation de l’Église et de l’État est une solution pratique dont personne ne remet en cause le bien-fondé, mais elle ne résout pas la question de la place de la religion dans la vie vécue collective.

Schmitt et Voegelin, l’inventeur de la notion de « religions politiques », se sont connus et ont entretenu, dans les années 1930 et encore plus tard, des relations sinon de grande proximité, du moins d’estime, malgré l’opposition de Voegelin, dans les années 1930, aux engagements de Schmitt aux côtés du Führer et à la mise en avant de la race comme principe du politique. Dans le volume collectif dirigé par T. Gonthier, ce dernier marque bien leurs divergences intellectuelles : autant Schmitt est soucieux de surmonter de manière volontariste la puissance politique du droit à la Kelsen, autant Voegelin est préoccupé par des retrouvailles avec les raisons spirituelles et morales du droit, avec les expériences qui étaient à son origine. Pour lui, le décisionnisme de Schmitt détruit l’« ordre de l’âme », et du même coup celui de la cité. Il faut cependant reconnaître que les concepts politiques de Voegelin sont particulièrement embrouillés, et le lecteur apprécie l’effort de clarification proposé par Jean-Claude Monod, à propos de ce qui chez Voegelin est intuition remarquable (et précoce) et de ce qui mérite un sérieux recul critique (il renvoie ici en particulier aux thèses de Voegelin sur la « gnose » comme explication générale des dysfonctionnements politiques modernes).

Jean-Louis Schlegel

Abdennour Bidar, Comment sortir de la religion ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2012, 239 p., 21 €

C’est un livre étrange, peu ordinaire en tout cas, que propose A. Bidar, connu jusqu’à présent par ses réflexions incisives et originales sur la réforme de l’islam en régime moderne. L’auteur de Un islam pour notre temps et de Self islam semble considérer ces livres comme un moment dépassé et déplace le curseur vers le thème de la « sortie de la religion », pour le contester comme concept purement occidental et l’universaliser en le réinterprétant fortement. D’un côté, il réfute l’idée d’une sortie seulement occidentale de la religion : l’apparente vitalité des religions du monde, pour le meilleur et le pire, n’est que poudre aux yeux ; la vérité est que le monde entier, fût-ce selon des vitesses et des intensités inégales, est en train de sortir du religieux, laissant derrière lui, sans retour, ce qu’on pourrait appeler son « âge religieux », au sens presque comtien de l’expression. Mais, selon Bidar, l’Occident, où ce mouvement s’est amorcé et où il se réalise sous nos yeux, se trompe dans son jugement sur cette sortie, en particulier quand il méprise ou considère avec commisération ce qu’il a laissé derrière lui – la religion –, ou quand il la refoule dans la vie privée comme une chose devenue inutile pour la vie sociale. L’effort de Bidar consiste, en sens inverse, à considérer la religion comme une ressource essentielle de l’âge qui vient – mais au prix d’une forte réinterprétation qui, pour ainsi dire, l’arrache au ciel, la fait venir sur terre, comme une transcendance dans l’immanence : la transcendance de l’homme capable ou la transcendance des puissances de l’homme « divinisé », devenu le nouveau dieu créateur qui construit lui-même son monde et son histoire. Les traditions religieuses deviennent alors sources et ressources du dynamisme vers l’avenir, sagesses de la mise en œuvre de fins humaines, barèmes de leur justesse…

Le processus de sortie de la religion sera achevé – et réussi – lorsque notre pensée et notre action sauront faire converger l’ensemble des nouvelles quantités de puissance dont nous disposons au service de l’accomplissement le plus élevé que réclame la dignité humaine.

(p. 229)

L’ouvrage, on le voit, passe de la description à la prescription, de l’être au devoir être. Ce faisant, il prend un tour « visionnaire », prophétique, assez rare de nos jours. Emporte-t-il la conviction ? Nombreuses sont les questions théoriques et pratiques qui se posent. Ainsi, malgré la nouveauté de la proposition – le rôle positif donné au religieux, islam compris, bien entendu – par l’homme désormais créateur de soi et soi créateur, elle s’inscrit peu ou prou dans une vision évolutionniste de l’histoire dont il y aurait beaucoup à dire. En restant terre à terre, on pourrait au moins faire remarquer que les réalisations humaines au nom de pareilles visions et théories depuis le xixe siècle laissent plutôt un goût amer. Quant à la transcendance dans l’immanence, n’est-ce pas toujours une manière de consommer, en prétendant la sauver, la défaite de la première ? Et qui fera le tri entre les réserves de sens dynamique des religions et ce qui est caduc ? Les religions, ce sont d’abord des foules de croyants, pris corps et âme et raison dans leurs croyances, leurs mythes et leurs angoisses, et, avec de la chance et heureusement, quelques sages. Et de telles réflexions ont-elles finalement un sens tant que la mort individuelle n’est pas vaincue ?

Jean-Louis Schlegel

Guy Dubois, Les Chansons de cow-boys. Étude sociohistorique 1840-1910, Paris, L’Harmattan, coll. « Musiques et champ social », 2012, 271 p., 28 €

Guy Dubois, après une Conquête de l’Ouest en chansons1 s’attaque à la figure emblématique du grand Ouest américain : le cow-boy. À cette fin, il a rassemblé des centaines de chansons, qu’elles soient improvisées, brodées sur un air connu ou entendues dans des saloons. Peu importe le compositeur – ces chansons sont des œuvres collectives, sans cesse remaniées, qui passent de troupeau en troupeau, de ranch en ranch – du moment qu’elles ont été appréciées et reprises par les cow-boys entre 1840 et 1910.

Guy Dubois étudie ces matériaux quasi inexploités (si ce n’est par quelques musicologues et folkloristes américains tels John et Alan Lomax) afin de dresser un portrait complet du cow-boy. L’aspect musical est cantonné à quelques allusions – l’amateur de westerns s’interroge : qu’en est-il de Johnny Guitar ? de Kirk Douglas et de son banjo dans l’Homme qui n’a pas d’étoile ? du même avec sa guitare dans El Perdido ? de Charles Bronson et de son harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest ? – dans lesquelles nous apprenons que les instruments de musique étaient rares, même la guitare, qui était beaucoup moins répandue que le banjo par exemple. On préférait les petits instruments moins encombrants comme l’harmonica ou la guimbarde.

Quel portrait du cow-boy ressort de ces chansons ? Émerge tout d’abord un environnement : la prairie vaste, vide et, surtout, ouverte, sans aucun obstacle. C’est cette liberté et cette solitude qui attirent les jeunes hommes vers ces étendues souvent inhospitalières. L’auteur s’arrête ensuite sur l’apparence du cow-boy et de son inséparable monture, le bronco. Chapeau sur la tête, bandana autour du cou, colt à la ceinture, bottes aux pieds, le lecteur est fin prêt pour une chevauchée au cœur de la vie saisonnière et précaire du cow-boy : la compagnie des chevaux et du bétail (cattle), le ranch au moment du round up (au printemps, on rassemblait les bêtes, on les triait et on préparait les troupeaux pour le drive) ou pendant le drive (expédition qui voit quelques dizaines d’hommes convoyer des centaines de têtes de bétail le long de pistes s’étirant sur des centaines de miles, des pâturages du Texas ou du Wyoming aux villes du Kansas et du Missouri). Puis, Guy Dubois s’intéresse ensuite à la situation socio-économique du cow-boy et en profite pour rappeler qu’un tiers des cow-boys étaient noirs. Enfin, il se penche successivement sur leur affectivité et leurs valeurs, leur vie spirituelle. Il aborde notamment les relations avec les femmes, que ce soit la « sainte mère », la si « pure » jeune fille de fermier qu’il rêve d’épouser s’il renonce un jour à sa vie d’errance et de libre vagabondage, la prostituée aventurière… Fier, franc, droit, honnête, généreux, de nombreuses qualités et valeurs sont exaltées dans les chansons et l’auteur se préoccupe d’établir la part du réel et la part du mythe. Dommage qu’il n’approfondisse pas davantage le rôle de la chanson dans la constitution du mythe cow-boy, comme cela a déjà été fait avec le western.

Martin Paquot

Brèves

Alain Frachon et Daniel Vernet, La Chine et l’Amérique. Le duel du siècle, Paris, Grasset, 2012, 264 p., 19 €

Ces deux journalistes spécialistes de l’international qui ont publié un ouvrage de référence sur l’Amérique des néoconservateurs ont toujours le souci de rester des enquêteurs, c’est-à-dire des journalistes intrigués. Leur interrogation est ici décisive : qu’en adviendra-t-il des rapports entre les puissances au xxie siècle ? Loin de se focaliser sur la seule hyperpuissance américaine (environnée qu’elle serait par des pays « émergents »), l’ouvrage souligne le rapport contrasté et tendu entre les États-Unis et la Chine, qui est un pays ré-émergent et non pas émergent comme le Brésil : si la Chine est séduite par le capitalisme à l’américaine et les paradis artificiels de la consommation, une relation conflictuelle se met en place qui pourrait déboucher sur une guerre. Bref, la dépendance mutuelle sur le plan économique (l’épargne chinoise comme réponse à la dette américaine) est-elle encore tenable longtemps ? Frachon et Vernet ne le pensent pas, c’est tout l’intérêt de leur enquête et de leurs arguments. Impossible alors de ne pas s’interroger sur les forces et faiblesses politiques (et pas seulement économiques) de ces deux pays continents. Ce qui nous vaut des pages éclairantes sur l’affaire du dirigeant récemment évincé Bo Xilai et l’évolution du Parti communiste chinois, sur l’esprit de l’art de la guerre chinois (« soumettre l’ennemi sans combattre ») ou bien sur « les très beaux restes de la puissance américaine » qu’il ne faut surtout pas sous-estimer. Mais, en se focalisant à juste titre sur le duel sino-américain, l’ouvrage désigne un absent et conclut sur le retrait de l’Europe au xxie siècle. Ce qui n’est pas sans avaliser les théoriciens américains qui mettent l’accent sur l’impuissance (et pas uniquement militaire) européenne ! Tenir compte du duel sino-américain à venir, c’est donc se tenir à distance de l’Europe !

O. M.

Keith Gessen et al., Occupy Wall Street! Textes, essais et témoignages des indignés, Paris, Les Arènes, 2012, 250 p., 17, 50 €

Un an après, que reste-t-il du mouvement Occupy, avatar américain des manifestations européennes des « Indignés » ? Sur le plan politique et géographique, pas grand-chose, en apparence. Les campements ont été levés, à Wall Street comme ailleurs, et aucun mouvement politique structuré n’a émergé de cette vague de protestation. Pourtant, aux États-Unis, la question des inégalités s’est trouvée au cœur de la campagne électorale, notamment grâce au slogan choc des Occupy Wall Street (Ows), « Nous sommes les 99% »; la mobilisation, bien que plus confidentielle, continue, à travers des réseaux matériels et virtuels. Ce livre, anthologie de textes d’analyse et de témoignages, en fait partie. Il montre la manière dont le mouvement s’est construit, les doutes de ceux qui, acteurs ou simples observateurs, consignent ses évolutions dans leurs carnets. Naïf ? Utopique ? Peut-être. Il n’empêche que cette occupation de l’espace public par le public lui-même aura eu le mérite de montrer qu’en ce début de xxie siècle, de nouveaux modes de mobilisation peuvent encore être inventés.

A. B.

Bruno Trentin, La Cité du travail. Le fordisme et la gauche, Préface de Jacques Delors. Introduction d’Alain Supiot Paris, Fayard, coll. « Poids et mesures du mode », 2012, 448 p., 25 €

Personnalité syndicale et politique italienne de premier plan, Bruno Trentin a été secrétaire général de la Cgil (1988-1994) avant de siéger au Parlement européen (1994-2004). Si l’édition originale de cet ouvrage date de 1997, il est d’une actualité manifeste : homme de gauche, Trentin s’interroge sur le « logiciel fordiste » de la gauche réformiste qui a selon lui une vision de l’homo œconomicus indissociable d’une organisation scientifique du travail (celle du fordisme et du taylorisme). De ce dogme qu’il critique, comme Simone Weil (voir notre dossier d’août-septembre 2012), il résulte que la gauche dite réformiste ne peut offrir aucune alternative à l’ultralibéralisme contemporain. La situation équilibriste du gouvernement actuel qui confine à la prostration (par incapacité de penser autre chose) est une illustration de la thèse développée dans ce livre, qui porte sur les blocages de la démocratie politique et les impasses d’une démocratie sociale rivée à une conception aliénante du travail. Alain Supiot, qui connaît bien les arcanes du droit du travail et ses fondements et qui avait déjà attiré l’attention sur les réflexions de Trentin, souligne dans son introduction combien la persistance de ce dogme fordiste rend la gauche incapable de penser le monde contemporain (soumis par ailleurs à la troisième révolution industrielle, celle des nouvelles technologies, qui multiplie des contraintes inédites) : « Communistes et réformistes ont été, dans leur majorité, profondément d’accord pour conférer à une élite éclairée le soin de conquérir les leviers de l’État au nom d’un monde du travail dont l’organisation relèverait d’une rationalité technico-scientifique. » Si la conquête réformiste du pouvoir consiste à reproduire les recettes du new public management, il n’est pas sûr que l’on change l’intelligence de gauche !

O. M.

Marc Pataut, Jean-François Chevrier, Véronique Nahoum-Grappe, Philippe Roussin, Pia Viewing, Humaine, Caen, Crp/Le Point du jour, 2012, 160 p., 36 €

On regarde souvent le Nord de la France avec pitié, ou du moins avec pathos, comme une terre abandonnée, une friche industrielle dont l’avenir est derrière elle. Inévitablement surgissent les images des mines, les visages ravagés des mineurs. Cet héritage, bien sûr, existe, et doit être rappelé par les historiens et les artistes. Mais c’est un autre visage du Nord que nous présente Marc Pataut. Des visages de femmes, des corps de femmes, prises comme sujets, et non objets, de la photographie. Les rides sont là, bien sûr, les marques du temps et de la fatigue, mais aussi un regard volontaire, un sourire esquissé, l’ample courbe d’une hanche. Ce projet a pris du temps, il a fallu beaucoup discuter avec ces trois femmes, pour créer cette œuvre collective. On sent dans le livre l’échange entre les photographies et les textes, mais aussi la présence de Sylvie, Marie-Jo et Fred, dont les bouches, pourtant toujours fermées sur les photographies, ne sont pas avares de mots.

A. B.

Yasmine Abbas, Le Néo-nomadisme, Limoges, Éd. Fyp, 2011, 144 p., 19, 77 €

Architecte ayant résidé et travaillé aux États-Unis, en France, au Maroc, au Danemark et dans les Émirats arabes unis, Yasmine Abbas est une néo-nomade parfaite, pour reprendre son vocabulaire. Elle sait donc que la mobilité est à la fois physique, numérique et mentale, et témoigne du fait qu’il n’est plus indispensable de se déplacer corporellement pour bouger. Et pour cause : la distance a disparu grâce aux nouvelles technologies et à leur vitesse toujours plus rapide au profit d’une proximité toujours possible (Michel Serres). Mais cette néo-nomade qui n’imagine pas revenir à un nomadisme d’hier dénonce le caractère énergivore et épuisant de cette mobilité. Ce qui revient à se focaliser sur le seul néo-nomadisme de ceux qui vivent au rythme des villes globales et des hôtels internationaux, alors que l’univers de la globalisation tourne à plusieurs vitesses. Loin de valoriser outrancièrement ce néo-nomadisme de luxe, l’auteure, qui se souvient qu’elle est architecte et urbaniste, en appelle à des économies d’énergie et à un retour à des formes de sédentarité inédites. On aimerait en savoir un peu plus et apprendre de l’architecte comment concevoir de la stabilité urbaine dans un monde secoué par l’instabilité. Peut-être est-ce l’occasion de rappeler qu’un nomade du désert connaît tous les lieux par lesquels il passe ? Dans cette optique, la prise en compte de la mobilité contemporaine aurait le mérite de réfléchir sur les lieux eux-mêmes.

O. M.

Jean-Luc Douin, Le Cinéma du désir. Dictionnaire, Paris, Joëlle Losfeld, 2012, 360 p., 23, 50 €

Alors que les dictionnaires de facture universitaire se multiplient dans le domaine du cinéma (voir le récent Dictionnaire de la pensée du cinéma aux Puf), ce dictionnaire très personnel, rédigé par Jean-Luc Douin qui fut longtemps critique au Monde, est une bonne surprise. D’une part, il rappelle qu’un dictionnaire peut être l’occasion d’un voyage amoureux qui associe moins des concepts et des noms propres que des moments, des visages, des souvenirs, des chocs… Ce qui n’est bien sûr pas sans lien avec la thématique du désir choisie ici (on doit à l’auteur plusieurs ouvrages dont les Écrans du désir et un Dictionnaire de la censure au cinéma) : le désir de cinéma est aussi un désir d’acteurs (voir les belles pages sur Rita Hayworth, Ava Gardner ou Delphine Seyrig, dont la voix est immortelle), et il passe par des mises en scène du désir (David Lynch, Roman Polanski, mais aussi les relations entre François Truffaut et Benoît Jacquot et leurs comédiennes) et des films (voir la place centrale de Vertigo (Sueurs froides) de Hitchcock, dont on apprend qu’il fut décisif dans l’écriture de la Jetée de Chris Marker). D’autre part, cette écriture très libre qui se joue de la lourdeur du dictionnaire dément le lieu commun selon lequel il n’y aurait plus de plumes critiques depuis la grande époque des Cahiers du cinéma. Cet ouvrage, tout comme le récent recueil de Jean-François Rauger (conseiller pour la programmation de la Cinémathèque), l’Œil qui jouit (voir notre compte rendu dans le numéro d’août-septembre), montre bien que la critique passe par la capacité de parler de « son » cinéma.

O. M.

Henry James, Voyages en France, Paris, Robert Laffont/Pavillons Poche, 2012, 376 p., 8, 90 €. Heures anglaises, Paris, Le Seuil, 2012, 304 p., 21 €

Européen de New York où il est né en 1843, l’Américain Henry James prend la nationalité anglaise (il s’installe à Londres en 1876 en pleine époque victorienne) un an avant sa mort en 1915. C’est devenu une histoire quasi légendaire. Mais qu’en était-il de cet Anglais d’adoption qui n’a cessé de tisser des liens entre l’Amérique et l’Europe ? Et qu’en était-il d’une Europe qui, pour lui, comprenait l’Angleterre, la France et l’Italie ? La publication (grâce au travail éditorial de Jean Pavan) des Heures anglaises (c’est en Angleterre que James publie nouvelles et romans auxquels Mona Ozouf a consacré un ouvrage) et des Voyages en France (il faut rappeler son amitié avec l’écrivain-voyageur Stevenson à qui l’on doit un voyage avec un âne dans les Cévennes devenu aujourd’hui un circuit touristique) permet fort heureusement de ne pas céder aux seules interrogations sur l’identité intellectuelle et culturelle de James. On saisit qu’il est aussi un voyageur qui dévore les villes et les paysages : le périple français est passionnant, car l’écrivain, qui découvre les châteaux de la Loire et les villes historiques (il passe par Bordeaux, Toulouse, Arles, Nîmes et la très médiévale Carcassonne avant de finir par la Bourgogne), s’intéresse finalement plus aux gens qu’il rencontre (ce qui vaut des scènes hôtelières souvent drôles et de nombreux portraits de personnages inattendus qui se démarquent de ceux de ses nouvelles) qu’aux châteaux plus ou moins hantés par l’histoire. Commencé en Angleterre, le voyage européen de James traversant la France se prolonge en Italie : ce que racontent ses Heures italiennes (publié par Minos/La Différence en poche), où les villes deviennent des personnages à part entière. Le James voyageur se rapproche à merveille de son ami Stevenson, dont il est apparemment si éloigné.

O. M.

Michel Murat et Frédéric Worms (sous la dir. de), Alain, littérature et philosophie mêlées, Paris, Éd. Rue d’Ulm, 2012, 224 p., 18, 50 €

Alain a eu deux élèves – dans sa célèbre classe de philosophie – qui lui ont un peu échappé, Simone Weil bien entendu (voir le numéro d’Esprit d’août-septembre 2012 dont Frédéric Worms a été le coordinateur) et Jean Prévost : deux élèves qui se sont engagés chacun à sa manière dans l’action, deux élèves qui ont échappé au procès intenté à Alain, le professeur/citoyen/pacifiste, par Maurice Merleau-Ponty dans un célèbre texte publié dans Sens et non-sens au titre incisif, « La guerre a eu lieu » (un article de cet ouvrage collectif consacré aux rapports d’Alain et de Canguilhem porte sur le pacifisme et la théorie des passions). Si S. Weil et J. Prévost se sont engagés, si Prévost est mort en résistant, si l’on ne peut les accuser d’inaction, Alain partage avec Jean Prévost une passion philosophique de la littérature et l’idée que celle-ci fait penser. « Même sa métaphysique, il l’a puisée, écrit Philippe Berthier, dans Balzac, dans Stendhal, dans Wilhem Meister, dans Consuelo. » Comme Prévost, Alain partageait le goût de la littérature, au premier rang de laquelle figuraient Stendhal et Balzac. Mais Jean Prévost (un « jeune taureau » pour Alain) a un faible pour les héros de Stendhal qui cherchent à échapper à la médiocrité (Lucien Leuwen) tandis qu’Alain accorde une préférence à Balzac. Ce livre issu d’un colloque fait bien comprendre cette proximité de la littérature et de la philosophie, ce qui se traduit par une fascination pour Stendhal et Balzac et contraste avec le malentendu sur lequel reposent les liens entre Alain et Paul Valéry. Julien Gracq, autre élève d’Alain, devait pour sa part côtoyer le communisme et suivre le surréalisme d’André Breton ; il fournit ici l’occasion de rappeler un témoignage de Maurice

Blanchot sur Alain : « Il est admis que ses vrais disciples lui sont finalement infidèles. Mais ce qu’il faut considérer chez Alain, c’est la liberté de l’esprit, le goût de la dignité du jugement, l’indifférence hautaine pour tout ce qui est faiblesse de la passion et menace de l’intelligence. D’une certaine manière, le seul contenu de sa philosophie, c’est sa pensée en exercice. »

O. M.

En écho

PERSPECTIVES CHINOISES : MAO AUJOURD’HUI !– C’est un dossier très substantiel que la revue Perspectives chinoises, basée à Hong Kong, propose afin d’éclairer les soubassements de ce qu’on appelle en Occident « l’affaire Bo Xilai » (2012, no 2, cefc@cefc.com.hk). « À l’approche du xviiie Congrès du Parti communiste chinois (Pcc), les débats ont tourné autour du prétendu “renouveau rouge” impulsé par la campagne chang hong da hei (faire l’éloge du rouge et abattre le noir) de Bo Xilai à Chongqing (ville centrale de plus de 30 millions d’habitants), un mélange de répression sévère des criminels, de politiques sociales louées par certains comme le signe avant-coureur d’un nouveau modèle, et de propagande imprégnée de références à l’époque Mao. » Tel est le point de départ de ce qu’on appelle « le modèle de Chongqing » (plus social, plus radical !) à propos duquel les interrogations sont légion depuis la chute de Bo Xilai en mars 2012. « Si celle-ci a, selon Sebastian Veg, confirmé ce dont beaucoup d’observateurs se doutaient : à savoir que son utilisation de références à Mao servait principalement à accumuler du capital politique dans les grandes manœuvres qui précèdent le Congrès. Néanmoins, le “modèle de Chongqing” continue à susciter l’intérêt parce qu’il est vu comme une réponse à un réel besoin de la société chinoise, et il n’est pas impossible qu’il survive à la chute de son plus célèbre héraut. Quelles qu’aient été ses motivations stratégiques, la réintroduction par Bo Xilai de Mao Zedong dans le débat politique a suscité des discussions de tous genres, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti allant de la critique des inégalités du développement dans la Chine actuelle et du rôle de l’État dans l’économie à la réévaluation de la Révolution culturelle et au rôle de l’idéologie et du contrôle des médias. » Dans ce dossier qui aide à y voir plus clair, des articles portent sur : le renouveau maoïste, la place de Mao Zedong dans l’historiographie et le discours officiel chinois, la propagande. Voir aussi un texte, un témoignage historique, de Ding Dong : « Vénération, réflexion et recherche empirique : les trois phases de mon regard sur Mao Zedong.

LA REVUE NOUVELLE ET TUMULTES – Alors que Jean-Claude Willame revient sur le Congo à nouveau en proie à la violence (« Une fois de plus, c’est la “guerre” au Kivu »), la revue de Bruxelles (La Revue nouvelle, septembre 2012, no 9, redaction@revuenouvelle.be) propose un dossier sur le populisme européen titré « Pour la démocratie, prendre le populisme au sérieux » qui se penche d’abord sur la situation en Belgique et en Italie. Tumultes (septembre 2012, no 38-39, kime.editions@wanadoo.fr) prend de son côté le relais des nombreux dossiers de revue déjà sortis sur les réveils arabes (notion qui tend à remplacer celle de printemps ou d’hiver arabe) avec un ensemble solide sur « Le Moyen-Orient en mouvement » : on y lira des textes très informés sur la Libye (Luis Martinez), le Bahreïn (Laurence Louër), le Yémen (Stephen Day), l’Égypte (Mokhtar Shuaïeb).

L’EUROPE ET L’ISLAM, LA LIBERTÉ OU LA PEUR – Ce fut le thème des récentes rencontres d’Averroès animées à Marseille par Thierry Fabre. Interviennent dans ces débats publiés par les éditions Parenthèses Leyla Dakhli, Alaa El Aswany, Michel Foucher, Gabriel Martinez-Gros, Farida Belkacem, Fethi Benslama, etc.

SIGILA ET LA FIGURE DE L’ESPION – La revue Sigila (il s’agit d’une excellente revue transdisciplinaire franco-portugaise sur le secret, association Gris-France, sigila@club-internet.fr) propose un ensemble sur l’espion qui ne peut étonner de la part d’une revue consacrée au secret. On y trouve entre autres un article d’Adrien Le Bihan, connaisseur hors pair de la littérature polonaise, sur Andrzej Kusniewicz, écrivain/espion, et un texte de Delphine Bouit sur la Charte 77 à Prague.

LA REVUE DES DEUX MONDES : L’AMÉRIQUE À LA DURE – Le dossier que La Revue des Deux Mondes consacre aux États-Unis dans son numéro d’octobre-novembre est très divers : on y parle de politique étrangère (F. Bujon de l’Estang, Ruoling Zheng), de bilan politique et de stratégie électorale (Niels Planel), des mormons, et, comme de juste, de littérature, à travers des entretiens avec Adam Gopnik (grande figure du New Yorker) et Ben Lerner (nouveau jeune prodige des lettres américaines) ainsi qu’un article de Jean-Pierre Naugrette sur Ernest Hemingway. Quoi de plus normal, vu le titre du dossier ?

Avis

Les 80 ans d’Esprit (1932-2012) : pour marquer cet événement, nous organisons une journée publique de débats samedi 8 décembre à la mairie du 3e arrondissement de Paris (2, rue Eugène-Spuller, 75003). Ce sera pour nous l’occasion de nous projeter dans les difficultés du présent en donnant la parole aussi bien à des acteurs qu’à des analystes (Jean-Marc Sauvé, Nicole Maestracci, Christophe Robert, Alain Lipietz, Michel Foucher…). Le rôle d’une revue intellectuelle comme Esprit n’est en effet pas seulement de porter un regard sur le présent mais de comprendre les forces qui agissent aujourd’hui. On s’interrogera donc sur la démocratie et la place de l’État, sur les difficultés de la pensée économique, sur la prise en compte des enjeux de long terme dans les décisions du présent. Mais le diagnostic qu’on pourra porter sur ces sujets doit se compléter de réflexions sur le lien entre pensée et action aujourd’hui, sur les manières de délibérer, de représenter, de décider qui transforment aussi le rôle et la place d’une revue généraliste. Renseignements et inscriptions : a.beja@esprit.presse.fr

Une rencontre en partenariat avec l’Imec et Ent’revues, le vendredi 30 novembre dans les locaux de l’Imec (174, rue de Rivoli, 75001 Paris, 14 h 30-21 h), sera consacrée à quelques figures inattendues mais marquantes de l’aventure intellectuelle d’Esprit comme Michel Foucault, Ivan Illich ou Cornelius Castoriadis. Ce sera aussi l’occasion de retracer l’histoire des liens entre la revue et le monde de l’édition et de suivre les étapes des réflexions menées dans la revue sur le monde arabe, depuis l’orientalisme jusqu’aux révolutions arabes.

Le Syndicat de la presse culturelle et scientifique (Spcs) organise le 14 décembre un colloque intitulé « Revues généralistes/revues spécialisées » à l’institut Raymond-Poincaré, 11, rue Pierreet-Marie-Curie, 75005 Paris.

Du 20 novembre au 2 décembre, la villa Gillet de Lyon organise le festival « Mode d’emploi » dans divers lieux publics et culturels de la région Rhfne-Alpes. Il s’agit d’une série de rencontres consacrées aux sciences humaines et sociales et à leur interprétation de grandes questions contemporaines (crise économique, écologique, question du genre, technique…) à travers lectures, projections, débats, ateliers… Plus de renseignements sur le site : www.festivalmodedemploi.net

L’Association de recherches mimétiques (Arm) organise le vendredi 7 décembre un colloque sur le thème : « Sauver la planète : une unanimité non violente est-elle possible ? » Parmi les intervenants : Jean-Pierre Dupuy, Dominique Bourg, Olivier Abel, Michaël Fœssel, Nicolas Bouleau et Bernard Perret. Le colloque commencera à 9 h 30 et se déroulera à la Fondation del Duca, 17, rue Alfred de Vigny, 75008 Paris. Entrée libre. Renseignements et réservations : http://www.rene-girard.fr/offres/ gestion/events_57_13741_non-1/sauverla-planete.html

Que souhaitons-nous transmettre à travers l’éducation ? Les humanités classiques ont-elles encore une place dans nos institutions éducatives ? Alors que les départements de lettres classiques comptent peu d’inscriptions à l’université, que les langues anciennes ont du mal à fidéliser les élèves au-delà d’une première initiation, que la culture générale est mise en question dans les concours de recrutement, que la spécialisation s’impose dans la recherche, notre prochain dossier se proposera de discerner ce qui nous manquerait si l’on renonçait à cette formation classique qui a irrigué notre culture. Cela sera l’occasion de faire le point sur les choix stratégiques de l’enseignement français, sur les disciplines classiques mais aussi sur le refoulement de la part sensible de notre histoire esthétique qui a marqué cette tradition. Par la suite, nous reviendrons sur l’importance de la question religieuse pour la philosophie du xxe siècle, à travers les œuvres de philosophes majeurs comme Habermas, Heidegger, Wittgenstein…

  • 1.

    Jacob Taubes, dans ses réflexions sur l’Apocalypse, s’écriait : « Excusez-moi, mais je ne peux pas vivre dans un seul monde ! » Beaucoup pourraient le dire avec lui ! Voir Michaël Fœssel, « “Vivre dans le délai.” Jacob Taubes et les racines apocalyptiques de l’Occident », Esprit, août-septembre 2010.

  • 1.

    Christa Wolf, le Ciel partagé, Paris, Éditeurs français réunis, 1963.

  • 2.

    Id., Christa T., Paris, Le Seuil, 1972.

  • 3.

    Id., Cassandre, Paris, Alinéa, 1985.

  • 4.

    Id., Médée, Paris, Fayard, 1997.

  • 5.

    C. Wolf, Aucun lieu, nulle part et neuf autres récits, Paris, Stock, 2009.

  • 6.

    Id., le Corps même, Paris, Fayard, 2003.

  • 7.

    Id., Ce qui reste, Paris, Alinéa, 1990.

  • 1.

    Guy Dubois, la Conquête de l’Ouest en chansons, Paris, L’Écarlate, 2011.

Jean-Claude Eslin

Philosophe, lecteur et commentateur, entre autres, d'Hannah Arendt et de Max Weber, il s'intéresse aux interrogations politiques contemporaines, notamment la place faite à la religion dans la société moderne. Il intervient régulièrement dans la revue sur la situtaion, notamment institutionnelle, de l'Eglise catholique en France. Il travaille aussi sur la question européenne, la relation à…

Jean-Pierre Peyroulou

Spécialiste de l’histoire de l’Algérie et des problématiques liées à la décolonisation.   Après un ouvrage sur la guerre civile algérienne des années 1990 (L’Algérie en guerre civile, avec Akram B. Elyas, Calmann-Lévy, 2002) et une réinterprétation des violences des mois de mai et de juin 1945 en Algérie (Guelma, 1945, La Découverte, 2009), il prépare un atlas historique des décolonisations, ce…

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