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Pierre Mayol

décembre 2007

#Divers

Notre ami Pierre Mayol, en sa vie brève, a traversé beaucoup de milieux et beaucoup d’époques. Milieu religieux où je l’ai connu d’abord, milieux de l’anthropologie urbaine avec Michel de Certeau et Luce Giard, milieux du ministère de la Culture, de la revue Esprit, sans oublier celui de l’université de Bourgogne où il rencontrait de jeunes étudiants, d’autres encore que j’ignore.

Ces milieux représentaient aussi des époques, car quoi de commun entre le climat effervescent des années 1965 de ses vingt ans et celui, plus rugueux, d’aujourd’hui, sans compter les décennies 1980 et 1990. Chaque fois, les espoirs d’une première époque étaient balayés par une autre époque, suivant ses traces, niant effrontément les affirmations de la précédente.

En chacun de ces milieux et de ces circonstances, Pierre a apporté ce qu’il avait de singulier, il a su les traverser en étant lui-même. Ce qui est constant : son regard sur le monde, qui nous manque aujourd’hui. Regard plein d’humour, volontiers populaire, surtout curieux, émerveillé, admiratif, en un mot : poétique. Il ne dédaignait pas d’être badaud à l’entour des manifestations ou des quartiers de Paris, des villes qu’il arpentait au fil de ses missions. Au Café des Gobelins, quand nous poursuivions la conversation, il notait à travers la vitre le passage de tel habitué, de tel personnage, en saisissant le ton et la démarche. Rien dans la rue qui n’attire son attention.

Mais ce regard singulier aurait pu rester anecdotique : il le construit avec ses dons littéraires, avec la rigueur des disciplines intellectuelles ; la chaleur et l’intelligence de son regard, replacées dans un ensemble construit, devenaient la substance de ses écrits et de ses cours, de sorte qu’il révélait la culture de notre époque. Cela apparaît dans son enquête « Habiter » dans l’Invention du quotidien II2, sur le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, lieu de son enfance, dans les Enfants de la liberté3, en maints papiers dispersés.

Il aimait le monde avec familiarité, enjouement et gaieté. Habité de sources religieuses, littéraires et musicales (chaque mot pèse !) profondes, il savait faire ce que la plupart ignorent : manifester le lien entre les formes modernes de la culture et ces sources peu perçues. C’est ce qu’il transmettait à ses étudiants, à ses lecteurs, à ses auditeurs, à ses amis, plus intimement à ses filles, à sa famille. Une tâche de passeur ! Nous, moins sensibles, il nous éveillait à ses perceptions, de même qu’il transmet par les textes évangéliques qu’il a désiré être lus aujourd’hui, notamment le prologue de l’évangile de Jean, la force de sa foi chrétienne éclairée, que je dirai lumineuse, johannique plutôt que paulinienne.

Pierre trouva dans la revue Esprit un lieu d’interaction qui comptait beaucoup pour lui. Il y trouvait un lieu, rare, d’amitié et de débat. Il apportait des harmoniques propres ; on se souvient, entre autres, d’un numéro qu’il inspira : Musique contemporaine : comment l’entendre ? (mars 1985).

Pierre nous a accompagnés, il a transmis de ce qu’il était autant qu’il a pu, jusqu’au dernier moment, avec générosité. Il est parti, il s’en est allé. Il nous accompagne cependant.

  • 1.

    Michel de Certeau, Luce Giard, Pierre Mayol, l’Invention du quotidien, tome 2 : Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1990 (rééd. coll. « Folio essai », 1994).

  • 2.

    Pierre Mayol, les Enfants de la liberté, Paris, L’Harmattan, 1997.

  • 3.

    « La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection », Spinoza, Éthique. Origine et nature des sentiments, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 470.

Jean-Claude Eslin

Philosophe, lecteur et commentateur, entre autres, d'Hannah Arendt et de Max Weber, il s'intéresse aux interrogations politiques contemporaines, notamment la place faite à la religion dans la société moderne. Il intervient régulièrement dans la revue sur la situtaion, notamment institutionnelle, de l'Eglise catholique en France. Il travaille aussi sur la question européenne, la relation à…

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