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Europe : héritage méconnu ou liberté radicale ? (introduction)

« Au bout de la sécularisation », quoi ? Quel bilan ? Quel héritage ? Où en sommes-nous ? Après la sécularisation, qui a pris en Europe une tournure et une dimension sans précédent ni équivalent, où allons-nous ? Dans le mur, comme le prédisent les messagers de l’apocalypse ? Vers un avenir radieux, en tout cas débarrassé de l’hypothèque religieuse, comme le murmurent les nouveaux bien-pensants ? Vers des configurations religieuses nouvelles, inédites ?

Sociologues des religions, historiens, philosophes évoquent ici le présent de la religion ou des religions en Europe. Alors qu’on observe sur tous les continents une reviviscence religieuse installée dans la durée, cette observation paraît inaudible en Europe, tant elle prend à contre-courant l’idée que l’Europe préfigurait la lente extinction des religions. L’influence politique de ces nouveaux courants prend aussi des formes tout à fait différentes de la stricte séparation qui caractérise l’Europe. Comment faut-il donc comprendre cette « exception » européenne qui ne fait plus modèle ? Ils évaluent ce qui se dissout et qui change la donne – plus contrastée que ce que le regard immédiat et la rumeur pourraient le laisser croire. Le plus décisif, peut-être, est qu’en Europe l’histoire chrétienne ne fait plus loi ou, pour le dire autrement, que la pluralité l’a définitivement emporté. Un signe qui ne trompe pas : elle est sanctionnée par la loi, au niveau de l’Union européenne plus encore que dans les vieilles nations européennes, sous le signe de la non-discrimination. On a le droit de s’inquiéter de ce tournant, qui se traduit concrètement par une incroyable absence de mémoire et qui ressemble parfois à une sorte de redépart à zéro, sans les religions, sans le christianisme surtout : un effacement sans doute désiré et voulu aussi pour exorciser la culpabilité européenne, que de nouvelles victimes de son histoire tourmentée ne cessent de rappeler et d’intensifier …

Mais on ne repart jamais à zéro. D’une part, de l’histoire passée reste une « dualité constitutive », une tension positive entre des pôles comme le politique et le religieux, l’individuel et le social, le for externe et le for interne, l’identité et l’ouverture. L’important, ce ne sont pas les pôles, mais la tension ou, comme dans une dialectique qui fonctionne, le moment de l’opposition. Et cette dette positive est due au monothéisme juif et chrétien (Paolo Prodi, qui la souligne, inclut d’ailleurs l’islam).

D’autre part, il n’y a pas de discontinuité totale par rapport à hier. Quand deux auteurs parlent de l’avenir religieux de l’Europe, elles disent : « ni Dieu ni César », « laïcité et christianisme ». C’est-à-dire encore des mots qui viennent, pour les premiers, des Écritures chrétiennes et, pour les seconds, de l’histoire mouvementée de l’Europe.

Un soulagement à bon compte ? Non, plutôt une façon de ne pas croire que nous sommes à la fin de l’histoire : la nouvelle Europe des religions reste à inventer.

Jean-Louis Schlegel

Philosophe, éditeur, sociologue des religions et traducteur, Jean-Louis Schlegel est particulièrement intéressé par les recompositions du religieux, et singulièrement de l'Eglise catholique, dans la société contemporaine. Cet intérêt concerne tous les niveaux d’intelligibilité : évolution des pratiques, de la culture, des institutions, des pouvoirs et des « puissances », du rôle et de la place du…

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