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Position – Une tour peut-elle être transparente ?

janvier 2015

#Divers

La tour Triangle biaise parce qu’elle empêche de poser correctement la question de la hauteur. La surélévation des bâtiments existants la poserait, à notre sens, autrement et surtout plus finement. La tour biaise parce qu’elle appelle trop souvent la dalle qui l’accompagne à son pied. À Paris surtout, on a trop rarement montré que l’on savait faire autrement, alors qu’à New York le rez-de-chaussée donne directement sur la rue et son trottoir, et non sur un sol artificiel, dénudé et généralement surélevé. Une tour «  à la française  » entraîne inévitablement une question : au pied, ça se passe comment ? Mal, en général. Enfin, nous verrons bien… Trop tard, peut-être. La tour transparente n’a jusqu’ici montré d’elle dans la presse que quelques images de synthèse – nonobstant l’exposition, très complète il est vrai, qui se tient cet hiver au Pavillon de l’Arsenal.

La tour Triangle biaise en refusant, selon son concepteur Jacques Herzog auquel le projet fut confié de gré à gré, de s’assumer comme telle, bref comme une tour de 180 mètres de haut. Lorsque le projet fut présenté il y a plus de six ans déjà, certains l’ont dite contextuelle parce qu’elle était triangulaire. Il ne nous a pas semblé que la porte de Versailles avait quoi que ce soit de triangulaire1. Voir dès lors cette tour triangulaire comme un « ?morceau de ville que l’on aurait fait pivoter et placé verticalement? » est une lecture parmi d’autres, en l’occurrence celle des concepteurs eux-mêmes, que l’on peut trouver sur le site du Pavillon de l’Arsenal. Enfin, la pyramide incarne par excellence une figure autarcique et monumentale, dans le désert aux portes du Caire comme au milieu du Louvre.

La tour Triangle biaise car elle se voudrait transparente. Haute de 21 mètres pour marquer l’entrée d’un grand musée, on comprend qu’elle y parvienne, mais en accueillant 88?000 mètres carrés de bureaux sur 180 mètres de haut, on ne voit guère comment cela serait possible. Cette histoire rappelle curieusement celle de l’ancienne Tgb – aujourd’hui Bibliothèque nationale de France – dont les quatre tours furent annoncées transparentes lors du concours en 1989… et l’on sait depuis ce qu’il en advint. Rarement la transparence aura trouvé aussi désemparés ses ennemis, et pourtant celle-ci ne souffre pas l’indétermination?: il faut prendre « ?parti? ». Pour reprendre le constat de l’architecte Paul Chemetov sur le site du journal Le Monde le 15 novembre dernier?:

Ce sont bien les quartiers à l’architecture et à l’urbanisme non homogènes, en forme et en hauteur, qui sont les plus agréables à vivre, les plus pittoresques, les plus parisiens au sens touristique du terme […]. [Cette tour] doit donc être dessinée, figurée et défendue pour ce qu’elle est. Les perspectives que l’on voit privilégient la tranche. Que devient ce projet en vue frontale dans le skyline parisien?? Quelle ombre porte-t-il éventuellement sur son voisinage et combien d’heures dans l’année2??

La tour Triangle biaise parce qu’elle instaure une forme de consensus un peu suspect contre son abandon au sein d’une profession habituellement traversée par les divisions?: les architectes, généralement aussi corporatistes qu’individualistes. L’un d’entre eux, animateur et créateur de l’Abeille et l’Architecte3, un blog fréquenté, engagé et pertinent, livrait récemment ses atermoiements une semaine avant le vote du conseil de Paris?:

Personnellement, je ne sais toujours pas ce que je voterais, partagé entre mon métier d’architecte qui me fait pencher du côté du pour et mon engagement citoyen qui me fait pencher du côté du contre.

Mais une tour, est-ce vraiment innovant?? Il est permis d’en douter. Objet autarcique, monolithique et fort peu flexible, elle n’offre généralement aucun « ?plan B? », aucune alternative ni flexibilité en cas de problème fonctionnel majeur. La Tour infernale (film catastrophe américain de 1974, avec Steve McQueen et Paul Newman) avait spectaculairement mis en scène ce caractère, mais sur un mode bien plus banal malheureusement?; on le constate en ce moment avec le triste feuilleton (qui dure tout de même depuis vingt-trois ans) du désamiantage de la tour Montparnasse. Et si des emplois seront certes créés pour la construire, cette tour Triangle, iront-ils vers les majors du Btp ou vers les artisans et les Pme?? Enfin, à quels autres types de bâtiments profiteront les matériaux ultraperformants qui devront être mis au point?? À d’autres tours, sans doute… Mais on peine à imaginer ce que les logements de demain devront à ces verres spéciaux.

Quant à l’attractivité de la porte de Versailles, les architectes savent bien, eux les premiers, que la tenue de grandes manifestations sur ce site paraît de plus en plus compromise?: si leur fameux salon fétiche, Batimat, qui demande beaucoup d’espace pour exposer les matériaux de construction mis à leur disposition, a dû migrer vers Villepinte, au fin fond du Grand Paris et au bout de la ligne du Rer B, il y avait quelques raisons à cela, non?? Une grande tour en lisière d’un périphérique déjà surchargé à cet endroit-là et qui risque de l’être encore plus lorsque le ministère de la Défense aura pris ses quartiers dans le « ?Pentagone à la française? » qui doit bientôt ouvrir ses portes tout près à Balard, est-ce bien raisonnable??

La tour Triangle biaise, enfin, avec les découpages politiques?: la droite soutient les Verts, et les socialistes et les communistes font front commun avec le promoteur Unibail, auquel le terrain a été attribué sans mise en concurrence… L’équation est terrible?: ce n’est pas parce que l’on doute de la pertinence de la tour Triangle que l’on souhaite pour autant que Paris se transforme en musée. Pour ma part, je rêve de « ?projets modestes? » pour les villes, mais que voulez-vous, ils répondent rarement aux discours et aux attentes de la Chambre de commerce. La tour Triangle biaise car elle prétend apporter une réponse à des problèmes qui ne sont solubles qu’à grande échelle?: l’étalement excessif de la ville, la crise de l’immobilier de bureaux en panne de plateaux adaptés aux exigences contemporaines, et la mixité tant recherchée que le projet n’a pas su conserver, perdant au fil de ses évolutions son hôtel, son espace de formation, son centre des congrès et jusqu’à son ascenseur panoramique.

  • 1.

    Du reste, le cabinet Herzog et de Meuron a imaginé une tour fort semblable (un triangle coupé en deux) pour le laboratoire Roche à Bâle… (http://www.dezeen.com/2014/10/23/herzog-de-meuron-basel-campus-redesign-roche-healthcare/).

  • 2.

    Paul Chemetov, « ?La tour Triangle doit être dessinée, figurée et défendue pour ce qu’elle est? », Le Monde, 15 novembre 2014 (http://www.lemonde.fr/architecture/article/2014/11/15/la-tour-triangle-n-est-pas-une-tour-mais-une-plaque-aussi-haute-que-large-a-sa-base_4524214_1809550.html?xtmc=chemetov&xtcr=2).

  • 3.

    http://labeilleetlarchitecte.wordpress.com/