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La crise financière en Chine : une divine surprise ?

novembre 2009

#Divers

Affolement des marchés ou pas, le pouvoir chinois ne perd jamais le nord : il se trouve à l’offensive aussi bien sur la scène internationale, où son rôle apparaît renforcé, que sur le plan intérieur où le risque de trouble social lié à l’explosion du chômage justifie un renforcement des mesures autoritaires.

La crise financière, qualifiée en Asie de « tsunami financier », a paradoxalement renforcé la position du parti communiste chinois, tant sur la scène internationale que sur la scène intérieure.

Sur la scène internationale, elle a provoqué l’affaiblissement des États-Unis non seulement dans le domaine économique et financier, mais aussi dans le domaine des valeurs. Elle a en effet montré les dangers d’une confiance aveugle dans la suprématie du marché. Mais elle a également montré que la mondialisation a conduit à une telle interdépendance des économies que Washington n’est plus en mesure de résoudre seul les problèmes de la planète. Elle a notamment mis en valeur l’existence de la « Chimérique », cette relation d’interdépendance des économies américaine et chinoise qui caractérise l’économie mondiale depuis plus d’une décennie.

Dès la faillite de Lehman Brothers en effet, les dirigeants américains ont cherché à obtenir la collaboration de la Chine pour résoudre la crise. Les deux gouvernements se sont accordés pour empêcher par tous les moyens un retour du protectionnisme, et Pékin s’est engagé à tenter de maintenir le taux de croissance de son économie en adoptant un plan de relance de 4 trillions de yuans. Ayant intérêt à empêcher l’effondrement de l’économie américaine, Pékin, qui détient plus de 800 milliards de dollars de bons du Trésor américain, a demandé au gouvernement des États-Unis d’intervenir afin de maintenir la valeur de leur monnaie.

Nouveaux atouts internationaux

Dans le même temps, les dirigeants chinois critiquaient la position dominante du dollar dans l’économie mondiale et, à la veille du sommet du G20 de Londres en avril, le gouverneur de la Banque centrale de Chine, Zhou Xiaochuan, accusait la position du dollar d’être responsable de la crise financière et appelait à son remplacement par des droits de tirage spéciaux. La Chine a multiplié dans la foulée des accords d’échange non libellés en dollars (currency swaps) avec de nombreux pays, tandis que le Premier ministre Wen Jiabao appelait à un renforcement de la coopération en Asie pour résister à la crise. Ces manœuvres ne signifient naturellement pas que la fin de l’hégémonie du dollar dans les échanges internationaux est proche, mais elles montrent que la République populaire est prête à prendre des initiatives et à utiliser ses atouts pour faire évoluer les règles de l’économie mondiale, bref, à se comporter comme un acteur majeur.

C’est apparu encore plus clairement avec l’émergence du G20, dont elle est un membre actif, comme lieu principal de discussion pour tenter de résoudre la crise. On peut dire aujourd’hui qu’il a remplacé le G8 dont les membres apparaissent de plus en plus comme les responsables de la crise. C’est lors des réunions du G20 qu’a été discutée l’adoption des mesures destinées à relancer l’économie mondiale, et même s’il est surtout apparu comme une instance de discussion plutôt que de décision, il a consacré l’importance des nouveaux acteurs comme la Chine et l’Inde dans l’économie mondiale.

L’arrivée aux affaires de l’administration Obama, qui estime qu’il est essentiel d’obtenir la collaboration de Pékin pour résoudre les problèmes d’environnement qui menacent la planète et pour empêcher l’Iran et la Corée du Nord de se livrer au chantage nucléaire, s’est ajoutée à la crise pour renforcer la position de la Chine.

Vingt millions de chômeurs

Sur le plan intérieur, la crise a d’abord affecté l’économie, sans doute plus que ne le pensent les observateurs occidentaux. En fait, au moment où elle a éclaté en septembre 2008, les industries exportatrices du delta de la Rivière des Perles avaient déjà commencé à péricliter. Des milliers d’usines fabriquant des jouets à Dongguan avaient dû fermer, licenciant des dizaines de milliers d’ouvriers. Responsables : l’augmentation du prix du pétrole en 2007 et l’adoption de la nouvelle loi sur le travail qui oblige les employeurs à accorder des contrats de travail et des avantages sociaux aux ouvriers d’origine paysanne qui constituent l’essentiel de la main-d’œuvre. La crise financière, en provoquant une forte baisse de la demande, a conduit au licenciement d’une vingtaine de millions de ces ouvriers à la fin 2008.

Craignant que ce ralentissement de l’économie ne provoque des troubles sociaux, et conformément aux promesses faites à ses partenaires internationaux, le gouvernement chinois a annoncé un énorme plan d’intervention de 4 trillions de yuans en novembre 2008. L’essentiel de ces fonds est consacré à des travaux d’infrastructure qui ont permis de réemployer un grand nombre de travailleurs licenciés dans les zones côtières. Ceux-ci ont été encouragés à rester chez eux après les traditionnelles vacances du Nouvel An, les autorités craignant que la présence de centaines de milliers de chômeurs à la recherche d’emplois dans les régions côtières ne mette en danger la sacro-sainte stabilité dans une période riche en anniversaires politiquement sensibles.

Récemment, les autorités affirmaient que près de seize des vingt millions de travailleurs d’origine paysanne qui avaient perdu leur emploi à la fin 2008 avaient retrouvé du travail en septembre 2009. La crise sociale prévue par de nombreux observateurs n’a donc pas eu lieu et, loin d’assister à un regain d’agitation ouvrière, on a plutôt vu les salaires proposés baisser tandis que le code du travail était de moins en moins appliqué.

Du reste, le plan de relance du gouvernement ne se fonde pas sur une relance de la consommation, dont la part dans le Pib n’a cessé de décroître. Il profite surtout aux membres des gouvernements locaux chargés de mettre en œuvre les travaux d’infrastructure, fournissant des occasions de faire de considérables profits aux entreprises qui leur sont liées tandis que les simples travailleurs, toujours privés de protection sociale, sont obligés d’épargner pour payer les soins médicaux et pour assurer l’éducation de leurs enfants.

Contrairement à ce qu’espéraient certains dirigeants, notamment le nouveau secrétaire du comité provincial du Guangdong, Wang Yang, épaulé par le successeur désigné de Hu Jintao, Xi Jinping, la crise n’a pas permis au Guangdong de monter en gamme. Au début, Wang s’était réjoui de l’effondrement des marchés d’exportation, affirmant que ce serait une excellente occasion pour les entreprises du delta de la Rivière des Perles d’abandonner le modèle de l’exportation fondée sur les faibles coûts d’une main-d’œuvre non qualifiée pour s’attaquer au marché des hautes technologies. Les développements constatés depuis quelques semaines montrent que cette stratégie a été abandonnée puisque les usines grosses consommatrices de main-d’œuvre reprennent la production et recommencent à recruter.

Une légitimité idéologique renforcée

Si la crise n’a guère modifié les comportements ni les politiques du gouvernement, elle a cependant contribué à renforcer sa position sur la scène intérieure. Souvent présentée comme la faillite du système occidental, elle a renforcé la position idéologique du parti communiste. Les partisans de la nouvelle gauche notamment, qui affirment que la mondialisation est un cheval de Troie des Occidentaux pour asservir le pays, ont estimé qu’elle justifiait leur dénonciation du néolibéralisme. Chen Kuiyuan, président de l’influente Académie des sciences sociales de Chine, en a profité pour condamner les « valeurs universelles » défendues par les intellectuels libéraux :

Nous ne devons pas adorer aveuglément et sanctifier les valeurs occidentales comme soi-disant valeurs universelles. En d’autres termes, nous ne devons pas reléguer les valeurs de notre Parti et de notre nation au statut de valeurs inférieures.

Bien sûr, ces déclarations ont été contestées et, tout au long de l’année écoulée, les intellectuels libéraux ont réaffirmé l’importance des « valeurs universelles ». Toutefois, les médias officiels n’ont pas hésité à affirmer que la crise avait montré que le modèle de développement occidental (marché + démocratie) avait montré ses limites. Le défilé du 1er octobre célébrant le soixantième anniversaire de la fondation de la République populaire a donc pu sans complexes montrer une « société harmonieuse » unie derrière le parti communiste représenté par les quatre chars de son idéologie : la « pensée de Mao Zedong », la « théorie de Deng Xiaoping », l’« importante idéologie des trois représentativités » de Jiang Zemin, et le « point de vue du développement scientifique » de Hu Jintao.

Au lendemain de la crise, la direction communiste sort renforcée. Il est donc encore moins question pour elle de se livrer à une réflexion profonde sur l’orientation de ses politiques.

  • *.

    Directeur de recherche au Cnrs, Ceri-Sciences Po, il travaille au Centre d’études français sur la Chine contemporaine à Hong Kong. Voir son article dans Esprit du mois d’octobre 2009 : « Soixante ans de pouvoir communiste en Chine : les illusions perdues ».

Jean-Philippe Béja

Jean-Philippe Béja est un politologue, sinologue et directeur de recherche au CNRS, ainsi qu’au CERI. Il a notamment écrit À la recherche d’une ombre chinoise, Le mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004) (Éditions du Seuil, 2004).

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