
La fin de Hong Kong ?
En Chine, toute critique à l’égard du pouvoir est considérée comme une atteinte à la sécurité de l’État.
« La Chine et les États-Unis doivent essayer d’éviter une nouvelle guerre froide et trouver de nouveaux moyens de coopérer malgré leurs différences », a déclaré le ministre des Affaires étrangères Wang Yi devant l’Assemblée populaire nationale (APN) qui s’est réunie exceptionnellement en mai pour cause de coronavirus. Le ministre s’exprimait après que les « loups guerriers », cette nouvelle race d’ambassadeurs, avaient adopté une attitude offensive contre les pays occidentaux, mais aussi contre de nombreux pays africains. La pandémie de coronavirus qui, dans un premier temps, avait permis à Pékin d’améliorer largement son image internationale grâce à ses offres de masques et de matériel médical, a aujourd’hui des effets contraires : d’une part, la Chine refuse d’annuler la dette des pays les plus pauvres et, d’autre part, elle fait du chantage à ses partenaires pour leur envoyer ce matériel médical. Certains cercles proches du pouvoir s’inquiètent de la détérioration de l’image de la République populaire à un moment où les échecs occidentaux, notamment américains, dans la lutte contre la pandémie auraient dû lui permettre de marquer des points sur la scène internationale. Qu’à cela ne tienne, les plus radicaux semblent avoir le vent en poupe et le discours des modérés, comme l’ambassadeur de Pékin aux États-Unis Cui Tiankai, sont de moins en moins influents. Ce radicalisme est renforcé par l’attitude de Donald Trump, qui accuse la Chine de tous les maux. Xi Jinping estime que son adversaire est prêt à tout et qu’il n’hésite pas à utiliser Hong Kong et Taiwan pour empêcher la République populaire de renforcer sa position sur la scène internationale.
De juin à décembre dernier, des millions de Hongkongais ont manifesté, chaque semaine d’abord, pour exiger l’abandon d’un article prévoyant l’extradition des criminels recherchés par Pékin vers la République populaire, puis, une fois cet objectif obtenu, pour demander l’instauration d’élections au suffrage universel direct. Les dirigeants de Pékin sont convaincus qu’il n’existe pas de mouvement populaire spontané et que ce mouvement a été lancé par les États-Unis, qui veulent faire de Hong Kong un territoire indépendant pour déstabiliser le Parti. Qu’importe que les élections aux conseils de district, en novembre dernier, se soient traduites par un raz-de-marée en faveur des démocrates : ce sont les forces étrangères hostiles qui se cachent derrière ces protestations ; il faut donc mettre un terme à leurs agissements.
Du reste, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, Xi Jingping, a montré qu’il n’hésitait pas à éliminer toute voix dissidente en Chine et à sévir contre ses critiques à Hong Kong. La répression policière violente qu’il a ouvertement encouragée n’a pourtant pas permis de mettre un terme au mouvement qui a secoué la Région administrative spéciale (RAS). Même la crise du coronavirus qui, à Hong Kong comme ailleurs, s’est traduite par l’interdiction de tout rassemblement, n’y est pas parvenue. Dès le mois d’avril, des manifestants respectant la distanciation physique ont repris le chemin de la protestation. Pourtant, le 15 avril dernier, une quinzaine de démocrates historiques dont le fondateur du Parti démocrate Martin Lee, aujourd’hui âgé de 82 ans, Jimmy Lai, patron de l’Apple Daily, un tabloïde très populaire critique de Pékin, Margaret Ng, une avocate réputée, et d’autres personnalités connues mais plus très actives avaient été arrêtées (puis relâchés sous caution) pour « participation à un rassemblement illégal » dans l’espoir de décourager les gens de manifester. Ces arrestations sans précédent signalaient que le pouvoir était prêt à prendre des mesures extrêmes pour lutter contre « le chaos ».
Pékin désespère de ses partisans
Dès novembre dernier, le comité central du Parti a affirmé que, pour mettre un terme au mouvement, le conseil législatif de Hong Kong (LegCo) devrait adopter la loi permettant de mettre en œuvre l’article 23 qui punit la subversion, la sécession, les atteintes à la sécurité de l’État et le terrorisme.
Cela devrait être d’autant plus facile que, depuis l’invalidation de six députés démocrates et localistes, le conseil (LegCo) est largement dominé par les partisans de Pékin. Malgré cela, il a eu toutes les peines du monde à venir à bout des manœuvres de l’opposition pour adopter la loi sur les injures à l’hymne national et il n’y serait sans doute pas parvenu sans l’intervention du nouveau directeur du bureau de liaison de la Chine, Luo Huining.
Quant à l’article 23, dès son arrivée au pouvoir en 2017, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam s’était engagée à ne pas le faire voter pendant son premier mandat, afin de ne pas soulever un tollé dans la RAS. Les manifestations de l’an dernier semblent n’avoir rien changé à cette décision. Comme les élections législatives du 6 septembre risquent de donner la moitié des sièges aux démocrates et aux localistes, les dirigeants de Pékin ont commencé à s’impatienter et ont décidé de prendre les choses en main directement.
Pékin prend les choses en main
Ainsi, l’APN a adopté, le 28 mai, une décision permettant de voter une loi sur la sécurité nationale de Hong Kong pour punir la sédition, la sécession, la mise en danger de la sécurité nationale. Son article II affirme que « l’État s’oppose fermement à toute interférence de toute force étrangère dans les affaires de la RAS de Hong Kong, de quelque manière que ce soit, et emploiera toutes les mesures nécessaires pour contrer, empêcher légalement et punir l’utilisation de Hong Kong par les forces étrangères et d’outre-mer pour mettre en œuvre des activités séparatistes, subversives, d’infiltration et de destruction », tandis que son article IV prévoit que « les organes du Gouvernement populaire central chargés de la protection de la sécurité nationale installeront dans la RAS des institutions nécessaires à la préservation de la sécurité nationale1 ». Or l’article 23 de la loi fondamentale stipule expressément que « la RAS mettra en œuvre des lois pour interdire la sécession, la sédition, la subversion contre le gouvernement central ». Pourquoi alors voter cette loi qui viole l’article 22, stipulant que les lois nationales ne s’appliquent pas à Hong Kong, sauf si elles concernent la défense nationale ou les affaires étrangères ?
L’adoption de cette loi montre clairement que Pékin veut régler ces questions par lui-même et interdire aux organisations étrangères d’agir à Hong Kong. Elle sera promulguée sans être votée par le LegCo et, une fois qu’elle aura été adoptée, les dirigeants du Parti pensent sans doute qu’il sera plus simple de faire voter l’article 23. Cela montre qu’ils ne font aucune confiance à leurs partisans à Hong Kong2. Cela montre également qu’ils ne se préoccupent guère de la légalité de leurs actions. Ils prennent la décision et laissent ensuite aux juristes qui les soutiennent le soin de la justifier, tant bien que mal.
Quoi qu’il en soit, cette loi fait peser une menace sur les libertés fondamentales : en effet, en Chine, toute critique à l’égard du pouvoir est considérée comme une atteinte à la sécurité de l’État. Cette loi risque donc d’interdire aux candidats démocrates, qui dénoncent la dictature du parti unique, de se présenter aux élections. Ils peuvent en outre être considérés comme subversifs ou comme agents des forces étrangères. C’est sans doute l’un des buts poursuivis par Pékin en faisant voter cette loi dès le mois de juin, soit avant les élections. Elle permettra en outre d’interdire les organisations qui demandent plus d’autonomie pour Hong Kong sous l’accusation de revendication d’indépendance (c’est ce qui s’est passé avec le National Party en septembre 2018), de rendre illégaux les syndicats et les partis affiliés à des organisations internationales (comme la Confederation of Trade Unions) et d’interdire aux hommes politiques qui ont des contacts à l’étranger de participer à la vie politique. Des voix se sont déjà élevées pour affirmer qu’une fois la loi votée, l’Alliance en soutien au mouvement patriotique pour la démocratie en Chine, qui organise la veillée de commémoration du massacre du 4 juin 1989 à Pékin, devra être interdite3. Déjà, prétextant que l’épidémie de coronavirus (mille cas, quatre morts) menaçait, le gouvernement a interdit (sans succès) la veillée de 2020. Cette veillée ayant tout de même eu lieu, la police a fait savoir à douze dirigeants de l’Alliance ainsi qu’à Jimmy Lai, le patron de l’Apple Daily, qu’ils seraient arrêtés pour avoir organisé un rassemblement illégal.
Sacrifier Hong Kong ?
Xi Jinping a sans doute décidé d’aller de l’avant parce qu’il pensait que le monde englué dans la crise du coronavirus ne réagirait que faiblement. C’était une erreur. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont réagi vivement : Donald Trump a déclaré qu’il tirerait les conséquences de la perte d’autonomie de la RAS si la loi était adoptée, tandis que Boris Johnson offrait aux titulaires de passeports britanniques d’outre-mer (soit tous les sujets nés avant 1997) la possibilité d’obtenir la citoyenneté britannique. Les Hongkongais ont continué à manifester et même l’Union européenne s’est inquiétée de l’érosion des libertés à Hong Kong.
L’adoption de la loi sur la sécurité nationale risque de conduire le monde occidental à retirer à Hong Kong son statut de territoire douanier autonome, qui permet à la Chine de contourner la guerre commerciale avec les États-Unis. Elle risque aussi de remettre en question son statut de troisième place financière internationale, car les menaces qui pèsent sur les organisations étrangères inquiètent nombre de multinationales. Déjà, on voit un grand nombre de professionnels de la finance et de la banque s’intéresser aux possibilités d’émigration. Toutefois, les banques internationales, notamment la HSBC et la Standard Chartered Bank, qui battent monnaie dans la RAS, ont publiquement manifesté leur soutien à la loi. Elles se comportent ainsi comme les dirigeants des provinces chinoises lorsque le Centre exige qu’ils soutiennent de soutenir une de ses décisions.
Aujourd’hui, Xi Jinping semble prêt à sacrifier Hong Kong et les avantages qu’elle apporte à la Chine pour lutter contre ce qu’il considère comme des atteintes à la sécurité nationale organisées par les puissances étrangères, notamment les États-Unis. Comme il est impossible de dompter sa population, autant la laisser dépérir en l’intégrant dans la “Greater Bay Area” avec le delta de la Rivière des Perles. Le Parti communiste a du reste annoncé son intention de faire de Hainan une zone franche destinée à remplacer l’ancienne colonie. Toutefois, les expériences précédentes, comme celle de la zone de libre-échange de Shanghai, sont loin d’être concluantes et nul n’a été en mesure de remplacer la RAS par laquelle passent toujours un tiers des investissements destinés à la Chine.
Cela signifie-t-il que Xi estime que la Chine est aujourd’hui assez forte pour s’en passer ? Est-il prêt à affronter les réactions internationales face à ce qui apparaît comme une violation de ses engagements ? Ce n’est pas impossible, et on peut considérer son action comme une preuve de grande confiance en soi. Mais on peut également l’interpréter comme la réaction d’un dirigeant qui se sent encerclé, non seulement par les puissances rivales, mais également par des forces qui, à l’intérieur, estiment que cette politique aventuriste, qui s’éloigne de celle décidée par Deng Xiaoping en 1979, risque de porter un coup fatal à l’image de la République populaire et d’enterrer le rêve de la réunification avec Taiwan.
- 1. chinalawtranslate.com, 22 mai 2020.
- 2. Kimmy Chung, “National security law: Hong Kong’s pro-establishment politicians reveal they were caught off guard by Beijing’s plan”, South China Morning Post, 5 juin 2020,
- 3. “June 4 vigil could be banned in future: CY Leung”, RTHK News, 24 mai 2020.