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L'État providence en héritage. Pupille de Jeanne Herry

À propos de Pupille de Jeanne Herry

L’État providence n’a guère le vent en poupe. Entre ras-le-bol et révoltes fiscales, politiques de compétitivité ou de pouvoir d’achat fondées sur la baisse des cotisations sociales, ou ambitions récurrentes et creuses de révolutionner le modèle social français, il est très fréquemment remis en cause dans son fonctionnement ou ses fondements.

Le film Pupille, qui raconte l’histoire d’un accouchement sous X dans le Finistère, puis de l’adoption du petit garçon concerné, tranche avec cette ambiance. Il constitue un éloge de l’État providence, non comme souvent dans la perspective des amendements ou améliorations qu’il conviendrait de lui apporter, mais tel qu’il est, dans le tissu complexe et pourtant fluide des différents acteurs qui le font vivre : hôpital public, conseil départemental, société civile.

Démonstration est faite tout au long du film de la manière dont les pouvoirs publics ont su s’organiser pour prendre en charge et offrir des opportunités aux figures fragiles que sont un enfant, Theo, privé de père et de mère à la naissance, et une femme, Alice, qui ne peut avoir d’enfant.

Au fil du récit, les griefs habituellement portés à l’État providence sont désamorcés un à un.

Celui de la complexité et du manque de coordination des acteurs en premier lieu. Les différents services sont nombreux à intervenir dans un processus lent et délicat – personnel médical procédant à l’accouchement et au suivi post-natal, fonctionnaire assermentée établissant le procès-verbal de la remise à l’adoption par la mère biologique, équipes respectivement en charge du choix des familles ­d’accueil et de la sélection des familles adoptantes… – mais ils se parlent et coopèrent. L’agent assermenté, Mathilde, après avoir échangé avec une infirmière, parvient à transmettre à ses collègues l’information pouvant expliquer l’apathie du nourrisson tout en respectant sa déontologie. À noter, en ces temps de verticalité simplificatrice du pouvoir, la valorisation par le film du rôle majeur joué par la plus menacée de nos collectivités territoriales : le conseil départemental.

Le grief bureaucratique et l’incapacité à s’adapter au caractère singulier des situations ne tiennent pas plus. On assiste ainsi aux délibérations des agents en charge du choix de la famille d’adoption, pesant et soupesant les avantages et inconvénients de chaque candidat au regard de la situation de l’enfant. Mais si les équipes savent trouver une réponse adaptée, c’est que chacun des acteurs bénéficie de réelles marges de manœuvre. Karine, en charge des familles d’accueil au sein du Département, choisit ainsi Jean pour accueillir le nourrisson durant la période de deux mois de rétractation possible de la mère biologique, parce qu’elle est intimement persuadée qu’il est l’homme de la situation.

Si le dispositif laisse leur place à la singularité et à la subjectivité, il est tout de même suffisamment robuste pour résister aux aléas, voire aux «  débordements  » biographiques : le couple d’agriculteurs prioritairement choisi pour adopter Theo se désiste car une grossesse inespérée est déjà en cours, mais une autre candidate, Alice, avec des qualités différentes, est disponible ; tandis que l’amour sans espoir que Karine porte à Jean, marié et père de famille, n’interfère en aucune manière avec la qualité d’accueil du bébé.

En s’organisant autour des personnes, l’État providence s’adapte aux évolutions sociétales : à travers le choix d’un homme au foyer, Jean, comme famille d’accueil pour un nourrisson ; ou celui d’une famille monoparentale incarnée par Alice, désormais divorcée, pour adopter Theo : une première pour le conseil départemental du Finistère.

Mais plutôt que d’adaptation, mieux vaudrait parler de transformation pour cerner l’action des institutions qui se mobilisent. Le film met ainsi en scène une dialectique puissante de la filiation qui fait du bébé un véritable personnage. Pour que l’adoption soit une réussite, il faut que la mère biologique ne laisse planer aucune ambiguïté et dise « au revoir » à l’enfant. C’est à Mathilde de l’obtenir : soit en convainquant la mère de le faire, soit, à défaut, et c’est ce qui se produira dans le film, en expliquant elle-même à l’enfant le choix de sa mère et ce qu’il lira plus tard dans une lettre qu’elle a laissée pour lui. C’est seulement après ce colloque singulier avec Mathilde que Theo, comme libéré, commencera à s’exprimer auprès de Jean et s’autorisera ensuite à construire une relation manifestement heureuse avec sa mère adoptive qui le renommera Mathieu. Une véritable «  renaissance  », permise par la chaîne des acteurs contribuant à l’État providence.

Irène, cheffe du service en charge des familles adoptantes au sein du Département, prend sa retraite juste après l’adoption. À travers ce personnage, Miou-Miou semble jouer un rôle similaire à celui de Catherine Deneuve, juge des enfants dans le film La Tête haute d’Emmanuelle Bercot (2015) : celui de passeur d’institutions construites il y a plusieurs générations maintenant, qui ont su se transformer au milieu d’un brouhaha critique et dont nous devons continuer à assurer la prospérité.

 

Jérôme Giudicelli

Ses études littéraires l'ont mené, après un passage par l'ENA, aux questions du travail, notamment de la formation professionnelle, vue à l'échelle régionale, puis nationale. Il est désormais fonctionnaire territorial en région pays de la Loire. Il reste fidèle à l'analyse littéraire et cinématographique à travers ses interventions sur l'actualité des livres et du cinéma.…

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