Ernst Kantorowicz: A Life, de Robert E. Lerner
Princeton University Press, 2017, 424 p., $39.95
Ernst Kantorowicz est connu avant tout pour un livre monumental,
les Deux Corps du Roi (1958), dans lequel il explique
comment, à la fin du Moyen Âge, les monarchies européennes se sont
fondées symboliquement sur une théorie duale de la personne
royale : à la fois corps mystique, donc permanent, à caractère
divin, et corps naturel, particulier, exposé à la maladie et à la
mort. En particulier, il montre comment cette représentation a ses
origines dans la théologie chrétienne (la nature divine et humaine
du Christ), et comment celle-ci a été progressivement laïcisée dans
une théorie juridique de la monarchie, qui fonde en fait la théorie
de l’État moderne, lui aussi perpétuel et impersonnel.
L’influence profonde de cette thèse, tout comme l’image de
Kantorowicz lui-même, est restée toutefois dans l’ombre diffuse
d’une jeunesse sulfureuse dans l’extrême droite allemande des
années 1920. Son premier livre, une biographie de l’empereur
Frédéric II Hohenstaufen (1194-1250), avait été perçu dès
1928 comme un manifeste nationaliste à la gloire d’un grand héros
germanique. Que ce livre ait été lu et admiré par Hitler, Goebbels
et Mussolini n&rsquo