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La crise des nominations dans la culture

octobre 2015

#Divers

C’est une ritournelle. On nommerait mal à la tête des institutions, en particulier dans le secteur culturel. Ni plus, mais ni moins mal que dans un passé encore récent. Et c’est dans cette absence de progrès que se nichent les regrets. Les dernières nominations témoignent en tout cas du caractère toujours aussi sensible du débat.

Dans le meilleur des cas, elles auront été sans écho – à l’Ina après le départ mouvementé d’Agnès Saal. Plusieurs autres ont suscité des réactions interrogatives, donc dubitatives – pourquoi pas un scientifique à la tête de la Cité des sciences, pourquoi un haut fonctionnaire n’ayant jamais approché professionnellement les institutions culturelles à la tête de Beaubourg ? Un troisième bloc a appelé des qualificatifs explosifs, et nous a ramenés à ce thème récurrent de la crise du pouvoir de nommer : c’est à Rome la Villa Médicis, à Paris l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba). Et bien sûr France Télévisions.

On le voit à cette liste : ce sont moins les choix faits qui doivent étonner que notre incapacité persistante à trouver une méthode pour nommer, qui conduise à ce que ces choix ne soient pas aussitôt contestés. Nous n’avons pas su éteindre les critiques et les rumeurs. Comme s’il n’y avait pas de solution. Car le moins que l’on puisse dire est que tous les modèles sont utilisés : le silence des allées du pouvoir, les appels à candidature ouverts, les choix politiques, les commissions techniques… et jusqu’au renoncement au pouvoir de nommer, transféré à une autorité administrative indépendante, dont l’indépendance supposée ne semble finalement rien changer à l’affaire !

Pourtant, l’enjeu n’est pas neutre. Pour l’autorité dépositaire de ce pouvoir de nommer. D’abord parce que la critique des nominations est un aliment de cette ère persistante du soupçon qui n’en finit plus d’entourer le pouvoir politique et dont on aimerait pouvoir s’éloigner. Mais aussi parce que le déploiement d’une politique publique cohérente dépend grandement de ceux qui dirigent les établissements qui en sont l’instrument. Il faut que leur projet ne soit à tout le moins pas en contradiction avec les objectifs fixés par l’actionnaire. Or pour s’en assurer, rien de tel que de pouvoir nommer : ce qui suppose que l’État conserve en effet et revendique ce pouvoir.

Mais de la qualité du processus de nomination dépend aussi le respect dû aux personnes nommées. Ce n’est pas seulement l’État qui souffre d’une presse critique ou ironique. Ce ne sont pas seulement les institutions culturelles et leurs agents qui peuvent se sentir maltraités. Mais ce sont également les personnes nommées qui voient leur autorité et leur légitimité d’emblée égratignées, leur parcours professionnel trop souvent mis de côté, leur ambition et leur projet oubliés. Il n’est que d’observer la triste histoire du transfert manqué de la Villa Médicis vers l’Ensba de celui qui dirigea la première pendant six ans pour constater à quel point la vie intime de deux ou trois couples aura semblé aux commentateurs plus déterminante que l’appréciation que l’on peut porter d’un côté sur le parcours d’un historien de l’art, sur ses faits d’armes à la tête de l’Académie de France à Rome et avant, et de l’autre sur les difficultés rencontrées par un curateur reconnu à la tête d’une école prestigieuse, sur ses efforts réels pour faire évoluer son projet et sur les garanties qui lui ont du coup été données. Le primat va à la toute petite histoire, au mépris du travail réalisé par ceux-là mêmes qui en sont les acteurs plus ou moins involontaires. Et surtout au mépris d’une réflexion, pourtant nécessaire, qu’il conviendrait de conduire sur le rôle des institutions elles-mêmes, leur avenir, le sens qu’elles ont dans le monde d’aujourd’hui. La mauvaise monnaie – la parole perfide, venimeuse, vaine – corrompt la bonne. Et débouche, dans un balancement dangereux, sur une revendication absolutiste, et elle aussi récurrente : la transparence totale.

L’épisode France Télévisions

C’est d’une tristesse redoutable, à la source de laquelle l’épisode de la nomination à la tête de France Télévisions aura, ces derniers mois, joué un rôle tout particulier. Parce que le fait, pour le président de la République, d’avoir renoncé à son pouvoir de nommer avait précisément pour objectif de rendre le processus de nomination serein, professionnel et dépolitisé. Tout un symbole. Et l’on s’est hâté de mettre en œuvre cette promesse de campagne. Au fond, sans plus y réfléchir. Or que s’est-il passé ? Un ratage phénoménal.

Bien sûr, d’abord parce que la mise en œuvre par le Csa du pouvoir qui lui était conféré fut à deux reprises un échec. On ne parle pas ici des personnes – qui en sont aussi les victimes – mais de la méthode. Le Csa n’a fait que reprendre à son compte des habits politiques, pensant vraisemblablement que l’apaisement devait venir du seul transfert de la charge de nommer. Or, attaché avant tout autre à l’effet d’image que produiraient ses décisions, obnubilé par la question de savoir si les listes de candidats d’une part et les auditions d’autre part devaient être ou non rendues publiques, au nom d’une transparence présentée comme parfaite, et suivant en cela la pente d’une vie politique accrochée au commentaire médiatique, le Csa a oublié d’énoncer comment se déroulerait la procédure. Ce qui ne voulait pas tant dire où et comment se dérouleraient les auditions, mais selon quels critères le choix serait fait et selon quelles modalités (de vote le cas échéant) la décision serait prise. Au lieu de quoi, des critères – expérience dans le privé, position actuelle au regard du service public audiovisuel… – et des règles de vote – pour passer d’un tour à l’autre de la procédure – ont semblé faire irruption au fur et à mesure que le choix final s’approchait. De quoi surprendre, de quoi agacer, de quoi s’interroger sur l’intérêt qu’il y avait à passer par un tiers pouvoir pour nommer !

Mais le ratage vient aussi, en amont, du choix qui a justement été fait de passer par le Csa pour nommer les patrons de l’audiovisuel public. Choix qui n’était mû que par le désir de se démarquer de l’adversaire politique. Sans s’interroger plus avant sur le sens que peut avoir aujourd’hui, plus de quarante ans après la mort de l’Ortf et trente après la libéralisation du Paf, ce souci d’éloigner le gouvernement et lui seul du choix des patrons de chaînes. Sans s’interroger plus avant sur l’incongruité que peut représenter le fait de confier à l’autorité de régulation du secteur audiovisuel le pouvoir de nommer les responsables de quelques-unes des entreprises qui le constituent. Comme si le déséquilibre ainsi créé ne pouvait pas nuire à la mission, fondamentale, de régulation ; comme si ce faisant, on n’interdisait pas à ce tiers pouvoir d’occuper justement sa place de tiers ; comme si, au fond, on ne l’incitait pas à se croire ministre à la place du ministre. On pouvait sans doute vouloir se démarquer de la position sarkozyste ; mais on n’aurait pas dû se contenter d’un retour à la solution du Csa, qui manquait de pertinence. Toujours est-il que si l’épisode France Télévisions est si important au cours de ce mandat, c’est précisément parce qu’il signale cette erreur de méthode ; mais aussi qu’il a emporté avec lui tous les efforts qui avaient été faits depuis 2012 pour redonner un peu de clarté et de substance aux nominations dans le secteur culturel. Ce qui devait être le symbole d’une démocratie apaisée est devenu celui d’un échec.

Du bon usage de la transparence

Pouvions-nous faire mieux ? À tout le moins, poser quelques principes et, peut-être plus encore, les revendiquer.

Dans cette recherche de solutions, on peut observer un exemple formalisé à la fin du gouvernement Jospin dans le secteur culturel : celui des établissements publics de coopération culturelle (Epcc). Tout n’y est pas simple. Mais ce que prévoit la loi pour ces établissements, qui permettent d’associer l’État et les collectivités territoriales dans la gestion des structures culturelles, contient au moins deux points forts. D’une part, le respect dû au sortant – qui doit formellement être prévenu avant tout autre du sort qui lui est réservé et à qui on évite l’offense d’une mise en concurrence superfétatoire. D’autre part, l’obligation de dire clairement comment se déroulera la procédure et quelles seront les modalités de vote. Là où l’on se focalise habituellement sur deux points qui ne sont en réalité pas essentiels, la loi sur les Epcc nous dit au fond ce qui est déterminant. Et l’on n’a d’ailleurs guère besoin d’une loi pour faire usage des bonnes pratiques.

Mais les fausses routes, d’abord. Renoncer au pouvoir de nommer est la première, qu’il s’agisse d’opérer un déplacement du pouvoir exécutif vers le Parlement, de faire appel à des comités d’experts, ou, comme avec le Csa, de s’en remettre à une autorité administrative indépendante. Car quand le choix des dirigeants des institutions est, en termes de politique publique, si important, y renoncer, c’est renoncer au pouvoir politique ; c’est renoncer à conduire une politique publique. Quant à la seconde fausse bonne idée, c’est le principe de la publicité à toutes les étapes du processus de nomination, qui va jusqu’à évoquer la possibilité de filmer les auditions. Mais pour en faire quoi : une nomination par sondage ? une destitution par tribunal populaire interposé ? un pouvoir confié à la presse, toujours si prompte à juger ? Ces routes sont mauvaises parce qu’elles reviennent à admettre que le pouvoir politique n’est pas digne et alimentent donc son discrédit plutôt qu’elles ne nous en guérissent ; elles sont mauvaises parce que, et l’histoire récente en témoigne, elles ne permettent jamais d’apaiser les nominations et sont donc des impasses.

Il ne s’agit bien sûr pas d’être naïf. Le temps démocratique ne se limite pas – et de moins en moins – à celui des élections. Et ses exigences sont, heureusement, plus denses. De la transparence, il en faut donc, évidemment. Mais aux moments clés, c’est-à-dire avant tout sur la méthode et in fine sur la justification du choix. Une attention réelle portée aux personnes, il en faut aussi, cela va de soi. Mais à la personne appréhendée sous l’angle professionnel : ce qui comprend son envie, son appétence pour la fonction, mais bien sûr son expérience et ses compétences. Enfin, un discours sur l’institution dont il est question, nous l’attendons tous, c’est encore une évidence : qu’il s’agisse de l’énoncer en amont de la procédure de nomination, ou à tout le moins de se mettre d’accord sur un projet avec l’impétrant avant de le nommer.

Des évidences, donc. Dont on s’étonne qu’on ne puisse pas les énoncer. Comme le symbole d’une démocratie malade qui est une démocratie silencieuse. On n’empêchera sans doute jamais une nomination de susciter une forme d’excitation, parfois malsaine, et en tout cas des commentaires. C’est aussi une évidence, en forme de ressort psychologique banal. Mais la bonne voie ne pourrait-elle être celle de la revendication ? Revendiquer le pouvoir de nommer, l’exercer en respectant les personnes et dire l’avenir que l’on veut écrire pour les institutions. La démocratie suppose que l’on s’exprime.