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Dans le même numéro

Les priorités de l'école

octobre 2009

#Divers

Controverse

Les priorités de l’école

Avec l’automne reviennent les inquiétudes sur l’avenir de l’école française : un ministre inexpérimenté, Luc Chatel, succède à un agrégé de lettres classiques, Xavier Darcos, qui a enlisé sa volonté de réforme à force de multiplier les annonces. Les réductions d’effectif se poursuivent, sans qu’un discours politique vienne lui donner d’autre apparence que celle de l’ajustement budgétaire. La remontée du chômage remet la pression sur la formation initiale et, dans l’incertitude sur les modèles de sortie de crise, le bagage scolaire apparaît plus que jamais comme une sorte d’assurance sur l’avenir.

La demande adressée à l’école en ressort comme épurée et réduite à sa plus simple expression. Dans le cadre hexagonal, le cri du coïur arrive rapidement sous la plume des éditorialistes1 : « Priorité aux élites » ! Il faut continuer à tirer l’école vers le haut en accompagnant les meilleurs sur la voie de leurs succès. Or, rien ne dit que ce soit dans cette tâche que notre école soit prise en défaut. Au contraire, c’est sans doute ce qu’elle réussit le plus facilement. N’est-on pas heureux de lire dans Le Monde magazine la longue enquête de son numéro de rentrée sur « Dix-huit bacheliers d’exception » qui ont décroché 20/20 au bac 20092 ? Tout va pour le mieux puisque ces jeunes gens vont entrer à Louis le Grand et Henri IV… Mais on peut aussi se demander si cette manière de nous concentrer sur l’excellence des meilleurs ne témoigne pas d’un déséquilibre constitutif de notre système.

Reconstituer un peloton

Christophe Barbier déroule dans L’Express un argumentaire limpide : malgré des « millions de bonne volonté », l’école peine à maintenir ses exigences entre « parents consommateurs », « profs idéologues » et « enfants rois oublieux des vertus de l’effort ». L’école est en péril, il faut revenir aux fondamentaux. Conclusion de Christophe Barbier, « sans cynisme » :

Ce n’est pas le moral en queue de peloton qui permet de gagner des courses, c’est la qualité des sprinters.

À une condition, est-on tenté de répliquer : qu’on compte pour nul le classement par équipe ! Or, pour filer la métaphore cycliste, un objectif légitime de l’Éducation nationale est de parvenir à de bons résultats par équipe et pas seulement de permettre à des champions de briller au classement individuel.

Les difficultés de l’école que rappelle sommairement l’éditorialiste de L’Express sont bien vues : défi des nouvelles technologies, culture de l’immédiateté, développement de la mobilité, force des médias… Mais n’est-on pas confronté aux mêmes défis à Tokyo, à Berlin ou à Barcelone ? Pourquoi cela prend-il chez nous l’allure de la course au maillot jaune ?

Que peut-on dire de la manière dont l’école française se comporte par rapport aux autres systèmes scolaires ? Le développement des comparaisons internationales est désormais suffisant pour apporter quelques enseignements solides et un ouvrage récent de Christian Baudelot et Roger Establet en fournit justement une bonne synthèse3. Que peut-on retenir des comparaisons internationales ? Essentiellement que notre école ne s’en sort ni vraiment moins bien ni particulièrement mieux que les autres. À vrai dire, si l’on observe les moyennes des résultats aux différentes compétences testées, la France se trouve dans la bonne moyenne, « dans le peloton » qui roule d’ailleurs assez groupé. En revanche, nous sommes le pays dans lequel l’écart entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent est le plus fort :

L’école française est une des meilleures du monde… pour une petite moitié des élèves, et l’une des plus mauvaises pour l’autre moitié. La France est ainsi le pays du grand écart : si les élites scolaires font presque jeu égal avec l’excellence internationale, 40 % de ses effectifs se situent dans les profondeurs du classement4.

En d’autres termes, nous devrions nous pencher davantage sur ce que nous ne parvenons pas à faire : traiter l’échec scolaire. Notre école sait motiver les meilleurs mais pas assez faire progresser ceux qui sont en difficulté.

Elle a surtout du mal à lier les deux objectifs. Pourtant, les comparaisons internationales incitent aussi à penser qu’on développe d’autant mieux l’élite qu’on donne sa chance à tout le monde : égalité et efficacité vont de pair. Sans doute arrivons-nous d’autant moins à déjouer l’échec que la réponse spontanée à la demande scolaire se traduit toujours par le même réflexe et l’unique stratégie : s’assurer que nous n’avons pas sacrifié l’élite. Cette volonté, fortement exprimée par les parents, n’est pas illégitime mais elle se referme comme un piège au moment où elle se combine avec le malthusianisme qui caractérise notre système d’excellence : elle aboutit alors à filtrer tout au long des filières un nombre désormais trop faible de bons éléments (pour ne pas dire de « bêtes à concours5 »). Ce n’est pas seulement par sollicitude qu’il faut porter plus d’attention à la moitié qui décroche mais surtout parce que, en enfermant une grande part des élèves dans l’échec, on plombe l’efficacité générale de notre formation.

Sortir du dualisme ?

Comment sortir de cette logique où les écarts se creusent6 ? En se méfiant tout d’abord des raisonnements, comme celui du « niveau », portant sur des moyennes : dans le cas français plus que pour tout autre, le chiffre moyen est trompeur puisqu’il ne reflète pas le score d’un groupe moyen (inexistant) et qu’il masque même la caractéristique principale de notre système : le clivage entre réussite et échec. En reconnaissant ensuite qu’on a trop limité les efforts consentis pour les établissements les plus en difficulté7, alors que le besoin d’un travail d’équipe à l’échelle de l’établissement, d’une présence plus continue des enseignants, d’une autre politique d’affectation apparaissent comme des préalables à toute remise en route du travail scolaire.

Le « grand écart » se poursuit finalement dans l’enseignement supérieur. On sait que la France a longtemps sous-investi dans l’enseignement supérieur. Mais, ici encore, les moyennes sont trompeuses : c’est l’université qui est sous-dotée, pas les grandes écoles. Or, c’est l’université de masse qui doit aujourd’hui faire l’objet de projets ambitieux. Si les regroupements en cours au sein des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) permettent de surmonter le dualisme historique en s’appuyant sur une base territoriale (en créant des passerelles, des trajectoires en aller-retour, des projets fédérateurs et même des campus communs…), la réforme de l’autonomie pourra contribuer à surmonter un lourd héritage8. Mais il se peut aussi qu’ils opèrent selon une logique d’appariements sélectifs, où les plus sélectionnés resteraient en petit nombre entre eux en fonction de logiques disciplinaires (les économistes avec les économistes…) ou territoriales (tout sauf La Plaine-Saint-Denis !). Auquel cas, on sait déjà quel sera l’argument utilisé : « Priorité aux élites ! »

Marc-Olivier Padis

Coup de sonde

Finir sa vie, une question qui n’en finit pas

À propos de…

Sylviane Agacinski, Corps en miettes, Paris, Flammarion, 2009.

Jean Leonetti, À la lumière du crépuscule. Témoignages et réflexions sur la fin de vie, préface d’Axel Kahn, Paris, Michalon, 2008.

Dr Bernard Devalois, Peut-on vraiment choisir sa mort ? Repères pour les citoyens et ceux qui les soignent, préface de Jean Leonetti, Éd. Solilang, coll. « Ôméga », 2009.

Axel Kahn, l’Ultime liberté ?, Paris, Plon, 2008.

Céline Lafontaine, la Société postmortelle, Paris, Le Seuil, 2008.

Bien vivre, qui ne le désire ? Mais quel est ce « bien » du bien vivre, objet de la quête d’Aristote et de son innombrable postérité ? La modernité semble l’avoir réduit à l’hédonisme, au consumérisme, à l’individualisme comme on peut le constater à l’examen de deux formes de ce bien vivre particulièrement interrogées aujourd’hui, le bien naître et le bien mourir, ce dont témoignent la vigueur et la richesse du débat autour des questions du début de la vie avec, en 2009, les états généraux de la bioéthique et, en 2008, celles de la fin de vie avec les auditions et le rapport de la mission parlementaire d’évaluation de la loi du 22 avril 2005. Bien naître, bien mourir, sont des expressions lourdes si on décide de les réduire aux mots grecs qui les traduisent littéralement, eugénisme et euthanasie, et dont l’usage contemporain est tellement brouillé par les expériences historiques désastreuses du nazisme que l’étymologie est plutôt un obstacle qu’un auxiliaire dans les controverses d’aujourd’hui quand, par exemple, il s’agit d’évoquer le diagnostic préimplantatoire (Dpi) avec la démarche de sélection des vies dignes d’être vécues qu’il implique ou encore quand on parle de mettre fin à des vies considérées comme dénuées de sens.

La douteuse idéologie de la compassion

C’est de la fin de la vie qu’il va être question à travers quelques publications récentes mais on voudrait souligner, avant d’entrer dans cette revue, que ce sont les mêmes mécanismes mentaux qui affectent nos représentations sur certaines questions liées au naître et au mourir : dans l’une et l’autre situation, les enjeux anthropologiques sont complètement recouverts par le triomphe de l’idéologie compassionnelle qui bouleverse les repères éthiques que l’humanité a mis des millénaires à élaborer.

Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, la pratique des mères porteuses, devenue par un tour de passe-passe sémantique, celle de la gestation pour autrui, cherche à se traduire en acte de mise à disposition, gratuite ou non, de l’utérus et de voiler l’abandon délibéré de l’enfant à naître avant même d’avoir été conçu, en geste altruiste et biologiquement neutralisé puisque la gestation (terme utilisé pour l’ensemble des animaux) ne serait plus une grossesse (terme réservé à l’espèce humaine). Les « mères » porteuses ne seraient que des « femmes » porteuses comme on le proclame avec ingénuité jusqu’au Secrétariat d’État à la famille. Sur ce front, c’est la philosophe Sylviane Agacinski qui a été la plus active dans le débat citoyen, d’abord en 2008 lors de son audition devant une mission sénatoriale qui avait cru devoir ouvrir la voie à une légalisation des mères porteuses, puis en 2009 à l’occasion de la sortie de son livre Corps en miettes9 et la tenue des états généraux de la bioéthique où son argumentation fut particulièrement efficace pour dénoncer l’inévitable marchandisation des corps que cette pratique engendrait là où elle a été légalisée. En ces temps où la démocratie sondagière s’efforce de saper la démocratie politique, il est instructif de noter qu’au moment précis où les Français se prononçaient à 60 % en faveur de la légalisation des mères porteuses, le panel de citoyens associé aux états généraux de la bioéthique, dûment informé, se prononçait à l’unanimité contre cette légalisation !

Dès le début de son réquisitoire, Sylviane Agacinski rappelle une évidence oubliée de nos démocraties trop sûres d’elles-mêmes : « La barbarie a toujours été moderne, toujours nouvelle, toujours actuelle » (p. 7). La rhétorique sentimentale du dévouement, du don, de l’aide à la détresse est mobilisée dans la propagande en faveur de la légalisation des mères porteuses. Autre principe rappelé : « Le respect de la dignité de chacun doit être garanti, fût-ce en dépit de la liberté individuelle » (p. 100). Ce sont précisément ces mêmes repères qui permettent d’aborder la question de la fin de vie, et en particulier celle de l’euthanasie, d’une manière dépassionnée.

Car c’est toujours au nom de la compassion vis-à-vis de la « souffrance intolérable » que l’on veut légitimer et légaliser l’acte de provoquer délibérément la mort. C’est en invoquant la générosité, « l’aide » à mourir que l’on plaide pour l’inscription du geste homicide dans les actes médicaux. C’est en s’avançant sous la bannière de la dignité que les partisans de la légalisation de l’euthanasie rédigent les différentes propositions de lois toujours intitulées « mourir dans la dignité » qui s’abattent périodiquement sur le bureau de l’Assemblée nationale reprenant l’intitulé de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (Admd). En réalité, la dignité de la personne en fin de vie n’est aucunement concernée par l’euthanasie dans la mesure où la demande de légalisation de celle-ci répond strictement à un objectif de liberté, ce dont conviennent honnêtement certains responsables de l’Admd accordant qu’ils militent pour un droit de mourir dans la liberté et non dans la dignité, concept dont ils admettent n’avoir pas le monopole. C’est ce que déclare publiquement, régulièrement et courageusement, une des plus anciennes responsables de cette association, Édith Deyris. C’est ce que le vice-président, Gilles Antonowicz, ancien avocat de Chantal Sébire, écrivait en 2007 (avant, il est vrai, d’être exclu du mouvement l’année suivante) :

La vérité oblige à dire que l’Admd, en intégrant le mot « dignité » dans son intitulé, porte dans ce faux débat [sur les équivoques de la dignité] sa part de responsabilité. Fonder le combat pour la libéralisation de l’euthanasie sur la dignité n’était sans doute pas une bonne idée, même si cela s’explique historiquement. Lors de la création de cette association, on l’a vu, les pratiques d’acharnement thérapeutique étaient courantes et portaient atteinte à la dignité des mourants, à leur autonomie et à leur liberté. D’où l’emploi de ce mot qui, depuis la condamnation sans équivoque de l’acharnement thérapeutique, n’a plus lieu d’être10.

L’évaluation de la loi Leonetti

« Mourir dans la dignité » est une expression qui, désormais, peut être légitimement revendiquée par l’esprit et la lettre de la loi du 22 avril 2005 dont l’évaluation en 2008 sous la conduite pluraliste d’une mission composée de quatre parlementaires (un Ump, un Nouveau Centre, un PS, un PC) a donné lieu à un très riche rapport11 rédigé par son président, Jean Leonetti, l’auteur de la loi qui porte son nom. Dans la loi, à plusieurs reprises, il est stipulé que le médecin « sauvegarde la dignité12 » du patient en fin de vie, qu’il s’agisse de respecter son refus de tout traitement, de prendre le risque d’abréger ses jours en lui administrant un traitement soulageant sa douleur, de refuser l’obstination déraisonnable, de tenir compte de ses directives anticipées et de l’avis exprimé par une personne de confiance lorsque le patient n’est plus en mesure de s’exprimer.

Ce rapport d’évaluation est épais, mais il est très lisible et surtout très instructif parce que fondé sur une série de témoignages dont certains, qui avaient été très médiatisés, se retrouvent mis en perspective après les lourdes déformations que les médias leur avaient fait subir. Jean Leonetti lui-même, en a proposé un utile résumé dans un bel essai intitulé À la lumière du crépuscule dans lequel il relate la manière dont il a vécu les séances de la mission d’évaluation qu’il a présidée13. Souhaitons que la lecture de ce petit livre alerte et personnel provoque l’envie de se plonger dans les auditions qui l’ont suscité. Alors on sera édifié par la lecture de l’audition de madame Humbert, la mère de Vincent, et surtout par celle, omniprésente, de son porte-voix, Vincent Léna, empêtrés dans leurs contradictions et prisonniers d’un dogmatisme militant. On vérifiera, grâce au témoignage du docteur Daniel Brasnu, que l’affaire Chantal Sébire, cette femme atteinte d’une tumeur ayant déformé son visage, ne correspond aucunement à la présentation qui a tenu les médias en haleine jusqu’à son suicide en mars 2008. On verra aussi que le dialogue avec les époux Pierra, qui ont vécu une histoire douloureuse et bouleversante après la tentative de suicide par pendaison de leur fils, permet de comprendre qu’ils auraient pu éviter de vivre un second drame, celui des conditions de l’agonie de leur fils aujourd’hui décédé, si la loi Leonetti avait été mieux comprise et appliquée. On apprendra enfin, grâce aux analyses fines des juristes (sur lesquelles on reviendra plus loin), pour quelles raisons anthropologiques et juridiques, le concept d’un droit au suicide, ouvrant une créance de l’État, est inapproprié.

En effet, le débat de société sur le mourir, quand il est loyalement conduit, porte désormais uniquement sur la possibilité de choisir sa mort. Poser la question en ces termes, c’est faire un grand pas en avant dans la clarification de la discussion en cours au sein des sociétés occidentales, en général, et dans la France contemporaine, en particulier, où la loi du 22 avril 2005 permet aux soignants d’affronter toutes les situations, y compris les plus délicates dans un cadre légal dont le seul défaut est d’être dramatiquement méconnu de l’opinion et des médecins eux-mêmes. « Toutes » les situations et non pas « la plupart » comme on l’entend dire pour justifier la nécessité d’une modification de la loi qu’il faudrait effectuer pour des cas particuliers. En effet, les situations exceptionnelles, « épouvantables » dont se prévalent les militants de la légalisation de l’euthanasie sont en réalité aux yeux de l’observateur objectif, des cas médiatiquement fabriqués, traités d’une façon toujours approximative et le plus souvent falsifiée. C’est lorsque la fièvre est retombée que l’on apprend la réalité des choses. Mais ce qui marque l’opinion, ce n’est jamais le démenti tardif, c’est toujours l’empreinte laissée par le premier choc émotionnel. La temporalité de l’information immédiate n’est pas celle de l’enquête minutieuse. L’affaire Sébire, en mars 2008, après l’affaire Humbert en septembre 2003, en a fourni une démonstration paradigmatique.

C’est ce qu’établit avec netteté un ouvrage rédigé par le docteur Bernard Devalois et intitulé Peut-on vraiment choisir sa mort ?14. L’auteur est particulièrement qualifié pour traiter la question proposée par son titre. Il est actuellement chef de service de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Puteaux et fut président de la Société française d’accompagnement de soins palliatifs (Sfap) entre 2006 et 2008 ; il jouit d’une réputation justifiée de médecin particulièrement attentif aux personnes et est doté d’un talent polémiste dont font les frais aussi bien les activistes pro-euthanasie que les partisans d’une sacralisation absolue de la vie qu’il repère chez les catholiques « fondamentalistes » ou « intégristes » (p. 120-121). Il propose, dès le troisième chapitre, une démystification très bien documentée de l’affaire Humbert ou plutôt de ce qu’il nomme les trois affaires Humbert car il distingue celle de Vincent, celle de Marie, la mère du jeune homme, et celle du docteur Chaussoy, le médecin réanimateur. Les lecteurs verront dans cette narration rigoureuse la confirmation des doutes sérieux émis par la revue Esprit15 dès le début de ces affaires savamment orchestrées, sur la crédibilité de ces récits.

Après avoir examiné minutieusement la loi du 22 avril 2005, après avoir montré avec l’autorité du soignant confronté aux situations de fin de vie les plus délicates, comment cette loi fournissait de solides repères juridiques, éthiques et médicaux, l’auteur présente, dans le onzième chapitre, une intéressante typologie de ce que peut recouvrir l’expression d’un droit à choisir sa mort. Sa classification devrait aider à baliser les débats en cours, quelles que soient les positions de chacun, car elle cherche à être méthodique et exhaustive. L’auteur distingue cinq grandes revendications : droit à une mort apaisée, droit au laisser-mourir, droit à un raccourcissement de la phase agonique, droit au suicide médicalement assisté, droit à une dépénalisation de l’assistance au suicide. Ces cinq catégories sont elles-mêmes subdivisées en plusieurs parties si bien, qu’au total, c’est une grille répertoriant une quinzaine de cas de figure qui est proposée. Il nous semble cependant que cette grille mériterait d’être affinée car il lui arrive de mêler des descriptions d’euthanasie (qui n’est pas explicitement mentionnée dans les intitulés des rubriques) avec des situations de suicide assisté (p. 154-157). Mais la vertu de cet essai de classification est de mettre de l’ordre dans un débat passablement embrouillé et surtout d’indiquer à quel moment peut se produire un basculement éthique et juridique. Que peut donc signifier le droit de « choisir sa mort » ? Deux acceptions distinctes sont à envisager.

La première signification peut se présenter de la façon suivante. Le droit à une mort apaisée consiste à accéder à des soins palliatifs. L’apaisement concerne non seulement les personnes en fin de vie, mais aussi l’entourage. C’est l’esprit de la loi du 9 juin 1999. Ce droit peut être associé à un droit du laisser-mourir (sans abandon, il faut toujours le rappeler) qui permet à un patient de refuser ce qu’il considère pour lui-même comme un acharnement thérapeutique. Ce droit au laisser-mourir s’étend à un malade qui n’est plus capable de décider pour lui-même car il peut intervenir de manière anticipée ou par l’intermédiaire d’une personne de confiance qu’il aura préalablement désignée. Ces consignes peuvent être impératives comme c’est le cas dans certains États des États-Unis d’Amérique. Mais elles peuvent n’être pas contraignantes lorsqu’elles expriment des souhaits : ceux-ci doivent, certes, être obligatoirement pris en compte par le médecin et s’il décidait de ne pas les suivre mécaniquement, il devrait fournir la preuve que sa décision correspondait bien au choix qu’aurait fait le patient, compte tenu de l’ensemble des éléments dont il dispose et qui ne se réduisent pas à l’avis de la personne de confiance ni aux directives anticipées. Cette garantie affinée du droit du patient correspond au choix du législateur français et, pour l’essentiel, aux lois européennes en vigueur. C’est l’esprit de la loi du 22 avril 2005.

La seconde signification regroupe des modalités bien différentes du droit à choisir sa mort. Elles marquent une rupture éthique car elles introduisent l’homicide ou la complicité d’homicide dans le droit. Choisir sa mort peut signifier, en effet, le droit de recevoir une injection létale : il s’agit alors de faire mourir un patient en phase agonique, soit parce que l’on arrête (légitimement) les moyens artificiels de maintien en vie, soit parce que la mort naturelle se profile à court terme. C’est une forme indéniable d’euthanasie qui, dans la mesure où le patient n’est plus en état de donner un consentement libre et éclairé, repose in fine sur la décision du médecin qui tiendra compte de la demande effectuée auparavant selon des critères plus ou moins contrôlables (plutôt moins que plus, comme le montre le docteur Devalois, avec l’exemple de ceux utilisés dans les pays du Benelux). L’euthanasie peut être aussi décidée par la personne mandataire désignée par le malade (comme en Belgique) voire, ainsi que certains le réclament d’ores et déjà en France, par un proche ou l’équipe soignante, qui seraient habilités à décider de l’intérêt supposé du malade. Choisir sa mort peut se traduire enfin par la revendication d’un droit au suicide médicalement assisté pour des patients incapables physiquement de se suicider, soit qu’ils se trouvent en fin de vie, soit qu’ils estiment être dans un état qu’ils jugent impossible à prolonger, soit enfin parce que telle est leur volonté qui n’aurait pas à fournir ses raisons. La loi, dans ce dernier cas, n’aurait pas à vérifier les motifs d’une telle demande, mais devrait seulement s’assurer (a priori ou a posteriori, ici les positions varient) que la liberté du sujet était bien éclairée.

Les juristes face au suicide

Puisque ce n’est plus la question de la dignité, mais bien celle de la liberté qui est au cœur des enjeux de la fin de vie, il importe de prêter une attention particulière à la question du suicide. Serait-ce une liberté, la dernière liberté ? C’est ce que se demande le professeur Axel Kahn dans l’Ultime liberté16 ? Lui aussi récuse l’appellation choisie par l’Admd avec l’usage trouble du mot de dignité « puisque être vivant en soi implique une dignité inaliénable » (p. 53) et non une qualité qui pourrait se perdre en fonction de la dégradation des capacités physiques et cognitives de la personne. Il aimerait (il le dit à trois reprises : p. 53, 54, 122) que l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 comportât la même référence à la dignité que celle de 1948, au lieu de s’en tenir à la promotion des seuls droits. Après avoir indiqué les racines concrètes de sa réflexion (le suicide de son père et son expérience de médecin), il s’élève contre « la prise en otage affective des citoyens » à l’occasion des affaires médiatisées et dénonce la stratégie des militants pro-euthanasie

qui savent que l’intensité de l’émotion engendrée par une situation pathétique va bouleverser la rationalité de l’opinion publique ainsi rendue d’une exquise réceptivité à la thèse défendue.

(p. 69)

Comme Bernard Devalois et tant d’autres, Axel Kahn a fait l’expérience dans le débat public de la difficulté à quitter la sphère émotionnelle pour aborder rationnellement la question de la légalisation de l’euthanasie, d’autant plus que, lui aussi, est parfois obligé de se démarquer de

catholiques fervents pour lesquels la question de l’aide à mourir est un blasphème au Bon Dieu et une atteinte aux Dix Commandements.

(p. 71-72)

Il montre qu’on ne se suicide point par choix mais parce que l’on n’aperçoit pas d’autre choix possible :

Les gens qui décidaient que le moment était venu d’en finir ne pensaient pas être en mesure de vouloir autre chose que de mourir. Alors, lorsqu’on finit par se résoudre à ce qui s’impose à soi, ce à quoi on ne peut échapper, cela s’appelle une contrainte, et en aucun cas une liberté.

(p. 42)

Ce que Bernard Devalois et Axel Kahn expliquent rationnellement et courageusement, en restant fidèles à une ligne strictement argumentative nourrie de l’expérience humaine et médicale, reçoit un écho chez les juristes, du moins chez ceux qui, soutenant une conception anthropologique du droit, sont encore capables de ne pas enterrer leur discipline dans un positivisme autodestructeur.

C’est donc le moment de revenir sur les analyses des quatre juristes auditionnés à l’automne 2008 par la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 et de souligner la remarquable convergence de leur approche du suicide, au-delà de leurs positionnements idéologiques éventuels respectifs. Robert Badinter, Bernard Beignier, Alain Prothais et Vincent Lamanda, après avoir fait observer que le suicide était décriminalisé, soulignent que cette « liberté personnelle » (désignation choisie par la récente jurisprudence du Conseil d’État) n’a ouvert en aucune façon un droit opposable. En clair, cet acte échappe tout simplement au regard du Code pénal délibérément silencieux sur un événement qui touche à la conscience, sauf s’il est avéré qu’il ait pu y avoir « provocation » au suicide. Donc, sur le suicide, le droit s’abstient. Comment alors poser la question de l’aide au suicide ? Cette « aide » ne peut-elle être assimilée à une non-assistance en péril ? La question est délicate. Les juristes auditionnés observent que les tribunaux qui ont examiné des situations de complicité de suicide ne prononcent pas, en règle générale, de condamnation, mais cela ne transforme pas cette complicité en un droit au suicide assisté, pour les mêmes raisons qui interdisent de confondre la liberté de suicide avec un droit au suicide.

Il n’est pas indifférent de noter que Robert Badinter, ancien président de la commission de révision du Code pénal, très soucieux de la cohérence du droit et artisan de la loi abolissant la peine de mort (à l’époque contre l’avis de 70 % des Français, selon la démocratie sondagière), a fermement rappelé deux principes. D’une part, le droit n’a pas seulement une fonction « répressive » mais il a d’abord une fonction « expressive » puisqu’il traduit « les valeurs d’une société ». D’autre part, il est inconcevable qu’on « puisse délivrer une autorisation de tuer », à l’instar de ce qu’ont cru devoir décider certains pays voisins. Ce qu’il a déclaré, en réponse à une question sur l’assistance au suicide réclamée devant les tribunaux par Chantal Sébire et sur la manière dont la justice pourrait traiter cette demande, mérite d’être reproduit :

La décision qui interviendra sera une approbation si les circonstances sont celles-là, c’est-à-dire celles d’une situation extrême. Si on légalise l’exception d’euthanasie, vous aurez des zones d’ombre. Au sein d’une famille, certains diront : « Non, grand-mère ne voulait pas mourir ! », et d’autres : « Si, elle m’a dit qu’elle voulait mourir ! ». Il m’est arrivé de connaître de telles situations et d’entendre de tels propos.

Faire la loi à partir d’une émotion collective justifiée, née d’une situation extraordinaire ne me paraît pas devoir être l’œuvre d’un législateur. C’est un problème de conscience pour celui qui est appelé à commettre l’acte, et pour ceux qui seront appelés à rechercher si le mobile invoqué est le seul ou s’il y en a d’autres. Face à la complexité de telles affaires, la justice est, à mon sens, la mieux placée. En légiférant, nous ne ferions que déplacer l’interrogation judiciaire vers un autre champ. En votant une nouvelle loi, le législateur aurait l’impression de répondre à une attente sociale qui traduit, en réalité, une émotion collective, certes parfaitement légitime. Mais encore devrait-il mesurer toutes les conséquences, y compris symboliques, d’un tel choix17.

Sans doute, le débat sur la fin de vie et la pression en faveur d’une légalisation de l’euthanasie ne s’arrêteront pas de sitôt ne serait-ce qu’en raison de l’alliance objective entre, d’une part, des médias plus friands de chroniques de mort annoncée que de récits de vie anonymement poursuivie et, d’autre part, les lobbies pro-euthanasie solidement organisés avec leurs budgets alimentés par le marché de l’angoisse contemporaine des conditions du mourir, leurs permanents rémunérés, leurs militants omniprésents dans la société civile et leurs réseaux nationaux et internationaux. Mais s’en tenir à cette vision serait trop simple. Certes, la logique télévisuelle est largement liée à la tyrannie des émotions et la fascination de la mort est un puissant vecteur du psychisme humain, certes la stratégie communicationnelle de certaines associations est efficace, mais il ne faudrait pas se réfugier paresseusement derrière une version de la théorie du complot et nier l’écho que reçoivent les discours des partisans de l’euthanasie. Il faut donc réfléchir au socle culturel qui autorise la situation présente et prendre la question de plus loin.

La société postmortelle

C’est une question anthropologique et elle est posée dans le livre d’une sociologue canadienne, Céline Lafontaine, sous le titre : la Société postmortelle18. Après un travail sur l’Empire cybernétique19, elle propose, dans ce nouvel ouvrage, une synthèse des représentations contemporaines de la mort, non sans lien avec sa première investigation sur la cybernétique. Ainsi, elle indique que le critère de mort cérébrale est l’héritier direct de la cybernétique selon laquelle le cerveau humain est conçu comme centre de contrôle et de traitement de l’information de la subjectivité humaine dont le modèle est la machine intelligente.

Ainsi, le concept de mort cérébrale repose sur une représentation informationnelle de la subjectivité humaine dans laquelle le cerveau possède le statut de centre de traitement et de contrôle.

(p. 167)

Ce critère de la mort cérébrale retenu actuellement a remplacé les précédents en déplaçant

le lieu central de l’inscription corporelle de la mort, lequel se modifie à travers l’histoire, passant des poumons (souffle) au cœur pour finalement se loger dans le cerveau.

(p. 70)

On sait depuis le xviiie siècle que la mort est un processus et que, pour cette raison, ses frontières sont fluctuantes, mais en modifiant ses critères (après l’arrêt de la respiration, puis des battements cardiaques), le choix de celui de l’arrêt des fonctions cérébrales entretient un flou sur la frontière de la vie et de la mort en raison des avancées technoscientifiques qui « permettent de prolonger les signes vitaux au-delà de l’existence subjective d’un individu » (p. 71). D’où l’illusion (ou l’espoir si l’on adopte le point de vue caressé par les sociétés immortalistes) d’un recul indéfini des frontières de la mort, ce dont avaient rêvé Condorcet et avant lui Descartes (mais ce dernier s’était rapidement ravisé). Passant en revue les analyses anglo-saxonnes et européennes, Céline Lafontaine offre une mise au point précise de la vie indéfiniment prolongée et qui n’omet rien des perspectives scientifiques et anthropologiques actuellement en discussion.

En découle une conséquence : la mort n’est plus le résultat d’une fatalité mais le fruit d’un processus naturel que la technoscience médicale n’a pas (encore) su entraver et l’objectif de faire reculer la mort la réduit à n’être que l’objet d’une déconstruction scientifique, d’où sa médicalisation accompagnée éventuellement d’un rêve prolongéviste. Et comme la mort est repoussée dans la sphère intime, qu’elle se désocialise, sa médicalisation avance au même rythme que sa désymbolisation.

C’est tout cela que décrit Céline Lafontaine à l’aide du terme un peu déroutant de « postmortalité » dont elle avoue qu’il est aussi « un jeu de mots » (p. 67) pour signifier qu’elle s’attache à décrire un héritage de la postmodernité. Elle prend soin d’expliquer :

Le vocable de « postmortalité » sert uniquement à désigner un nouveau rapport à la mort dans le mouvement global de la postmodernité prise au sens large d’un nouveau mode de régulation sociétale axé sur la gestion informationnelle et l’opérationnalité technoscientifique.

(p. 14)

On est passé d’une représentation de la mort qui sollicitait la philosophie20 ou la religion à une représentation du mourir qui tend à nier l’inexorabilité de la mort à travers la déconstruction biotechnologique.

Cela transparaît clairement dans les débats théoriques autour du clonage et de l’immortalité génétique, dans le développement de la médecine régénératrice, dans le prolongement artificiel de la vie et dans la pratique croissante de la cryonie. L’entrée du cyborg – un être en complète symbiose avec la technique – et du posthumain sur la scène culturelle atteste, de manière plus globale, de cette volonté de prolonger indéfiniment la durée de l’existence humaine par le biais d’une fusion humain/machine.

(p. 69)

Fidèle à son programme, Céline Lafontaine examine alors la déconstruction biomédicale de la mort et ses effets de biopouvoir. Elle peut affirmer :

La volonté affichée d’améliorer et de perfectionner la vie par le biais du génie génétique et des biotechnologies correspond à l’abandon de la croyance en l’émancipation politique.

(p. 121)

Elle offre ensuite un panorama de la lutte anti-âge et de l’extension de la longévité avant de décrire le rêve immortaliste d’une reprogrammation complète du corps humain. Dans nos représentations, nous passerions de l’idée d’une perfectibilité de l’individu et de l’espèce humaine, chère au siècle des Lumières, à celle de la vie sans fin du posthumain (chapitre 5).

Les préoccupations pratiques pour contrer les risques qui menacent la vie l’emportent sur la préoccupation métaphysique de la mort. Plus globalement, c’est le contrôle des paramètres biomédicaux de la mort qui devient le souci majeur dans les représentations contemporaines et le mouvement prolongéviste est la forme extrême du libéralisme individualiste. Comme l’avait pronostiqué Hans Jonas que Céline Lafontaine n’oublie pas de mentionner à ce moment de son raisonnement (p. 220-221), le rêve prolongéviste conduit inévitablement à une élimination de la procréation, à une négation de la filiation, à une évacuation de la notion de genre humain entendu comme succession des générations. Cornelius Castoriadis est lui aussi convoqué pour illustrer une idée simple mais forte que l’auteure énonce ainsi :

De la naissance jusqu’à la mort, la vie humaine est pourtant impensable sans le lien de dépendance réciproque qui relie les générations les unes aux autres à travers l’histoire. L’individualisme narcissique qui sous-tend la redéfinition contemporaine de la subjectivité en termes d’autonomie et de qualité de vie, comprises au sens d’indépendance et de performance, repose sur le refoulement du fondement collectif de toute vie individuelle. Assimilée à l’expansion illimitée des droits et des jouissances individuels, la liberté postmortelle sape les bases mêmes des institutions qui lui ont permis de se déployer.

(p. 213)

Et c’est en ce point que surgit un paradoxe apparent mais qui rend compte de la pression contemporaine en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Céline Lafontaine, s’appuyant en particulier sur les travaux de Robert William Higgins et de Paula La Marne21, montre que l’irruption du biomédical aux frontières de la mort a

si profondément modifié l’expérience du mourir que le moment du trépas est désormais conçu sous la forme d’un choix. Face à l’arsenal technoscientifique, l’individu réclame le droit de contrôler et de choisir l’instant de sa fin. Le courant en faveur de la mort volontaire constitue en fait une nouvelle forme de négation de la mortalité.

(p. 203)

Déconstruite et désymbolisée, la mort est devenue une affaire strictement individuelle et se décline sous forme de droit, et même de choix.

(p. 184)

Et c’est pourquoi les militants du mouvement prolongéviste défendent très logiquement la mort volontaire : la mort doit être contrôlée, elle est affaire de choix individuel. Selon la formule que l’auteure emprunte à Patrick Baudry et Henri-Pierre Jeudy, la conséquence en est la suivante :

C’est moins l’individu que l’on protège que l’individualisme que l’on promeut.

(p. 204)

La demande de légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, derrière le paravent trompeur de la compassion, signe l’entrée dans l’univers de l’individualisme libéral le plus effréné. La mort est passée du statut de socle ontologique à celui de contingence historique (p. 36, 66, 187). C’est parce que la mort n’offre plus que l’image de la fin d’un individu s’imaginant tout-puissant, que celui-ci croit, en l’anticipant, en conjurer la monstruosité alors qu’il ne fait que la rendre plus effrayante22. La mort est démaîtrise et la tentative dérisoire de maîtriser le mourir ne saurait occulter cette donnée anthropologique.

Jacques Ricot

Librairie

Gaël Giraud et Cécile Renouard (sous la dir. de), VINGT PROPOSITIONS POUR RÉFORMER LE CAPITALISME, Paris, Flammarion, 2009, 375 p., 22 €

En dépit de son titre, ce livre collectif est presque exclusivement centré sur les marchés financiers et la finance d’entreprise. La technicité de certains développements et le choix des auteurs de se tenir à distance des débats idéologiques rebuteront les tenants d’une critique radicale du système : ils auraient pourtant tort de se priver d’une mine de réflexions informées et pertinentes, indispensables jalons sur la voie d’un réformisme conséquent. Il est moins question ici de dénoncer le système que de le protéger contre ses propres dérives et, surtout, de le mettre au service du bien commun. Pour y parvenir, les auteurs misent essentiellement sur la modification des cadres juridique, informationnel et idéologique dans lesquels les acteurs économiques prennent leurs décisions.

Passant vite sur l’analyse globale du système, de ses contradictions et de ses évolutions récentes, ils concentrent leurs efforts sur l’exposé détaillé de réformes dont l’axe général est bien tracé par l’intitulé de la première proposition « faire de la fonction sociale de l’entreprise une priorité stratégique : inciter et contraindre ». Il s’agit donc, pour l’essentiel, de prendre au mot les discours et projets actuels sur la « responsabilité sociale de l’entreprise » en examinant de près à quelles conditions ils pourraient avoir un sens. Les auteurs ne sont pas naïfs et connaissent bien leur sujet. On trouvera sous leur plume une analyse rigoureuse des effets pervers de la logique financière et une peinture sans complaisance des faux-semblants de l’éthique des affaires. Les mesures prises jusqu’ici pour rendre l’entreprise comptable des impacts sociaux et environnementaux de son activité, appuyées par l’effort tenace des promoteurs de l’« investissement socialement responsable », pèsent peu face aux exigences de court terme des actionnaires.

On pourrait en rester à ce constat, et plaider pour un retour en force de l’État dans le jeu économique. Tel n’est pas le choix des auteurs, qui font le pari de prendre au sérieux et de renforcer les dynamiques de réforme émanant des acteurs du système financier – même si, au bout du compte, les autorités publiques sont plus d’une fois réintroduites dans le jeu, ne serait-ce que pour garantir la validité de l’information financière et extra-financière fournie par les entreprises. Prises une par une, leurs propositions n’ont souvent rien de très original : renforcer et crédibiliser les mécanismes de contrôle, changer les règles comptables, intégrer l’environnement, le social et la gouvernance dans l’analyse financière et dans l’investissement, réglementer la rémunération des opérateurs financiers, encadrer les opérations de titrisation, instaurer des taxes globales favorisant la réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux, renforcer les pouvoirs des instances internationales, mieux articuler régulation financière et politique économique, former et sensibiliser les professionnels aux enjeux éthiques et sociaux, etc.

À bien y regarder, la visée est double : mettre fin aux dérives à l’origine de la crise actuelle (abus de la titrisation, trucage des comptes, confiance excessive dans les signaux du marché…) et, dans une perspective plus large, réorienter la croissance économique dans le sens d’un développement humain durable. Deux enjeux hétérogènes, mais qui procèdent d’un souci similaire : rétablir la « vérité des comptes », en allant jusqu’à y réintégrer toutes les retombées de l’activité productive que le marché tend spontanément à occulter. Même si la plupart des idées avancées sont dans l’air du temps, force est de reconnaître que la qualité des informations mobilisées, la connaissance du monde financier et la précision de l’argumentation confèrent à l’ouvrage une plus-value appréciable. L’effort d’attention demandé aux non-spécialistes est parfois conséquent, mais les dysfonctionnements révélés par la crise n’obligent-ils pas les simples citoyens à s’intéresser de plus près aux rouages compliqués de la machinerie financière ?

L’intérêt du livre, surtout, réside dans la cohérence d’ensemble des propositions. Mises en œuvre dans leur ensemble, elles aboutiraient à bien plus qu’une correction marginale des excès du capitalisme. Derrière l’apparente modestie du propos, il s’agit rien moins que d’infléchir la logique du système pour le « socialiser » en profondeur. Une véritable utopie, en somme. Mais peut-on faire moins aujourd’hui ?

Bernard Perret

Alice Munro, DU CÔTÉ DE CASTLE ROCK, Paris, Éditions de l’Olivier, 2009, 343 p., 22 €

La parution simultanée en français de ce livre et en anglais d’un nouveau recueil de textes, Too Much Happiness23, permet d’apprécier l’extrême inventivité d’Alice Munro ainsi que son habileté à renouveler l’art parfois déprécié de la nouvelle. En une dizaine de recueils et un roman, Alice Munro s’est imposée comme une référence de la littérature canadienne de langue anglaise à côté d’écrivains comme Margaret Atwood ou Robertson Davies, une virtuose de la technique narrative de la nouvelle, une voix en symbiose avec sa région du sud-ouest de l’Ontario.

Alice Munro développe Du côté de Castle Rock en deux parties distinctes et un épilogue. La première, « Aucun avantage », retrace le périple de ses ancêtres Laidlaw, au xviiie siècle, depuis la vallée de l’Ettrick, au sud d’Edimbourg, jusque dans le comté de l’Huron au Canada ; la seconde, « Chez nous », revient sur des temps forts de sa jeunesse. En dessinant ce paysage intime, elle impose une idée autre de l’autobiographie et questionne le dialogue entre fiction et réalité.

Alice Munro est née Laidlaw en 1931 dans la petite ville de Wingham en Ontario et y a vécu ses premières années dans un milieu très modeste de fermiers et d’éleveurs de renards et de volailles, très attaché à son terroir et imprégné d’éthique presbytérienne. En dépit de difficultés économiques et familiales et plus encore peut-être de pressions sociales (il est incongru pour une fille d’affirmer une ambition, surtout quand elle concerne l’écriture), Alice Munro entreprend des études d’anglais à l’université de Western Ontario tout en travaillant comme serveuse ou ramasseuse de tabac. Après avoir passé quelques années avec son premier mari à Vancouver en Colombie-Britannique et à Victoria où le couple ouvre une librairie, elle revient en 1972 dans sa région natale, obtient un poste d’écrivain à résidence dans son ancienne université puis dans celles de British Columbia et de Queensland et vit actuellement à Clinton, sur les bords du lac Huron.

Alice Munro a très tôt affirmé sa vocation d’écrivaine, publiant son premier texte en 1950 pendant ses années d’études et faisant régulièrement paraître ses nouvelles dans des magazines prestigieux tels The New Yorker, Paris Review ou Atlantic Monthly. Elle connaît rapidement le succès dans son pays, remportant notamment à deux reprises le Governor General’s Award, en 1968 pour la Danse des ombres heureuses24 et en 1978 pour Who do you think you are?25. Son isolement géographique et la relative faiblesse des maisons d’édition canadiennes expliquent sa notoriété internationale plus tardive. L’obtention en 2009 du Man Booker International Prize (le Nigérian Chinua Achebe et l’Albanais Ismael Kadaré ont été les précédents lauréats) corrige cet oubli.

Du côté de Castle Rock est un livre étrange, difficile à définir, entre témoignage et fiction, roman et succession d’histoires, document historique sur le Canada, chronique subjective d’une famille et confessions. Le découpage précis en onze chapitres aux titres explicites – « Illinois » ou « Les terres vierges du canton de Morris » dans la première partie, « Couchée sous le pommier » ou « Employée de maison » dans la seconde partie – semble vouloir isoler chaque récit et légitimer son caractère autonome tout en jouant sur les correspondances entre la reconstitution d’un passé ancestral et l’évocation de souvenirs intimes.

Alice Munro est fascinée par l’histoire naturelle et humaine de sa terre natale. Elle s’est livrée pendant une dizaine d’années à une véritable enquête pour retrouver les traces des Laidlaw et enrichit son récit de documents d’archives, de décryptage de journaux de bord, de commentaires d’épigraphes. En faisant retentir ces découvertes dans son histoire familiale, elle dévoile ses mécanismes de création romanesque.

Alice Munro se met en scène dans le destin de ses ancêtres tout comme elle se dévoilait précédemment en racontant l’oppression de ces jeunes femmes qui, pour s’extraire de leur environnement étriqué – souvent une ferme ou une bourgade –, s’enfuyaient en rêve ou dans la réalité vers un autre destin, ailleurs, loin, de préférence dans une grande ville. Elle révèle les éléments biographiques à l’origine de ses nouvelles précédentes. A Wilderness Station26, chronique épistolaire de l’installation de deux frères dans la région sauvage de l’Huron avec ses récits de meurtre et de folie, est largement inspirée du récit par Rob Laidlaw de son départ en 1851 avec deux de ses cousins, John et Thomas, pour les terres vierges du canton de Morris. Passion, nouvelle du recueil Fugitives, est la reprise en des termes plus dramatiques de son expérience d’employée de maison27.

La densité particulière de sa narration, caractérisée par la multiplicité des protagonistes, la pluralité des points de vue exprimés, les ruptures dans les temps du récit, s’ancre dans la profusion des aventures vécues par ses ancêtres et la complexité de leurs personnalités.

Du côté de Castle Rock raconte des strates de vie, datées à la fois temporellement – depuis le xiiie siècle jusqu’à nos jours – et géographiquement – de Far-Hope en Écosse jusqu’au comté de l’Huron en passant par Moffat, Clinton, Morris, Muskoka ou Wingham. Il abonde de détails sur la faune et la flore locales, sur les formes successives d’habitat, sur les modes vestimentaires, sur les types de transport. Il précise les activités et les métiers des protagonistes (contrebande d’alcool, élevage de poulets, fermier, trappeur, ouvrier, gardien de nuit). Il prend acte de leur âpre condition d’existence et souvent de leur extrême misère tant morale que matérielle – l’adjectif « pauvre » est fréquemment accolé au prénom, « pauvre Mary » ou « pauvre Will ». Il révèle les liens qui se tissent dans les fratries, entre les membres éloignés d’une même famille, et constate le déséquilibre entre le sort des femmes et celui des hommes.

Dans les images qui lui reviennent quand elle évoque des épisodes marquants de sa vie (les confidences de son père, les premiers émois ou les difficultés économiques), Alice Munro restitue toutes les contraintes qui enferment et paralysent, notamment le tabou de l’argent, la méfiance à l’égard de la réussite, la relation complexe à l’instruction, le poids de la religion. Elle laisse aussi percer l’illusion voire l’espoir qu’un changement peut advenir à tout moment et briser les carcans.

Alice Munro se vit comme une héritière et une médiatrice : traversant les époques, elle s’approprie ses ancêtres, les faisant aussi exister en tant que personnages fictifs et suggérant leur rôle dans l’émergence de sa vocation.

Le charme particulier du livre tient en ces décalages surprenants qui font soudain basculer le récit du témoignage objectif en anecdote vécue ou plongent le moment présent dans la logique d’une autre époque. L’extase de James le Vieux, persuadé de montrer l’Amérique à son fils Andrew du haut du château d’Edimbourg, la rencontre sur le bateau de Walter Laidlaw et d’une adolescente gravement malade ou encore l’enlèvement de sa petite sœur par Jamie pour éviter le départ de sa famille se présentent comme autant de petits textes, partiellement inventés pour propulser sur le devant de la scène des héros éphémères. À l’opposé, quand elle évoque le voyage entrepris avec son mari dans les terres de sa jeunesse et sa rencontre avec des hommes qui ont connu sa famille, Alice Munro disparaît comme individu autonome et n’existe que comme élément d’une lignée. Chacun, à sa manière, échappe à son statut de personnage de roman, d’homme vivant ou d’ancêtre disparu et au rôle qui lui est assigné dans la recherche de la vérité.

Du côté de Castle Rock, à travers le dialogue entre réalité et fiction, induit une réflexion sur l’acte d’écrire et le métier d’écrivain. Le lien à l’écrit apparaît comme une constante dans la famille Laidlaw. Tous savent lire suite à l’éducation voulue pour la paysannerie par John Knox au xvie siècle et lisent assidûment, la Bible évidemment mais aussi des poèmes ou des essais comme ceux de Hume, leur compatriote originaire des Lowlands, de Locke, de Voltaire. Des romanciers croisent leur route : Walter Scott, qui collecte des chansons et ballades anciennes pour son ouvrage publié en 1802 les Chansons de la frontière écossaise28, sollicite Margaret Laidlaw Hogg qui en connaissait d’innombrables couplets. Les Laidlaw aiment correspondre épistolairement et à chaque génération l’un d’entre eux au moins publie des textes dans des magazines comme The Blackwords Magazine, tient un journal ou rédige ses mémoires pour préserver la trace de leur histoire ; le père d’Alice Munro finit même par composer un roman sur la vie des pionniers, The McGregors29.

Alice Munro n’avait pas le choix : elle se devait d’écrire l’histoire de ses ancêtres, son histoire, des histoires : « Un texte beau et vrai comme seule la fiction peut l’être30. »

Sylvie Bressler

Jean-Louis Schefer, LA CAUSE DES PORTRAITS, Paris, pol, 2009, 198 p., 15 €

Dans ses essais sur la peinture, le cinéma ou la philosophie, ses commentaires des œuvres de Pasolini31, de saint Augustin32 ou du Greco33, le style de Jean-Louis Schefer trouble parce que ses phrases s’accrochent à un secret. Toutes tournent autour d’une énigme qui, au fil de la lecture, devient plus impénétrable encore. Ces textes traçaient déjà, par leur teneur poétique, une voie vers la littérature. Si ces domaines de dilection imprègnent la Cause des portraits34 et en dessinent les lignes de fuite, la matière première sur laquelle s’appuie cette fois Schefer, c’est sa vie.

Dans ce roman autobiographique, Schefer revient sur son enfance pendant la guerre, une rencontre amoureuse et la naissance des sentiments qui détermineront son goût pour la peinture et le cinéma. Emportées dans le récit d’une mise au monde, dont il faut témoigner au plus vite, les phrases acquièrent une force émotionnelle plus grande encore. Le livre semble avoir été écrit dans un foudroiement, comme si l’auteur avait été renversé par le récit de ses propres émotions, par une passion qui l’étreignit et qu’il ranime comme pour mieux s’en défaire. Ce roman porte une urgence : écrire avant que tout ne s’efface, avant que tout ne s’abîme ou ne se transforme en poussière. Les longues phrases haletantes, sinueuses sont gouvernées par un élan qui convoque des détails fulgurants. Ceux-ci disent l’origine d’une existence. Ils donnent à une vie entière sa couleur. En dépit de la netteté de ces souvenirs, l’écriture de Jean-Louis Schefer fuit dans une permanente hémorragie d’émotions. Elle parle d’abord aux sens, s’adresse au corps. Les mots font jaillir des étincelles, produisent des envolées lyriques, des éblouissements. L’auteur devient alors comme le spectateur de sa vie. Il décrit son enfance avec la même force que lorsqu’il envisage un film ou un tableau, avec la même conscience du drame qui s’y joue.

Dans la première partie du roman, cette enfance paraît posée sur les bords d’un précipice. Elle est emportée à toute vitesse dans le wagon d’un train qui fera danser sa vie au contact d’enfants issus d’un milieu modeste l’éloignant du sien. Dans ce même train, il évoque par bribes l’histoire de sa famille dont « le lourd secret de la noblesse humiliée » semble s’être logé dans la précarité des ruines de l’histoire. Schefer a vu, à travers l’Edmund d’Allemagne année zéro auquel il se compare, « toute l’Europe vivant dans cet enfant lointain, sans colère » (comme il écrivait déjà dans Les Cahiers du cinéma35). Les scènes où il se décrit comme « un petit figurant », s’enchaînent dans un rythme syncopé, un montage chaotique où les souvenirs défilent, glissent et se brisent à la cadence du train. Le temps et son lent travail d’érosion ne permettaient-ils plus de restituer que des souvenirs tronqués, des atomes ?

Tout le récit tourne autour d’un secret, jamais dévoilé, mais dans lequel Schefer fait tenir sa vie : son premier amour. Une passion platonique, adolescente, brusquement interrompue lorsque la jeune femme, Françoise, qu’il a cru « aimer de la passion la plus exclusive », est appelée par une vocation religieuse et décide d’entrer au couvent. Il comprendra alors que ce qu’il cherche dans les portraits peints, dans la reproduction d’une Vierge rhénane ou celles peintes par Fra Angelico, c’est le portrait de celle pour qui il a entretenu un lien si fort que son souvenir, aujourd’hui encore, continu « d’étendre sa lumière ». La peinture, la musique, le cinéma ne cesseront ainsi de dire que « ce que nous croyons avoir perdu cache un mystère ».

Céline Gailleurd

Gaspard-Marie Janvier, LE DERNIER DIMANCHE, Paris, Mille et une Nuits, 2009, 217 p., 15 €

Des amis m’ont recommandé ce livre, loué dans diverses gazettes. Un homme décide d’aller à la messe tous les dimanches que Dieu fait dans l’année, c’est-à-dire cinquante-deux, en y ajoutant quelques fêtes diverses, « d’obligation » ou autres. Il commente la liturgie, en particulier les homélies du célébrant et les textes bibliques lus ces jours-là, et en tire quelques leçons sur le christianisme et les chrétiens d’aujourd’hui. « Plutôt que d’aller faire mes courses comme chaque dimanche au centre commercial […], je pars à la messe. » Comme il l’explique lui-même dans un bref préambule, le dégoût de la société de consommation – que nous pouvons partager avec lui – le mène à ce havre, mais il fuit aussi les nouvelles vulgates du « prêchi-prêcha démocratique qui sévit en tous lieux », du « dogme de l’égalité des conditions, du développement durable et du salut technologique »… Ce mélange des genres au départ, de la part d’un auteur présenté comme « formé aux mathématiques, amateur de philosophie et de littérature », ne paraît guère de bon aloi. L’amateurisme apparaît, en effet, trop souvent par la suite. Mais l’indignation (supposée) aidant et l’auteur ayant de la plume, le livre compte des pages et des passages inspirés sur le mystère de la foi et le sens de la rupture chrétienne avec ce « monde ». Bon observateur, il a des remarques incisives sur l’art et la manière du célébrant et du public des liturgies catholiques d’aujourd’hui. L’Irlande et Venise lui permettent le luxe de se dépayser de la Normandie, son lieu d’élection dominical. Curieusement, les chapitres où il relate les homélies de son prêtre préféré sont les plus plats. Que dire ?

Que ce « roman », indiqué comme tel sur la couverture, n’emporte guère l’adhésion. Réactif, il frôle souvent le traditionalisme, mais de façon assez brouillonne et même trop contradictoire pour mériter cette mention. En passant, il pousse discrètement le latin. Il voudrait aussi que les prêtres tonnent en chaire contre l’Ivg, qu’ils prêchent fermement l’enfer… Avec le public de personnes âgées, d’enfants qui n’ont pas dix ans et, quelquefois, de familles nombreuses, ce serait assurément très intelligent. La « solution » de tout semble, chez notre auteur, le spirituel. Les dilemmes avec le temporel – son métier par exemple – sont loin, sinon sous la forme d’invectives générales contre la société. En revanche, le souci de son divorce le travaille pendant ces messes – l’affaire se termine d’ailleurs par un happy end, en pleine messe comme il se doit.

Ce n’est qu’un roman, certes…Mais la « vérité du roman » n’a jamais été négligeable. Celui-ci dit beaucoup de choses sur son auteur, sur une époque. Mais à tout prendre, le récit du retour d’un autre bobo pris dans la postmodernité technologique, Jean-François Bizot36, grâce à une de ces étranges communautés nouvelles qui ont souvent pris le dessus aujourd’hui dans l’Église catholique, est nettement meilleur : son humour décalé par rapport aux aspects plutôt sinistres de son périple est rare dans ces parages, et totalement absent chez Janvier.

Jean-Louis Schlegel

MICHEL HENRY, « Dossier H », conçu et dirigé par Jean-Marie Brohm et Jean Leclerq, Paris, L’Âge d’homme, coll. « Dossier H », 540 p., 57 €

Les gros volumes collectifs intitulés « Dossier H », publiés par les éditions L’Âge d’homme, célèbrent des vies et des œuvres dignes de l’être. Grâce à l’énergie d’Anne, sa femme, et aux efforts de Jean-Marie Brohm et Jean Leclerq, Michel Henry (1922-2002) fait son entrée dans cette belle collection. Il n’avait certes jamais disparu des librairies. Mais sept ans après sa mort, ce volume consacre ce qu’il a apporté à la philosophie en général, et à la « phénoménologie de la vie » en particulier.

Une pensée et un vivant, la pensée d’un vivant, tel que nous avons eu, pour certains, la chance de le connaître, s’exposent ici. L’ensemble a été conçu pour que Michel Henry fasse retour parmi nous avec la voix singulière qu’il fit entendre dans la philosophie française et l’intuition qui l’emporta sur des chemins inédits, non frayés, de la phénoménologie. De la phénoménologie du xxe siècle, il fut en effet et demeure un nom français des plus importants – en marge pourtant. Mais si solitude il y eut, ce fut aussi par choix personnel : enseignement à Montpellier et nulle part ailleurs, éloignement de Paris et de ses bruits multiples… Des bruits que l’auteur de la Barbarie, bestseller inattendu (en 1987) dans une œuvre qui compte aussi des romans, détestait plus que tout parce qu’ils emportent avec eux la culture, toute culture.

Autour d’une vie, d’une pensée et d’une œuvre, on a déjà vu des ouvrages alambiqués. Un mérite de celui-ci réside dans la simplicité de sa conception. Il s’ouvre sur la biographie intellectuelle, contée et commentée dans un entretien au ton vif (à tous les sens du mot) et avec beaucoup de précisions inédites, par Anne Henry. Suivent des textes de M. Henry (avec des résumés de ses propres livres ou des « explications de texte » qu’on lui avait demandées), puis des contributions très diverses placées sous six rubriques (« Vie et immanence », « Michel Henry devant l’histoire », « Sur Marx », « Savoirs de la vie », « Absolu et religion »). Quelques témoignages parachèvent l’ensemble.

C’est d’abord la continuité d’un effort philosophique qui ressort. On comprend mieux les trois ultimes livres « chrétiens » (C’est moi la vérité, Incarnation, Paroles du Christ) quand on lit, dans le fil rouge de sa vie restitué par Madame Henry, ses exclamations sur (ou contre) Spinoza : « Pour Spinoza, Dieu est une grande pierre », « Spinoza peut-il me dire quel est le sens de la joie et de la nuit, du matin ? ». Les nombreux amis actuels de Spinoza se récrieront, protesteront… Ils doivent cependant savoir que lui, M. Henry, fit en 1943, sous la direction de Jean Grenier, un très bon mémoire de maîtrise sur… Spinoza (le Bonheur de Spinoza, 1943). Mais très tôt aussi, en 1943, dans un maquis du Haut-Jura (choisi contre le STO), il se fixe comme objectif de « faire une thèse sur les prémisses de l’existence ». Les « prémisses de l’existence », ce sont ces intuitions de plus en plus affinées de la « vie », de ce qui s’éprouve soi-même et qui est incontestable, de « l’immanence de la vie en chaque vivant », du « pathétique » (et non de l’ekstatique) du rapport de la vie au vivant, de l’« auto-affection » de la vie qui s’autorévèle dans son ipséité, de « l’immédiat de l’expérience (de la vie) », de « ce sol inébranlable que personne ne peut mettre en question » et qui peut être « touché » non seulement par la philosophie, mais aussi par la poésie et le roman et l’art…

Les efforts pour atteindre à l’expression phénoménologique juste, vraie, de cette expérience immédiate de la vie qui s’éprouve et se « sent » en deçà de toute médiation sont la philosophie de M. Henry. L’« immédiat » souligne son originalité, son point d’endurance spécifique pour penser une phénoménologie de la vie (devenue « Vie », ou « Vie absolue » à la fin de son existence) : il s’agit bien de revenir ou d’en venir à la vie sans médiation aucune, ce qui, pour les âmes élevées dans la philosophie dialectique ou dans la médiation, a quelque chose d’une naïveté extraordinaire ou d’une brutalité inexcusable. Au lecteur non prévenu, ces formulations peuvent donner l’impression de la redondance, mais une lecture de près atteste le travail du philosophe pour dire toujours plus loin – ou plus près – cette vérité immédiate qui confine, de fait, à l’invisible et à l’indicible.

Hors de toute bienséance, je me permettrai de rappeler ici un souvenir personnel : pour des raisons que j’ignore, m’arriva un jour par la Poste le manuscrit de ce qui allait devenir C’est moi la vérité (sous-titre : Pour une philosophie du christianisme37). Manuscrit surprenant, puisque s’y révélait non pas un « philosophe chrétien » (bien qu’il le fût probablement – sauf qu’en 1994 ou 1995 il n’avait pas cette réputation), mais, à partir d’une réflexion phénoménologique radicale sur la vie, une affirmation forte, mais presque choquante aujourd’hui, de la vérité du christianisme, à l’aide de citations du Nouveau Testament, en particulier de Paul et de Jean, pour lesquels la Vie est, en effet, d’exceptionnelle importance dans leur texte même. L’ouvrage était, si l’on peut dire, du « Michel Henry à l’état pur ». Malgré la réputation de son nom, j’ai donc écrit à son auteur une lettre assez longue, rétrospectivement assez naïve, sur les résistances que provoquait en moi l’absence dans ce livre de toute exégèse historique et critique et, en général, des innombrables travaux bibliques sur Paul et Jean. L’ai-je invité à faire quelques changements dans son manuscrit ? Je ne sais et préfère ne pas m’en souvenir. Michel Henry m’a répondu d’un court et très souriant mot qu’il était entièrement « d’accord avec mes critiques », mais qu’il ne changerait pas un mot de son texte. Et le livre a été, bien entendu, publié tel quel.

Lors de son décès, l’éloge du philosophe a été tempéré, chez plusieurs, par ses derniers livres, trop chrétiens à leur goût, ou même attestant d’un virage contestable, selon eux, par rapport à la ligne phénoménologique profane suivie jusque-là ; n’y manquait pas cette touche de condescendance qui entoure désormais l’expression de « tournant théologique de la phénoménologie » ou, pire, de « philosophie chrétienne ». En réalité, et quelles que soient les objections qu’on puisse faire, on se méprenait sur la phénoménologie. Ce qui n’est pas vu ou n’était plus pris en compte, c’est en effet la logique de la phénoménologie d’une immanence pure, qui est comme entraînée et encouragée par son propre mouvement à aller au-delà d’elle-même, jusqu’à l’« invisible », ou à un « hors limite39 » ; était-il étonnant, après tout, que la logique d’un itinéraire phénoménologique qui se concentre intuitivement sur une réalité première de toute phénoménologie, la Vie même, ait de soi des résonances « religieuses » ? Après tout, le thème a une grande histoire : toute la tradition évangélique, biblique et même monothéiste en général entretient une relation essentielle avec la Vie. M. Henry était fasciné par la singularité absolue de la Vie, ce qui l’a amené aussi bien à se colleter avec le sens de la phénoménologie elle-même comme pensée de l’immanence pure (l’Essence de la manifestation ; Philosophie et phénoménologie du corps ; Phénoménologie matérielle…) qu’avec l’art (Kandinsky notamment), la culture dans la société (la Barbarie), la psychanalyse (Généalogie de la psychanalyse) et, surtout, de manière surprenante, à Marx. Son Marx fit en effet sensation en 1976 (Marx I. Une philosophie de la réalité ; II. Une philosophie de l’économie). Philosophe libre de toute allégeance, Henry se permit ce pavé, totalement inattendu, dans la mare de la vulgate marxologique et du marxisme alors dominant. Contre le marxisme, « l’ensemble des contresens qui ont été faits sur Marx », réduit à des abstractions ou des forces abstraites, il voulait revenir à Marx même et au primat, chez ce dernier, de la singularité de la vie aux prises avec le travail, de l’« immanence radicale de la subjectivité » du travailleur, de la « genèse transcendantale de l’économie » et de l’« économie comme aliénation de la vie ». Une interprétation phénoménologique de Marx lui permet d’affirmer que « le Capital est le mémorial et le martyrologe des individus de son temps » ; elle souligne comment et pourquoi il faut sortir Marx du royaume des ombres où les lectures hégéliennes, heideggeriennes, structuralistes…l’ont enfoncé, selon Henry, en « calomniant la vie », l’individu, la subjectivité dont ne cesse de parler non seulement l’auteur des Manuscrits (humanistes) de 1844, mais aussi celui du Capital.

Au fond, l’intérêt de ce « Dossier H » est de ramener le regard sur le centre de l’œuvre de Michel Henry et d’en montrer la cohérence du début à la fin. Une intuition philosophique est présente au départ, sûre d’elle, consciente des objections et des critiques mais affirmant imperturbablement sa voie de la manière la plus rectiligne. L’enjeu en est « la vérité de la Vie » : on constate que, dans ses derniers écrits, Henry réunit de plus en plus ostensiblement ces deux mots – un rapprochement typique de l’évangile selon Jean –, au risque d’être plus incompris ou mal compris non seulement des lettrés séculiers mais des croyants (un théologien critique reconnu l’accusa de « gnosticisme » – ce qui pouvait s’entendre si l’on en restait aux canons reçus de la théologie catholique mais résonnait curieusement pour l’auteur d’un Marx où l’auteur du Capital est grandement loué et dépouillé de ses oripeaux idéologiques). Au-delà des derniers livres « chrétiens », on devrait souligner que ce qui se joue depuis des années et maintenant presque quotidiennement autour de la « vie », de plus en plus biologisée sans appel, dépouillée même de sa dignité dans la tradition philosophique (Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, Deleuze…), fait voir en creux la pertinence et la contemporanéité d’un parcours. Michel Henry n’est certes pas le remède contre le nouveau scientisme qui objective et chosifie la vie. On pourra toujours trouver exagérément conservatrice voire réactionnaire sa critique de la science, de la technique et de la culture, telle qu’il l’a thématisée dans la Barbarie et aussi racontée dans des romans rares mais remarqués en leur temps et trop oubliés aujourd’hui38. Mais ce philosophe solitaire, loin des « plateaux », volontiers explorateur d’espaces et de cultures non pollués par le bruit et la fureur modernes (c’est-à-dire, selon lui, par la barbarie), a fait entendre une voix de la seconde moitié du xxe siècle qu’il importe grandement de ne pas oublier. Le volume se clôt sur une bibliographie considérable, en particulier d’articles. On y trouve aussi la liste des écrits publiés par les soins d’Anne Henry depuis 2002.

Jean-Louis Schlegel

Brèves

Georges Marion, BERLIN 1989, Paris, Le Seuil, 2009, 245 p., 19 €

Commémoration oblige, ce livre nous relate « le jour où le Mur est tombé ». Mais l’ancien correspondant du Monde en Allemagne met l’événement en perspective en retraçant une histoire complète de la Rda. Il nous conduit ainsi progressivement au plus près de l’énigme historique : comment un régime politique peut-il s’effondrer en douceur en quelques jours ? La seule approche des logiques politiques (la fossilisation du régime, l’échec économique, la fin du soutien soviétique…) ne suffit pas à rendre compte de l’événement. Il faut aussi donner sa part à l’impondérable, aux basculements imprévus : la démission de Honecker, la conférence de presse de Günter Schabowski ou le poste de frontière de la Bornholmer Strasse qui s’ouvre. En journaliste, l’auteur sait associer les deux dimensions au fil des chapitres. Il mêle le récit précis mais haletant des événements, les portraits des protagonistes, la mise en perspective historique, l’analyse politique. Mais surtout, il montre l’aspiration constante de la population à surmonter la frontière. Ni le relatif confort acheté par de lourds emprunts à l’étranger, ni la surveillance minutieuse de la Stasi n’ont réussi à limiter l’exode tout au long de l’histoire du pays. Ce pays identifié à sa frontière a disparu en même temps que la fin de la guerre froide déplaçait les lignes de fractures à d’autres points du globe.

M.-O. P.

Le Monde, LES GRANDS REPORTAGES, 1944-2009, Paris, Les Arènes, 2009, 569 p., 24, 80 €

Une centaine de collaborateurs du journal ont été sollicités pour dresser la liste des reportages les plus mémorables du journal, c’est-à-dire souvent ceux qui ont laissé les meilleurs souvenirs de lecture. On retrouve bien sûr beaucoup d’articles politiques et de « choses vues » à l’international : Robert Guillain rapporte son « Week-end à Bien-Bien-Phu », Jean Lacouture décrit avec émotion le cercueil de Nasser qui navigue sur la foule du Caire en 1970 ; Claire Tréan présente des ex-citoyens de Rda passés, en 1989, par un « trou dans le rideau de fer » ; en 1987 Alain Frachon est « Sur le front iranien » ; en 2005 Ariane Chemin raconte « Le dernier jour de Bouna Traoré et Zyed Benna ». Mais si la grande histoire est présente, le plaisir du lecteur vient aussi de texte plus subjectifs, plus anecdotiques (le plaisir des vendanges dans le Beaujolais) ou consacrés à l’éclairage diagonal de l’actualité (« La cocaïne au quotidien », Yves Eudes). Ils sont accompagnés de photo en noir et blanc, signe de l’intérêt plus récent du journal pour le photoreportage. Faut-il voir dans cette anthologie d’une centaine de papiers regroupant les grands noms de l’histoire du journal une forme d’hommage à un type de travail sur le point de disparaître ? Les rédactions peuvent-elles encore payer ces voyages ou ces enquêtes au long cours et réserver assez d’espace dans leurs colonnes pour des papiers moins formatés ? Ces articles rappellent en tous cas que la force du récit journalistique est de saisir ces moments rares où l’actualité devient histoire, mais où beaucoup repose dans la justesse du regard du journaliste.

J. L.

Joan Didion, L’AMÉRIQUE. Chroniques, Paris, Grasset, 2009, 352 p., 19 €

La traduction récente de l’Année de la pensée magique, le récit impitoyable du deuil de son mari brutalement victime d’une crise cardiaque et de la cohabitation avec sa fille gravement malade, est à l’origine du regain d’intérêt de ce qu’il faut bien nommer l’œuvre de Joan Didion, cette journaliste américaine fort célèbre dans les années 1970. Les onze textes regroupés autour de quatre titres « transaméricains » (« Requiem pour les années 60 », « Une Californie de rêves », « New York », « Ici et là-bas ») permettent de comprendre qu’elle décrivait (alors et déjà) la fin d’une Amérique qui se croyait invulnérable (le récit du tournage du dernier film de John Wayne, la virilité de l’Amérique à lui tout seul – il tourne alors son 165e film, Les quatre fils de Katie Elder, qui est le 84e du metteur en scène Henry Hathaway –, est un morceau de bravoure qui décrit admirablement et avec humour la perte de confiance de l’Amérique). Mais, parallèlement, elle ausculte chirurgicalement les fausses utopies, les délires et dérives en tous genres qui passent par la musique et la drogue comme les faisaient aussi des poètes comme Kerouac et Ginsberg. Ses rencontres avec les groupes de musique devenus des légendes éternelles, comme les Doors, décrivent des simulacres, ceux d’un monde dévoré par la drogue, la folie, les cancers mentaux, un monde qui broie du noir tout en croyant vivre le meilleur de « tous les mondes possibles ». « Avoir si tôt accepté ce destin particulier (la valorisation de la dimension personnelle aux dépens de l’excitation recherchée par l’action sociale) fut la singularité de ma génération (J. Didion est née en 1934). Je crois que nous avons été la dernière génération à nous identifier aux adultes. » Joan Didion, qui raconte une Amérique apocalyptique, associe alors, et non sans férocité, les élans de liberté aux maux de la mort et au puritanisme. Comme l’écrit Pierre-Yves Pétillon : « Le paysage de Californie est, chez Joan Didion, un état d’âme, à la lisière de la folie […] Aux franges de la ville, on perçoit jusqu’à l’angoisse, l’inquiétante présence – “l’hystérie sinistre” – du désert, où l’autoroute, parfois, se perd bruyamment dans la pierraille […] Dans le lointain se profile le spectre de l’Apocalypse : il y a toujours un incendie dans les collines […] Un prédicateur halluciné annonce que le “dernier jour” est arrivé. » On pense à Zabriskie Point d’Antonioni qui avait bien saisi dans ce film « désertique » l’envers de toutes les utopies du début des années 1970.

O. M.

Christian Lefèvre, GOUVERNER LES MÉTROPOLES, Paris, Dexia, Lgdj, Extenso éditions, 2009, 120 p., 9, 50 €

Voici l’ouvrage dont on avait besoin pour s’y retrouver dans le dédale des débats sur le devenir des métropoles suscités par la consultation du Grand Paris. S’il n’y a pas de notion de référence (on dit « métropole », mais on pourrait dire « agglomération », « ville-région », « aire urbaine », « mégapole », « métapole », « mégalopole », etc.), la métropole désigne de fait des espaces d’activité et de vie pertinents à l’échelle nationale et internationale qui ne correspondent pas au territoire circonscrit des villes-centres. Mais cela n’empêche pas l’auteur de mettre en scène, grâce à de nombreuses comparaisons (européennes ou non), la dynamique métropolitaine et de souligner en conséquence la spécificité politique française. Après avoir montré que les collectivités locales issues de la décentralisation freinent le mouvement de métropolisation, et que c’est également le cas de l’État, l’auteur observe que le fait métropolitain n’est pas mieux pris en compte par les diverses expériences de démocratie locale. Alors que la métropole devrait être l’occasion d’imaginer une réponse, en termes d’espace-temps, aux flux de la mondialisation, elle est délégitimée en France politiquement au profit des villes-centres. Par ailleurs, plutôt que d’aller à contre-courant des tendances à la fragmentation (sociale, territoriale…) et de ne pas s’adapter aveuglément au modèle de la ville globale, la métropole se développe de manière quasi anarchique. Bref « les métropoles apparaissent aujourd’hui dans une situation paradoxale. D’un côté, la littérature et la plupart des acteurs n’arrêtent pas de les présenter comme les espaces pertinents pour traiter les nombreuses questions économiques, politiques, sociales, environnementales, soulevées par le développement du capitalisme. D’un autre, elles demeurent politiquement quasi inexistantes, à de rares exceptions près, ce qui les rend difficilement gouvernables ».

O. M.

James K. Galbraith, L’ÉTAT PRÉDATEUR. Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Paris, Le Seuil, 2009, 320 p., 23 €

Cet ouvrage ne porte pas directement sur la crise de 2007-2008, mais il permet d’en saisir la teneur politique. Alors que l’on se satisfait de l’idée que la droite n’aurait pas rompu avec les principes de l’École de Chicago, l’auteur rappelle qu’aux États-Unis la droite (les néoconservateurs) ne croit plus depuis longtemps aux vertus du tout marché et au moins d’État possible des libéraux. Mais il n’en conclut pas pour autant que l’État revient en force pour réguler le marché et la concurrence, il montre, exemples à l’appui, que l’État américain est vu par la droite comme un État « prédateur » et « activiste » qui s’appuie sur l’action publique pour valoriser les firmes privées par le biais des lobbies. L’État n’est pas mort puisqu’il sert au contraire à renforcer le pouvoir économique. Mais le paradoxe est que, de son côté, la gauche américaine se défend de l’État pour libérer l’économie au moment où la droite le revalorise à des fins privées. Drôles de chassé-croisé et de cacophonie qui obligent la droite et la gauche à réviser leurs logiciels alors même que l’opinion publique ne peut qu’y perdre ses repères. Certes, la France n’est pas les États-Unis, mais il semblerait que la situation n’est pas sans analogies, ce qui explique pourquoi les analyses qui accusent Sarkozy d’être un libéral américain pur et dur sont à côté de la plaque. Lui aussi sait que l’État n’est pas inutile pour assurer la sécurité et coordonner le chaos mais aussi pour contrôler la marche de l’économie.

O. M.

Stéphane Bouquet et Jean-Marc Lalanne, GUS VAN SANT, Paris, Éditions Cahiers du cinéma, 2009, 206 p., 35 €

Cinéaste associé à sa ville de Portland, cinéaste fasciné par l’adolescence et la question de l’éducation…Gus van Sant est difficile à saisir au-delà des clichés. L’un des mérites de cet ouvrage, qui rappelle que le cinéma donne plus que jamais à réfléchir, est d’abord de mettre en ordre les films de Van Sant (soit trois cycles de quatre films : le cycle de la route et de la drogue – de Mala Noche à Even Cowgirls get the Blues –, le cycle hollywoodien des grosses productions – de Prête à tout à À la rencontre de Forrester –, puis le cycle le plus célèbre, celui de la mort – Gerry, Elephant, Last Days, Paranoid Park). Outre le fait que le livre montre bien les liens du cinéaste expérimental avec les grosses productions (l’explication concernant les raisons du remake de Psychose de Hitchcock est convaincante), sa volonté très américaine de jouer sur des publics divers (comme Tim Burton dans un autre registre qui sait associer avant-garde et public large), les auteurs s’arrêtent de manière fort intéressante sur chaque film (l’incapacité de sortir de la maison, de s’exposer au dehors dans Drugstore Cowboy, le thème de la route dans My own private Idaho, la place du désert dans Gerry…). Mais l’argumentaire concernant Paranoid Park (un skater est à l’origine de la mort d’un cheminot coupé en deux par un train) est le plus éclairant puisqu’il fait comprendre les raisons pour lesquelles l’enfant ne veut pas avouer (pour ne pas rentrer dans le cycle, dostoïevskien et hitchcockien, de la faute et de l’aveu). « En adoptant un roman visant à abolir le maillage de convention entre la faute et la punition, Gus Van Sant retrouve un questionnement qui lui est cher : comment dépasser le modèle fictionnel hitchcockien – son regard en surplomb et son organisation en théâtre de marionnettes – Dans Paranoid Park, les pantins humains ne tiennent plus par aucun fil. Il y a du chagrin, de la dépression dans cette déréliction. Mais aussi la possibilité d’une émancipation. » Et cette émancipation aurait à voir avec la douceur qui est « une certaine proximité, une façon de penser le cinéma comme un art patient de l’approche, un rêve de communauté pour soi et pour l’autre, plus que de l’amitié, moins que de l’amour, mais comme une tentative de définir à neuf le mot ensemble ». Gus Van Sant et ses « ados » qui ne sont pas des héros essaient de se persuader en douceur que le dernier jour n’est pas arrivé.

O. M.

Franck Fischbach, MANIFESTE POUR UNE PHILOSOPHIE SOCIALE, Paris, La Découverte, 2009, 164 p., 16 €

Ce livre commence par rappeler que si la philosophie sociale naît en France, sous le patronage de Saint-Simon et d’Auguste Comte, elle s’est épanouie en Allemagne, avec Horkheimer, Adorno et, plus près de nous, Axel Honneth. Comment expliquer cette éclipse de la philosophie sociale dans l’horizon français ? Les concepts de « lutte pour la reconnaissance », de « réification » ou d’« aliénation » sont peu souvent convoqués par les philosophes français en raison de ce que l’auteur appelle « le retour de la philosophie politique » survenu à l’orée des années 1980. Si l’on peut discuter de la réduction de la philosophie politique à des considérations juridiques, le livre réussit à convaincre que les dualismes entre État et société ou économie et politique sont un obstacle à la conceptualisation du social. Retraçant les aléas de « l’invention du social », l’auteur fixe le programme d’une philosophie articulée aux conflits et aux résistances sociales, et dont le but est de « diagnostiquer ce qui ne va pas dans ce qui est ». Ce style de philosophie renvoie à une pensée située qui trouve son origine dans les expériences négatives du social. Les pages les plus intéressantes sont consacrées au rapport entre philosophie sociale et sociologie, dans un débat qui dépasse de loin les enjeux disciplinaires. La philosophie sociale défendue par l’auteur est clairement normative : même si elle fonde ses analyses sur un donné empirique, elle l’évalue selon les critères d’une « vie sociale réussie ». Le « social » lui-même (et la cohorte de ses institutions) devient un enjeu problématique pour une discipline réflexive qui s’interroge sur l’émergence des paradigmes à l’aide desquels les sciences humaines abordent le réel. Des références inattendues à Nietzsche et Heidegger, autant qu’à Marx, permettent d’illustrer ce point de vue critique sur le social qui se veut aussi une critique de la société.

M. F.

RETOURS. Mélanges à la mémoire de Stéphane Rosès. Ouvrage coordonné par Patricia Farazzi et Michel Valensi, Paris, Éditions de l’Éclat, coll. « Bibliothèque des fondations », 2009, 224 p., 22 €

Après l’ouvrage qui regroupait des textes de Stéphane Mosès (voir la brève publiée dans Esprit, juillet 2009), ces mélanges regroupés autour de trois noms de villes (Berlin, Paris, Jérusalem) rappellent symboliquement la proximité entre celui-ci et Walter Benjamin mais aussi sa volonté d’être de plusieurs lieux (cette citation de 1648, extraite d’une lettre de Descartes à la princesse Elizabeth de Bohême, était placée sur le mur en face de sa table de travail : « Me tenant comme je suis, un pied dans un pays et l’autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse en ce qu’elle est libre »). Ils ont également le mérite d’éclairer « le lecteur » inlassable de Kafka, Celan, Benjamin, Goethe, autant d’auteurs de la modernité littéraire (voir aussi l’article de Guy Petitdemange sur Mosès et Goethe). C’est parce qu’il était irrémédiablement un moderne que Mosès a « rejoint son histoire à Jérusalem » avant de revenir à Paris où il n’a jamais cessé de penser un judaïsme de son temps. Mais ces mélanges ont également une touche personnelle qui met bien en avant ses liens intimes avec la peinture et avec la poésie. La peinture est l’occasion d’un texte inédit de Stéphane Mosès sur un tableau de son épouse Liliane Klapisch (il commente en recourant à la pensée de W. Benjamin un tableau esquissé par sa femme dans le cimetière de Port-Bou, ville où Benjamin s’était suicidé après avoir appris qu’il ne pouvait pas entrer en Espagne pour échapper aux nazis). Parallèlement, son fils Emmanuel, écrivain et poète, qui se souvient d’un pèlerinage familial à l’église San Lorenzo in Lucina où repose Nicolas Poussin publie « huit poèmes qui sont autant de variations sur le thème des retrouvailles entre père et fils ». Ce sont bien entendu plus et mieux que des mélanges.

O. M.

Raphaël Enthoven, L’ENDROIT DU DÉCOR, Paris, Gallimard, 2009, 155 p., 13, 9 €

« L’envers du décor n’est qu’un décor de plus, et les apparences sont, à ce titre, moins trompeuses que le sentiment d’être trompé par elles. » Cette conviction antiplatonicienne traverse l’ensemble des vingt-cinq courts chapitres de ce livre. Organisés autour de thèmes qui empruntent autant à la philosophie (désir, liberté, possible) qu’à la littérature (solitude, révolte, bêtise), ces textes sont réunis par un même souci : sauver les apparences contre la fausse profondeur de la pensée. En appliquant au doute la même suspicion que celui-ci adresse aux choses, l’auteur s’inspire de la longue ligne des antiphilosophes (Montaigne, Pascal, Camus) qui ont voulu retourner les armes de la raison contre l’illusion de son omnipotence. L’« envers du décor », c’est l’autre scène, monde intelligible ou transcendance, qui devrait détenir les clés de ce monde-ci. Ceux des philosophes qui s’y sont abandonnés auraient été « ivres de leur défiance », prompts à calomnier le sensible au nom d’une vérité dont on postule qu’elle est toujours ailleurs que là où l’on peut la voir et en faire l’expérience. Le fragment sur la « joie » montre précisément qu’il existe une expérience du vrai : lorsque l’homme renonce à « voir double » et cesse d’espérer pour constater qu’il est tout ce qu’il peut être. Où l’on retrouve Spinoza et Deleuze contre les théories qui, au nom de la critique de la société du spectacle, s’enferment dans la déploration et la mélancolie. Il y aurait comme une déformation du penseur professionnel réclamant pour lui-même une position de surplomb qui lui assure l’apanage de la lucidité. Ce livre traque donc les effets du désir de transparence qui animerait non moins la psychologie des hommes que les réflexes des philosophes. Si une morale peut en être extraite, c’est celle de Swann qui ne se libère de sa jalousie qu’en renonçant à sonder le cœur d’Odette (p. 57-60).

M. F.

En écho

L’AVENIR DES VILLES – Dans Futuribles (n° 354, juillet-août 2009), on lira un dossier fort bien composé par Jean Haëntjens sur les villes européennes. Celles-ci peuvent-elles être considérées comme des villes d’avenir, y a-t-il une culture urbaine européenne susceptible de renverser le cours du monde urbain ? Dans un premier temps ce sont les urbanistes-architectes qui s’expriment. David Mangin rappelle, dans la suite de son livre sur la Ville franchisée, les tendances lourdes de ce qu’il nomme l’« urbanisme sectorisé ». Bernard Reichen avance des jalons dans trois directions : la connexion, le rapport ville/nature, et la nécessité du recyclage (industriel, ferroviaire, friches…). Dans un deuxième temps, le débat porte sur les indicateurs, la cote des villes qui gagnent ou perdent car elles sont désormais jugées en fonction de leur attractivité. Ce qui nous donne des évaluations étranges qui relèvent souvent de la science-fiction. Dans la revue Les Cahiers de l’IAU Île-de-France (n° 151, juin 2009) qui consacre un dossier aux « Stratégies métropolitaines », Saskia Sassen, la théoricienne de la ville globale, souligne que l’urbanisme et l’architecture sont effectivement mondialisés et remet les pendules à l’heure à propos des indicateurs dont elle souligne la variété. Quant à la revue Projet (n° 312, septembre 2009), désormais installée en première couronne à Saint-Denis, elle revient sur ce qui se passe justement en Plaine-Saint-Denis. Observant que la redistribution territoriale a plutôt régressé ces dernières années en Île-de-France, notamment du fait de la diminution des contributions communales au fonds de péréquation régionale et que les marchés métropolitains demeurent cloisonnés, Philippe Estèbe affirme que la Seine-Saint-Denis doit « devenir un opérateur de la transformation des mécanismes métropolitains ».

LE CHIISME POLITIQUE AU TOURNANT EN IRAN – Dans la Revue des deux mondes (septembre 2009), le spécialiste du chiisme qu’est Christian Jambet souligne les ressorts historiques des événements récents dans un article intitulé « L’Iran et le cri de justice » : « Dans l’exercice constitutionnel de la République islamique – quels qu’en fussent les effets brutaux – une règle étrange était respectée : la distinction formelle entre la guidance exercée par le représentant collectif de l’imam caché, le conseil des mojtahedi chiites, représentés par le Guide, et le gouvernement issu des urnes, représenté par le président de la République, et soutenu par l’activité législatrice du Parlement. Or, depuis la première élection de M. Ahmadinejad, il est apparu que l’instance de guidance religieuse n’était plus qu’un instrument au service de ses propres agents. La réserve, puis les prises de position publiques ou dissimulées de leaders chiites notoires, favorables ou régime mais respectueux des règles et de l’esprit de la pensée chiite, s’expliquent par cette progressive coalescence entre un exécutif despotique et une guidance moribonde à force d’intransigeance apparente et de faiblesse réelle. […] En voulant confondre l’autorité spirituelle des mojtahedi et l’autorité temporelle qui n’appartient, en droit, qu’à l’imam absent jusqu’à son “retour”, l’idéologie de Khomeyni a préparé la ruine en cascade de toutes les représentations politiques. La distinction du pouvoir suprême de guidance et du pouvoir éligible des gouvernements s’est inévitablement effacée, puisqu’elle était déjà effacée dans l’indistinction initiale du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Rien n’a remplacé le couple tumultueux du pouvoir royal et du pouvoir religieux. Sous cet aspect, la crise, désormais, est mûre. »

UN HÉROS FRANÇAIS, LE PROPHÈTE MALIK – Dans les Cahiers du cinéma (septembre 2009) désormais accueillis par les éditions Phaidon, Jean-Philippe Tessé publie un article stimulant sur Un prophète de Jacques Audiard. Sans y voir nécessairement « le » grand film, il se penche sur le scénario d’abord imaginé par Abdel Raouf Dafri (à qui on doit le scénario des deux fims récents sur Mesrine et la série de télévision intitulée La Commune). Ce qui intéresse Tessé est de saisir le caractère original du type de héros que ce film met en scène en « prenant le temps » : celui de l’initiation et de la formation. Depuis Regarde les hommes tomber jusqu’à De battre mon cœur s’est arrêté, Jacques Audiard observe ces personnages qui tentent de s’en sortir alors qu’ils sont tombés au plus bas (et pas besoin de la prison pour cela). Dans ce film, tourné dans une prison reconstituée à Gennevilliers, Malik va se heurter à un caïd corse qui devient son protecteur et avec lequel il va ruser jusqu’à le laisser tomber. On n’est pas ici dans un scénario à la Edward Bunker (où l’on ne devient jamais aussi fort qu’en restant en prison pour y prendre le pouvoir, Edward Bunker étant un ancien taulard américain connu pour ses polars) ni dans le scénario à la Scarface version Pacino-De Palma (le plus fort l’emporte) ou à la Mesrine (se prendre pour le plus fort et le faire savoir aux médias). Malik va s’en sortir en faisant semblant d’être inférieur et d’obéir au doigt et à l’œil : il ne faut pas jouer au plus fort mais laisser croire que l’on est un faible pour devenir fort. Voilà ce qui intéresse Tessé : « Un prophète possède une vertu capitale et toute simple : il est crédible. Précisément parce qu’il ne s’agit pas tant d’une odyssée écrite d’avance que d’un parcours en quelque sorte subi par le personnage principal qui, sans même y réfléchir, transforme en destin les hasards, les intuitions, les circonstances. Ce n’est pas un héros bigger than life, mais un homme as big as life, aussi grand que la vie ni plus ni moins. Le personnage bigger than life, c’est le parrain corse, victime in fine d’un retour de bâton. » Pour le critique, il y a longtemps que l’on n’avait pas vu un film français ambitionner de se poser ainsi en paradigme nouveau, tout en mettant en crise la notion même de modèle. Quel modèle est cet anti-Scarface qui, parti de rien, sort de prison à la tête d’un réseau puissant, alors même qu’il feignait d’être l’otage du caïd ? Ou comment devenir caïd sans en avoir l’air ? Il y a quand même un peu de Scorcese dans l’air !

DROITE/GAUCHE – La gauche est-elle durablement incapable de reconquérir le pouvoir en Occident ? Au-delà des aléas électoraux français et européens, on peut se demander si les atouts de la droite ne sont pas devenus prédominants dans toute l’Europe. Le numéro de septembre-octobre du Débat (n° 156) fait réagir Ernst Hildebrand, Marc Lazar et Giacomo Marramao à un texte de Raffale Simone qui pense qu’il faut identifier des raisons culturelles profondes (et pas seulement politiques) expliquant les difficultés des gauches européennes. D’autres contributions du numéro analysent la crise universitaire de l’année dernière (Antoine Compagnon, Marcel Gauchet, Jacques Mistral) tandis que Catherine Paradeise présente une expérimentation de l’Arizona State University qui bouscule depuis quelques années le paysage universitaire américain en refusant la sélection par l’excellence et en faisant le pari d’un accès très largement ouvert (mais pas inconditionnel) associé à la recherche de très haut niveau.

Avis

À l’occasion de la réédition aux éditions du Seuil (collection « Point-Essais ») de la Philosophie de la volonté de Paul Ricœur (tome I : le Volontaire et l’involontaire, tome II : l’Homme faillible et la Symbolique du mal), le Fonds Ricoïur organise une journée d’étude le lundi 28 septembre 2009 de 9 h 30 à 17 h 30, avec Nathalie Depraz, Luís António Umbelino, David-Le-Duc Tiaha, Mathieu Frackowiak, Sylvaine Bulle et Marc Breviglieri – discussion Jérôme Porée et Pauline Ravel. Lieu : amphithéâtre de la faculté protestante, 83, bd Arago, 75014 Paris, métro : Denfert.

Dans le cadre des lundis du livre (en collaboration avec la revue Esprit), le Fonds Ricœur organise une séance autour de Maillons herméneutiques. Études de poétique, de phénoménologie et de politique, de Jacques Taminiaux (Paris, Puf, 2009), le lundi 12 octobre 2009, de 18 h à 20 h, avec Myriam Revault d’Allonnes, Michaël Foïssel et Jacques Taminiaux. Lieu : amphithéâtre de la faculté protestante, 83, bd Arago, 75014 Paris, métro : Denfert.

« Esprit public », en partenariat avec Terra Nova, à la mairie du 3e arrondissement de Paris : les prochains mois permettront de tracer des bilans de sommets internationaux importants, le sommet de Copenhague et le G20. La réunion des dirigeants du G20 les 24 et 25 septembre à Pittsburgh cherchera à faire avancer des projets de régulation économique. Qu’en est-il réellement ? Jacques Mistral, économiste membre du Conseil d’analyse économique et du cercle des économistes, présentera le sujet le mercredi 14 octobre 2009 (19 h, salle des fêtes de la mairie du 3e arrondissement, 2, rue Eugène Spuller).

Nos deux prochains numéros exploreront les dimensions de la crise qui n’est pas achevée, malgré la volonté de beaucoup de tourner la page. Il ne s’agit pas en effet seulement d’une crise conjoncturelle mais bien d’une remise en cause de notre modèle de croissance, de cette économie caractérisée par la recherche de la valeur actionnariale, le développement de la dette et l’oubli des contraintes naturelles. Il ne s’agit donc pas de « faire repartir la machine » mais bien de changer de moteur et de trajectoire (voir l’éditorial de ce numéro). Nous menons donc une enquête auprès d’intellectuels et d’économistes pour savoir en quoi cette mutation transforme leur lecture de l’économie et de la période. Des entretiens avec Michel Aglietta, Robert Boyer et Alain Lipietz remettront la phase actuelle dans la perspective de l’histoire économique et souligneront la profondeur des remises en cause actuelles. Plusieurs articles feront le point sur ce qui a déjà changé : projets de régulations internationales, accélération de l’impératif écologique, impacts politiques. Nous nous intéresserons aussi aux pays dont le rôle sera central à l’avenir, ces économies à l’échelle de continent qui réunissent à la fois les matières premières, les industries et les masses de population : Brésil, Russie, Inde, Chine. Enfin, plusieurs auteurs inviteront à approfondir les notions mêmes dont il est question dans le discours économique : valeur, risque, crédit, dette, confiance, rareté…et qui ne sont pas réductibles à des suites d’équations.

  • 1.

    Christophe Barbier, « Priorité aux élites », L’Express, 3 septembre 2009.

  • 2.

    Pascale Krémer, « 20/20 au bac et plus, tout naturellement », Le Monde magazine, 19 septembre 2009.

  • 3.

    Christian Baudelot, Roger Establet, l’Élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Paris, La République des idées/Le Seuil, 2009.

  • 4.

    Ibid., p. 14.

  • 5.

    Daniel Cohen rappelle cet exemple qui résume tout : « En un siècle, l’École polytechnique a à peine doublé le nombre de ses élèves malgré une multiplication par 70 du nombre total d’étudiants » (Daniel Cohen, « L’université sacrifiée », Le Monde, 16 décembre 2003).

  • 6.

    C. Baudelot, R. Establet, l’Élitisme républicain…, op. cit., p. 30.

  • 7.

    Voir Éric Maurin, la Nouvelle question scolaire. Les bénéfices de la démocratisation, Paris, Le Seuil, 2007.

  • 8.

    Voir nos entretiens avec Yves Lichtenberger, « Perspectives et blocages de l’Université », Esprit, mai 2009 et « L’ancrage régional des pôles d’excellence », Esprit, octobre 2008.

  • 9.

    Sylviane Agacinski, Corps en miettes, Paris, Flammarion, 2009.

  • 10.

    Gilles Antonowicz, Fin de vie. Vivre ou mourir. Tout savoir sur vos droits, Bernard Pascuito, Paris, Éd. de l’Archipel, 2007, p. 160.

  • 11.

    Rapport d’information n° 1287, Solidaires devant la fin de vie, du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et présenté par Jean Leonetti. Documents de l’Assemblée nationale.

  • 12.

    Voir le chapitre « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant », dans Jacques Ricot, Éthique du soin ultime, Paris, Presses de l’Ehesp, 2009.

  • 13.

    Jean Leonetti, À la lumière du crépuscule. Témoignages et réflexions sur la fin de vie, préface d’Axel Kahn, Paris, Michalon, 2008.

  • 14.

    Dr Bernard Devalois, Peut-on vraiment choisir sa mort ? Repères pour les citoyens et ceux qui les soignent, préface de Jean Leonetti, Éd. Solilang, coll. « Ôméga », 2009.

  • 15.

    Marc-Olivier Padis, « Euthanasie, le déplacement progressif des arguments », Esprit, novembre 2003, p. 189-193. Jacques Ricot, « Une loi exemplaire sur la fin de vie », Esprit, juin 2005, p. 125-127.

  • 16.

    Axel Kahn, l’Ultime liberté ?, Paris, Plon, 2008.

  • 17.

    Séance du 16 septembre 2008.

  • 18.

    Céline Lafontaine, la Société postmortelle, Paris, Le Seuil, 2008. On peut regretter l’absence d’index à la fin de ce livre pour parfaire sa qualité d’instrument de travail.

  • 19.

    Id., l’Empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée-machine, Paris, Le Seuil, 2004. Voir aussi, son article : « Les racines américaines de la French Theory », Esprit, janvier 2005, p. 94-104.

  • 20.

    Signalons ici l’excellente mise au point sur le registre philosophique de la mort, de Bernard N. Schumacher. Confrontations avec la mort. La philosophie contemporaine et la question de la mort, Paris, Cerf, 2005. Cet auteur montre aussi que le philosophe n’est pas imperméable à la question scientifique de la mort dans un chapitre « La définition de la mort humaine » de l’ouvrage qu’il a codirigé avec François-Xavier Putallaz, l’Humain et la personne, préface de Pascal Couchepin, Paris, Cerf, 2008, p. 77-95.

  • 21.

    Robert William Higgins, « L’invention du mourant. Violence de la mort pacifiée », Esprit, janvier 2003, p. 139-168. Paula La Marne, Vers une mort solidaire, Paris, Puf, 2005. Voir notre compte rendu dans Esprit, juin 2005, p. 187-189.

  • 22.

    C. Lafontaine cite Pascal Hintermeyer : « Par l’euthanasie volontaire, nos contemporains cherchent à se débarrasser de l’épreuve de la mort en anticipant l’ultime échéance et en la réduisant à l’effet prévisible d’une décision » (p. 206).

  • 23.

    Alice Munro, Too Much Happiness, Toronto, McClelland & Steward, 2009.

  • 24.

    A. Munro, la Danse des ombres heureuses, Paris, Rivages, 2002.

  • 25.

    Id., Who do you think you are?, Toronto, McMillan Compagny of Canada, 1978.

  • 26.

    A. Munro, A Wilderness Station, dans Open Secrets, Ontario, Vintage Books Canada, 1994.

  • 27.

    Id., Passion, dans Fugitives, Paris, Éd. de l’Olivier, 2008.

  • 28.

    Walter Scott, les Chansons de la frontière écossaise. The Minstrelsy of the Scottish Border, Londres, James Ballantyne, 1802

  • 29.

    Robert Laidlaw, The McGregors, Toronto, Macmillan Compagny of Canada, 1979.

  • 30.

    Emmanuel Levinas, cité par Zvi Kolitz, Yossel Rakover s’adresse à Dieu, Paris, Calmann-Lévy, 1998, p. 103.

  • 31.

    Jean-Louis Schefer, Cinématographies, Paris, Pol, 1998.

  • 32.

    Id., l’Invention du corps chrétien, Paris, Galilée, 1975.

  • 33.

    Id., Sommeil du Greco, Paris, Pol, 1999.

  • 34.

    Id., la Cause des portraits, Paris, Pol, 2009.

  • 35.

    Les Cahiers du cinéma, numéro hors-série, Paris, janvier 1990, p. 95.

  • 36.

    Jean-François Bizot, Catholique, Paris, Le Seuil, 2008.

  • 37.

    Ce livre s’appelait, sur le manuscrit, Vérité du christianisme, mais ce titre était celui d’un livre du P. Henri Bouillard, et il fallut y renoncer. C’est moi la vérité, que M. Henry choisit ensuite, était incontestablement plus provocant…

  • 38.

    Voir Jean-Luc Marion, « De Descartes à Augustin : un parcours philosophique », entretien, Esprit, août-septembre 2009, p. 94.

  • 39.

    Réimprimés en 2009 dans une très belle édition chez Encre marine. L’Amour les yeux fermés a eu le prix Renaudot en 1976. Titres des autres : le Jeune officier (1954), le Fils du roi (1981), le Cadavre indiscret (Paris, Albin Michel, 1996).

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

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