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Euromaïdan à Kiev en 2013. Wikimédia
Euromaïdan à Kiev en 2013. Wikimédia
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Position – Défendre l'Ukraine

décembre 2014

Marie Mendras montre comment l’agression russe dans les provinces de Donetsk et Lugansk s’inscrit dans un scénario rodé et prévisible, qui consiste à attiser les conflits dans les régions vulnérables à chaque avancée du processus démocratique ukrainien.

Un an après le début du mouvement de protestation EuroMaïdan, l’Ukraine se trouve une nouvelle fois prise dans l’engrenage de la violence armée. L’agression russe dans les provinces de Donetsk et Lugansk a repris avec une nouvelle intensité début novembre 2014. Selon les experts de l’Otan, de l’Onu et de l’Osce, des cohortes de militaires, de chars et d’engins motorisés et des armements lourds ont passé la frontière de la Russie vers l’Ukraine. Comme au printemps et à l’été, les Russes font l’économie des plaques d’immatriculation et des insignes. Mais aucun doute n’est permis, les forces armées russes occupent un bon tiers du Donbass et ont mis à feu et à sang la grande capitale provinciale, Donetsk.

Le cessez-le-feu signé à Minsk le 5 septembre 2014 a vécu, puisque ses principales clauses ont été violées. En particulier, les « représentants séparatistes » et Moscou s’étaient engagés auprès de Kiev, et en présence de l’Union européenne, à organiser de simples élections locales, dans le cadre d’un « statut spécial provisoire » de trois ans, accordé par l’État ukrainien à la partie occupée du Donbass. Ces élections ne devaient avoir aucun caractère « étatique ». Or les chefs rebelles installés par Moscou ont avancé le « scrutin » de plusieurs semaines, l’ont tenu dans des conditions de pression armée extrême le 2 novembre, sous la bannière des nouvelles républiques autoproclamées de Donetsk et de Lugansk, et se sont immédiatement attribué les fonctions de « président » et de « Premier ministre ». Sans hésiter, Vladimir Poutine s’est félicité de la victoire de ses protégés lors de ce prétendu vote populaire. La transgression, à la pointe de la kalachnikov, de toutes les règles et engagements formels, est devenue la marque absolue de l’occupation russe dans l’est de l’Ukraine.

Cette nouvelle agression est la riposte à la victoire des partis de gouvernement aux élections législatives ukrainiennes du 26 octobre. La nouvelle Rada compte désormais près de 70 % de députés favorables aux réformes, à l’État de droit et à un rapprochement avec l’Europe. Les communistes, l’extrême droite dure et les anciens du régime Ianoukovitch ont fait de tout petits scores, démontrant la force du rejet du système précédent, corrompu et inféodé à Moscou. Même dans l’est et le sud du pays, les partis progouvernement ont obtenu la majorité des voix. La société s’est unie face au danger russe. Il importe de rappeler que, contrairement à ce que voulait faire croire la propagande russe, les Ukrainiens ne se sont à aucun moment depuis la révolte Maïdan affrontés dans une guerre civile. Ils se sont trouvés, en Crimée et à l’Est, face à des provocations et assauts de commandos armés, dont de nombreux membres venaient de Russie.

Le scénario russe est désormais rodé, annoncé et donc prévisible. À chaque avancée du processus démocratique ukrainien, les autorités russes attisent les conflits dans les régions vulnérables. Après la victoire du mouvement populaire Maïdan et la fuite du président Ianoukovitch en février 2014, Poutine lance la conquête armée de la Crimée, qu’il justifie par un pseudo-référendum organisé en quelques jours dans un territoire quadrillé par les militaires. L’annexion de la péninsule à la fédération de Russie suivra immédiatement.

En avril 2014, les Ukrainiens vivent au rythme de la campagne présidentielle prévue pour le 25 mai. Pour empêcher ce scrutin, la déstabilisation armée de l’est et du sud du pays s’accentue. À Lugansk et Donetsk, des « référendums » sont organisés, en toute illégalité, sous occupation militaire avec le soutien actif de Moscou. Les deux « républiques populaires » sont proclamées, et reconnues uniquement par la Russie. Cependant, Kiev réussira à ouvrir une partie des bureaux de vote dans ces régions et la présidentielle se tiendra dans des conditions remarquables pour un pays en pleine tempête. Début mai, une attaque de « rebelles » (dont des Russes de Russie) dans la ville portuaire d’Odessa fait plus de quarante morts, mais la provocation échoue, le calme revient.

Le 25 mai 2014, Petro Porochenko est élu président de l’Ukraine, par un vote jugé honnête par les nombreux observateurs indépendants. Le jour même, les « rebelles prorusses » attaquent l’aéroport de Donetsk et y perdent beaucoup d’hommes car l’armée ukrainienne résiste. En dépit de cet échec, avec une aide logistique russe accrue, ils renforcent le dispositif militaire et subversif en Ukraine de l’est et du sud pendant l’été. Le tir d’un missile sol-air russe contre l’avion de ligne de Malaysian Airlines le 17 juillet fait la démonstration tragique de l’interventionnisme russe. L’avion visé était, semble-t-il, un avion militaire ukrainien ; l’erreur cause la mort de près de trois cents civils européens et asiatiques.

Alors que les sanctions occidentales frappent les responsables russes et certains secteurs financiers et économiques, Moscou décide de jouer le tout pour le tout et envahit, sans se cacher, une partie de l’est ukrainien le 27 août 2014. Incapable de riposter, car son armée n’a pu se redresser après des années d’incurie, le président Porochenko accepte un cessez-le-feu début septembre.

Ainsi, dès que Kiev réussit à conduire une élection dans de bonnes conditions et avance dans les réformes institutionnelles, Moscou accentue les représailles. Vladimir Poutine assume désormais sans aucune réserve son soutien aux « rebelles » et sa préférence pour un démembrement de l’Ukraine (au printemps 2014, il brouillait les cartes en prétendant demander seulement la « nécessaire fédéralisation » du pays).

Les pays occidentaux se trouvent devant un modus operandi clair du Kremlin et ne peuvent espérer un dernier sursaut de Vladimir Poutine dans le sens de la négociation. Poutine ne discutera pas et continuera à avancer ses pions dans le rapport de force. Le choix est donc limité pour les partenaires de l’Ukraine. La seule politique efficace est le maintien d’une action solidaire de tous les pays démocratiques, de l’Amérique à l’Europe, au Japon et à l’Océanie. Les sanctions ont été efficaces depuis l’été 2014 car votées par tous les États, selon des modalités diverses, et touchant le système Poutine au cœur, en attaquant les intérêts des hommes forts du régime et de leurs structures financières.

L’économie russe est entrée en récession, le rouble et les valeurs russes chutent depuis l’annexion de la Crimée, le prix des hydrocarbures baisse. Dans ce contexte défavorable, la perte d’investissements étrangers a des effets particulièrement dommageables sur la capacité des entreprises russes et donc sur les revenus de l’État.

Le message est entendu chez les chefs d’entreprise et responsables d’administration en Russie, qui devront finir par prendre position : donner raison à Vladimir Poutine et sacrifier l’avenir au combat anti-occidental par Ukraine interposée ou infléchir la position poutinienne. Ce processus au sein des élites russes prendra du temps. Or les Ukrainiens ne peuvent attendre, car un nouveau drame humain, une insécurité croissante, une crise budgétaire peuvent faire dérailler un processus de démocratisation encore fragile.

Européens et Américains doivent donc étudier sérieusement la question d’une aide soutenue à l’armée ukrainienne pour qu’elle ait la capacité de défendre la population non seulement contre l’occupation russe mais aussi contre les exactions commises dans ces régions de non-droit. Échaudée par les cas syrien et irakien, l’administration Obama n’est pas prête, en ce début d’hiver, à fournir plus qu’une aide logistique, mais dit attendre une impulsion des Européens dans le cadre de l’Otan. Le Congrès américain est plus favorable à un soutien en armes et en formation. Et Barack Obama clame haut et fort que l’agression russe est l’une des principales menaces dans le monde actuel. Le sommet du G20 en Australie mi-novembre 2014 a encore une fois pointé l’isolement de Vladimir Poutine.

Il reste aux États européens à déterminer une ligne de conduite ferme selon trois axes : le maintien des sanctions ciblées contre le régime russe, la diversification énergétique et une stratégie active d’aide économique et de coopération politique, sociale, culturelle avec l’Ukraine.

20 novembre 2014

Marie Mendras

Politologue, Marie Mendras est chercheure au CNRS et au Centre de Recherches Internationales de Sciences Po, où elle enseigne. Elle est spécialiste de la Russie, de l’Ukraine et des relations Europe-Russie. Elle travaille sur le système politique et les élites russes, ainsi que sur les conflits menés par Moscou hors de ses frontières. Marie Mendras a rempli de nombreuses missions d’observation…

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