
Le Pari chinois de Donald Trump
Donald Trump fait de la Chine un thème marquant de sa campagne pour la présidence, espérant renouveler la stratégie nationaliste qui lui a valu la victoire en 2016.
Le 22 juillet 2020, les États-Unis ont unilatéralement demandé la fermeture du consulat chinois à Houston. Cette nouvelle étape dans le conflit commercial et politique qui oppose publiquement les États-Unis et la Chine depuis le début de la présidence Trump en janvier 2017 montre la place croissante occupée par la Chine dans la vie politique américaine – même si certains sujets de crispations datent de la présidence Obama, avec des tensions commerciales, les premières condamnations de hackers chinois et la fuite de dissidents vers les États-Unis.
Au moment où les électeurs américains s’apprêtent à renouveler une grande partie de leurs représentants, dont le locataire de la Maison Blanche, Donald Trump a décidé de faire de la Chine l’un des thèmes de sa campagne, au même rang que l’immigration et l’insécurité. Cette décision peut paraître surprenante car, traditionnellement, la politique étrangère est rarement une priorité pour les électeurs, qui préfèrent s’attarder sur les questions socio-économiques ou la sécurité. Et, ironiquement, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale John Bolton suggérait que Donald Trump avait au contraire demandé au président chinois de l’aider à se faire réélire.
Mais Donald Trump fait le pari que, en pleine crise sanitaire et économique, et sur fond de tensions internationales accrues, la Chine sera le thème de campagne qui l’emportera sur les autres et qui encouragera les électeurs à se déplacer pour le soutenir en novembre.
Contre la mondialisation
Les attaques du président contre le gouvernement chinois permettent de réactiver deux postures majeures de sa campagne victorieuse de 2016 : une opposition à la mondialisation qui demeure latente dans l’électorat américain et l’utilisation de la politique étrangère pour se démarquer, par des positions fortes et médiatiques, d’un candidat démocrate jugé trop « faible » pour représenter les États-Unis sur la scène internationale.
Les attaques visant le gouvernement chinois s’inscrivent au cœur d’une dénonciation plus générale d’une mondialisation jugée favorable aux « élites », mais désavantageuse pour le reste des Américains. Ainsi, le mandat de Donald Trump a été marqué par le retrait de l’accord de Paris sur le climat, de plusieurs traités de désarmement hérités de la guerre froide, mais également de l’Unesco, du Comité des droits de l’homme et, récemment, de l’Organisation mondiale de la santé. Au-delà des mécanismes multilatéraux, qui ont toujours été fraîchement accueillis aux États-Unis (le pays n’a pas adhéré à la Cour pénale internationale ou à la Convention relative aux droits de l’enfant), le président a fait campagne sur une promesse de renégociation des conditions du libre-échange en s’attaquant à ses alliés canadien et européens (« ces soi-disant alliés [qui] devraient au moins nous traiter équitablement », a-t-il écrit sur Twitter le 23 juillet 2020), mais également à la Chine, son deuxième partenaire commercial après l’Union européenne.
Le commerce avec la Chine, qui était déficitaire à hauteur de 419, 2 milliards en 2018, est présenté comme une preuve que le libre-échange, tel qu’il existe aujourd’hui, est défavorable aux États-Unis. Les accords commerciaux sont donc remis en question. Et les droits de douane imposés par le président Trump ont pour objectif de protéger le marché américain (en apparence du moins), mais également de forcer la Chine à négocier des échanges plus équilibrés (à travers des promesses d’achat de produits américain, d’une ouverture du marché chinois aux entreprises américaines et/ou d’investissements chinois plus importants aux États-Unis). Sur ce sujet, le président a obtenu certains gages en janvier dernier, mais les droits de douane sont toujours en place et le président continue d’interpeller un gouvernement chinois qui « ne tient pas ses promesses ».
Il se positionne ainsi comme un homme fort aux commandes – malgré la réalité de son bilan. En 2016, il accusait la candidate Hillary Clinton de faiblesse face à la Chine, aux pays de l’Otan, au Mexique et à l’Iran – indistinctement coupables d’avoir « profité » des États-Unis sous Obama. Quatre ans plus tard, le président fait le pari que ces attaques porteront contre Joe Biden.
Un bouc émissaire
Plus flagrant encore, Donald Trump a réussi à faire de la Chine un enjeu de politique intérieure en liant le pays au bien-être des Américains. Cela lui permet de faire porter la responsabilité des problèmes économiques des États-Unis sur la Chine.
Trump fait porter la responsabilité des problèmes économiques des États-Unis sur la Chine.
Si les États-Unis traversent une crise économique grave, c’est, selon lui, à cause du « virus chinois » (aussi appelé « kung flu » durant un meeting à Tulsa en juin 2020). Cette représentation est très largement relayée par ses soutiens sur les réseaux sociaux, souvent friands de théorie du complot, et encouragés par des élus républicains et des membres du gouvernement, comme le secrétaire d’État Mike Pompeo. Peu importe la gestion calamiteuse de la pandémie par le président : par son origine géographique, la Chine porte la responsabilité du virus et donc de ses conséquences.
Mais la Chine est également accusée de voler les Américains. Au même titre que les hacks, les accusations d’espionnage ont véritablement lancé l’affrontement politique entre les deux pays. En s’attaquant à Huawei, la Maison Blanche en a fait le symbole d’un espionnage industriel chinois décrit comme organisé à grande échelle. En 2018, un enseignant de l’université Penn State jugeait ainsi son coût à 320 milliards de dollars par an, au minimum, pour les États-Unis. Si Barack Obama avait tenté de régler cette question diplomatiquement avec Xi Jinping, Donald Trump a fait de l’espionnage chinois un enjeu électoral de premier plan.
Ainsi, selon le président, les Chinois profitent des États-Unis à travers des pratiques commerciales déloyales et le vol des secrets industriels américains – qui mènent à la disparition d’emplois et à une perte économique conséquente. Ce sont d’ailleurs très exactement les mots du porte-parole du département d’État lorsqu’il a justifié la fermeture du consulat chinois à Houston.
On peut constater les premiers effets de ce pari chinois. Tout d’abord, les deux tiers des électeurs américains perçoivent la Chine négativement à la mi-2020, et jusqu’à 72 % des Républicains. Ce score traduit un bond historique de la méfiance depuis 2018, avec un rebond supplémentaire depuis le début de la crise sanitaire.
Ensuite, la question chinoise s’est immiscée dans les campagnes pour le Sénat et la Chambre des représentants. Des Républicains en difficulté dans des États clés, tels que l’Iowa et le Montana, doivent désormais se défendre de ne pas avoir été assez fermes avec la Chine durant leur mandat. En Alabama et au Kansas, les candidats à l’investiture républicaine pour le Sénat se sont mutuellement accusés de faiblesse face à la Chine, et donc de ne pas être suffisamment en phase avec le président.
Finalement, les élus redoublent d’efforts pour faire vœu de fermeté en public et ainsi se faire connaître des soutiens de Trump, indispensables pour obtenir l’investiture républicaine de 2024. Mike Pompeo et le vice-président Mike Pence ont pris position en faveur des manifestants à Hong Kong et du gouvernement taïwanais. De leur côté, les sénateurs Marco Rubio, Tom Cotton et Josh Hawley se font entendre sur les Ouïghours, le coronavirus et la technologie numérique chinoise, se créant chacun une « niche » utile sur cette question hautement politique qu’est devenue la Chine dans la vie politique américaine.