« Le dernier des sentiments humains »
La colère est aussi une affaire d’écriture. Inaugurant la littérature occidentale (l’Iliade s’ouvre sur la colère d’Achille), le sentiment qu’il y a du scandale dans le monde a motivé bien des vocations d’écrivains et bon nombre de projets intellectuels. À l’image des grandes colères comme celles de Péguy, Bloy, Bernanos, Nizan, Vidal-Naquet, Césaire ou Clavel, la volonté d’indépendance et la liberté de parole sous-tendent aussi l’histoire des revues en France, qu’elles soient littéraires ou politiques. Elles furent souvent le fait d’universitaires ou de lettrés qui voulaient sortir de la modération savante et des précautions du monde académique. Tout se passe comme si la colère motivait une écriture d’intervention qui prend le risque de se confronter au présent à partir du moment où se taire devient une faute. Face à ce qu’ils ressentaient comme un climat d’apathie propre aux élites de la République, les écrivains engagés ont créé des revues afin d’animer l’espace public et d’intervenir dans la vie intellectuelle. Les exemples ne manquent pas au xxe siècle : les Cahiers de la quinzaine avec Péguy en 1900, Esprit avec Mounier en 1932, Les Temps modernes avec Sartre en 1945…
L’idée d’engagement était le moteur de ces espaces d’écrit