Avant le congrès socialiste : de l’opacité au débat ?
La décantation de la course à la succession de François Hollande au congrès socialiste de Reims en novembre tarde. Et cette lenteur inquiète autant la base qu’elle agite le sommet. Le « premier parti local » de France compte des milliers d’élus et des centaines de responsables de l’appareil que la crainte commence à gagner devant l’incertitude persistante sur le résultat. Il est fort possible en effet que, pour la première fois depuis des années, il y ait à l’issue du congrès une majorité et une minorité, mais sans qu’on puisse discerner leurs contours avant les tout derniers moments. Le risque est donc grand, pour tout un chacun, de se retrouver du mauvais côté, dans une situation fragilisée. Comment y parer ? En prenant position le plus tard possible. Tel est donc le choix, ou plutôt le non-choix d’un nombre croissant de notables, à l’exception de la fédération du Pas-de-Calais, et d’une partie de celle du Nord qui soutiennent Martine Aubry. Les autres se sont résolus à déposer des contributions indépendantes, soit sous forme nationale comme la « ligne claire » du maire de Lyon et du premier fédéral des Bouches-du-Rhône, soit dans une floraison de textes locaux qui cherchent à se différencier par la défense de telle idée écologique ou de telle mesure fiscale. La manœuvre, en deux temps, vise à fixer sa base locale puis à la monnayer au mieux placé, le plus tard possible. Mais, ce faisant, le PS dans ses profondeurs contribue à propager l’énervement de ses chefs et à compliquer la solution.
La compétition est doublement opaque. Opaque pour ses acteurs car leurs forces dans le parti sont à peu près inconnues. Les sondages sur les personnalités sont très regardés et indiquent quelques tendances : la solidité de Delanoë, qui ne va pas jusqu’à la prééminence, l’affaissement de Royal, l’ascension modérée d’Aubry et la bonne cote à distance de Strauss-Kahn. Mais, réalisés sur des échantillons de sympathisants, ils ne disent pas grand-chose sur le vote des militants. Et les antécédents manquent : le dernier vote, celui des primaires de 2006, est intervenu sur un corps électoral beaucoup plus large que celui qui reste au PS et dans une situation évidemment peu comparable. Pour ne pas s’allier à l’aveugle, il faudra donc sans doute se compter, ce qui sera la fonction des motions déposées fin septembre.
Mais se compter sur quoi ? La question même de la traduction de la cote présidentielle en aptitude à diriger aujourd’hui le PS fait aujourd’hui le principal débat. C’est même le seul, ce qui produit la seconde opacité de cette préparation du congrès pour l’opinion. Les grands candidats ou présumés tels ne se distinguent en effet pas sur un axe gauche-droite mais selon le degré de liaison qu’ils annoncent ou indiquent implicitement entre le poste de premier secrétaire et le statut de présidentiable. Ils forment ainsi une sorte de camaïeu. Royal a longtemps proposé un menu fixe : secrétariat et candidature à la présidentielle. Delanoë un bail avec possibilité d’extension au moment du renouvellement : un vrai secrétariat pour relancer le PS et, si réussite, une prolongation en candidature en 2011. Aubry, qui tarde à se déclarer, un raisonnement sophistique : elle est le meilleur bouclier des anti-présidentialistes parce qu’elle est la plus présidentiable d’entre eux. Moscovici une ambition autolimitée, « désintéressée » à la seconde partie du parcours. Dray une candidature si évidemment désintéressée qu’il n’a pas même le besoin de le dire.
Sur ce terrain le débat semble se cristalliser autour d’un choix entre l’autorité nécessaire, thème affiché par Delanoë et suggéré par Aubry et Royal au début, et le dévouement au collectif, revendiqué par les autres et Royal ensuite. Ce critère de choix aura sans doute sa pertinence pour les électeurs du congrès. S’ils pensent devoir stopper au plus vite la prétention de Bayrou à être l’opposant le plus écouté du pays et la capacité de Sarkozy à brouiller les lignes, ils choisiront une autorité de stature présidentiable. S’ils considèrent qu’aucun choix de ce type ne sera assez fort pour mettre fin à l’étalage des rivalités, ils préféreront un locum tenens qui sache valoriser le collectif et marginaliser les ambitions. Le second choix reste cependant moins probable, car presque aussi hasardeux que le premier, sans en promettre les avantages immédiats.
L’autorité elle-même ne dépend pas seulement du crédit personnel, mais de la capacité à faire alliance. C’est ici que le paysage se repeuple, principalement de Hollande et de Fabius, accessoirement de Montebourg, Valls, et que revient au moins l’apparence d’une orientation droite-gauche. La confrontation attendue, et dénoncée, entre Royal et Delanoë a cédé en effet la place, du fait de l’effritement et de la marginalisation de l’ex-candidate à la présidentielle, à un duel plus subtil Aubry-Delanoë. Chacun cherche à bâtir une alliance qui le mette en position centrale, Aubry entre les fabiusiens, et les strauss-kahniens, Delanoë entre les mêmes strauss-kahniens (ou d’autres) et Hollande. Sans négliger d’ouvrir la porte à l’autre mais pas à ses alliés. La bannière de Delanoë devient dès lors la cohérence réformiste, qui écarte Fabius et celle d’Aubry le renouveau, soit le dépassement des anciens clivages et la rupture avec Hollande. Quelle que soit leur proximité, les voici fixés dans une différence centre gauche-centre droit qui devrait ramener vers Aubry la gauche socialiste. La droite du parti, quant à elle, emmenée par la « ligne claire », pourrait se diviser entre ralliement à Delanoë et alliance avec Royal, qui a réduit ses ambitions pour surpasser Delanoë et lui imposer un premier secrétaire plus neutre.
Ce début de cristallisation droite-gauche ira-t-il jusqu’à nourrir le congrès de clivages sur la privatisation de La Poste ou l’alliance avec le MoDem ? Les favoris ont intérêt à les réduire mais leurs alliés peuvent réussir à le leur imposer, dès le moment de la rédaction des motions. Il est en tout cas vraisemblable, et souhaitable, que l’interminable controverse théologique sur la présidentiabilité du premier secrétaire se dissipe devant quelques débats de ligne politique, comme c’est le cas dans les autres partis socialistes. Si du moins ce congrès doit servir à préparer l’après. Car, après, il faudra bien s’atteler à tracer la nouvelle perspective qui manque à la gauche européenne, comme l’a justement souligné Henri Weber1, après les échecs des compromis avec l’économie globalisée, qui avaient marqué les succès socialistes du milieu des années 1990.
- 1.
Henri Weber, « Pourquoi le socialisme recule en Europe », Le Monde, 19 août 2008.