
Hidalgo et Pécresse : le temps des femmes en haut de la République
Les candidatures d’Anne Hidalgo et Valérie Pécresse à l’élection présidentielle ouvrent un moment inédit dans l’histoire politique française. Si l’une et l’autre bénéficient d’un moment favorable aux femmes politiques, elles ont surtout su faire valoir leur enracinement local et leur habilité à faire fonctionner un collectif.
Dans une précampagne présidentielle marquée par le grand nombre des candidats à la candidature, la présence concomitante d’Anne Hidalgo et de Valérie Pécresse, qui visent à représenter les deux principaux partis de la Ve république, annonce un possible tournant dans l’histoire politique de notre pays. Elles ne sont pas les premières femmes à ce niveau, déjà atteint par Marine Le Pen et Ségolène Royal, personnalités pourtant trop singulières et trop isolées pour exprimer une avancée collective : Le Pen, fille de son père et cheffe d’un parti paria, Royal conjointe du premier secrétaire de son parti, et rejetée par les éléphants.
Une prime aux femmes dans l’air du temps
Car Hidalgo comme Pécresse ne sont pas marginales. L’une et l’autre sont entrées dans la carrière politique à la même date, en 1997, lors de la cohabitation et de ses vifs débats sur les trente-cinq heures ou la parité. Elles ont servi l’une dans le cabinet de Martine Aubry, l’autre à l’Élysée sous Jacques Chirac. Elles ont ensuite parcouru des cursus honorum différents, mais comparables. Leurs progressions sont parallèles aux transformations de la société, depuis la loi sur la parité jusqu’au mouvement #MeToo. Elles ont désormais le profil pour gagner, demain sinon aujourd’hui. Mais pourquoi pas aujourd’hui ?
On commence à entendre que le temps est venu de porter une femme à la tête de l’État. Leur ascension présage d’une normalisation à l’échelle européenne. Le succès de l’une ou l’autre rapprocherait en effet la France de l’Allemagne où, pour succéder à la chancelière, une candidate a été choisie par les Verts quand leurs chances de gagner paraissaient sérieuses. Le retard de la France sur l’Allemagne a tenu à une ancienneté et une systématicité plus grande Outre-Rhin des choix de parité. Mais peut-être aussi au verrou symbolique de la Ve République qui, en joignant à l’onction élective le bouton nucléaire, semble faire de la présidence une fonction essentiellement virile. Le handicap des femmes, au regard de cette image du pouvoir en France, serait-il en train de se transformer en avantage ? Il n’est pas impossible que la théorisation par Emmanuel Macron de la « verticalité du pouvoir » provoque, en réaction, des envies de démentir cette loi salique qui ne dit pas son nom. Certains des atouts communs qui ont permis aux deux pré-candidates de figurer à ce stade de l’épreuve ont aussi à voir, indirectement, avec une image de féminité classique, assumée mais sans fracas ni surexposition.
Toutes deux ont mis en avant leur aptitude à faire fonctionner du collectif.
D’abord l’enracinement local, déjà caractéristique de Royal mais moqué à l’époque. Même si Pécresse a été ministre et Hidalgo pas, leur principale expérience politique est la direction d’une collectivité territoriale, donc d’une équipe, jugée sur des services et des réalisations concrètes. A joué en leur faveur la proximité entre les attentes d’un retour au local et au concret et l’image de la femme efficace, au narcissisme plus discret que celui des politiques masculins, plus portée qu’eux à laisser de la place aux autres. Les deux pré-candidates ont souligné ces traits. Elles ont fait valider par les électeurs leur aptitude à produire une politique de service à portée plus large que le care en vogue à l’époque de Royal, qui restait lié à une image trop traditionnelle de la féminité. Le pari n’était pas gagné d’avance pour Hidalgo, qui a assumé des choix controversés. Toutes deux ont mis en avant leur aptitude à faire fonctionner du collectif. Pécresse de façon spectaculaire en faisant, dès le début de son second mandat, voter par sa majorité le programme que celle-ci mènera à bien, libérant sa présidente pour d’autres fonctions. Mais elle a paru bien seule quand elle a posé en compagnie des poids lourds de LR, tous masculins. Hidalgo va, quant à elle, montrer le poids réel des femmes dans sa direction de campagne.
La légitimation par le concret a sans doute été accrue par la gravité que la crise sanitaire a conférée soudainement à tous les choix politiques, et la sobriété à laquelle elle a contraint en émoussant les controverses, au moins dans l’arc républicain. Les autorités locales ont été à la fois obligées à une solidarité avec le gouvernement et fondées à demander des compétences accrues. Les patronnes de la capitale et de la première région de France, les plus visibles, ont bien tenu ces deux emplois. L’une comme l’autre captent donc un air du temps, fait de réticence vis-à-vis du jupitérisme, d’avancée du féminisme et de passage obligé par le local.
L’art politique du moment et l’usage des héritages
Mais elles ont aussi fait preuve d’une habileté personnelle, nécessaire dans une séquence où il a fallu savoir se déclarer au bon moment, et parler de la bonne place. Pour la maire de Paris, le problème à résoudre était celui de la légitimité du PS à décider seul de présenter un candidat. Le bon moment pour Hidalgo a été ouvert, après le triomphe des écologistes aux municipales de 2020 (à l’exception de sa propre victoire à Paris), par la remontée des socialistes aux régionales de 2021. Qui était le seul leader socialiste capable d’attacher les écologistes à son char, tout en leur posant des lignes rouges, sinon elle-même ? S’est ajouté à cela le ralliement de Chantal Delga, brillamment réélue en Occitanie. Le regroupement des vainqueurs des urnes (grossi par quelques autres maires de grandes villes) rendait inutile toute primaire commune avec le reste de la gauche.
Pour Pécresse, la difficulté vient de l’éclatement de son parti. Entre centristes (plus ou moins satellisés par Macron) et droitiers rêvant de rééditer le « siphonnage » de la moitié de l’électorat FN par Sarkozy en 2007. Et même entre structures de plus en plus scissipares. Elle a d’abord choisi sa place, à mi-distance du vieux parti et de ses transfuges. Elle a maintenu la région à droite sans besoin d’un retrait de la gauche ni d’une fusion avec LREM. Le moment a été celui, mi-juillet, où il est apparu que Xavier Bertrand, parti très tôt, ne conquerrait l’appui d’aucun des noyaux gaulliste, chiraquien, ni sarkozyste. La présidente francilienne pouvait désormais capitaliser sur son respect des règles.
Mais en deçà des choix du présent, leurs héritages leur apportent une crédibilité élargie. Pour Hidalgo, le chemin à suivre a été ouvert par Martine Aubry, qui appela cette inspectrice du travail à son cabinet de ministre de l’Emploi. La référence à Aubry marque Hidalgo d’un triple sceau : authenticité de gauche, réalisme et ambition réformatrice. Son bilan à Paris est à l’image de celui d’Aubry au gouvernement : fort mais controversé. Et c’est Aubry qui dit le mieux du bien d’elle : « Elle a des convictions et passe très vite des discours aux actes. » Pour Pécresse, la référence première est Chirac, dans sa double dimension de réformateur libéral et d’humaniste social. À l’Élysée, elle s’est distinguée par sa capacité de travail et est devenue vite députée. Elle a été ministre sous Sarkozy (qu’elle a rejoint quand cela ne signifiait plus trahir Chirac, mais simplement préférer Sarkozy à Villepin). Avec sa loi sur l’autonomie des universités, elle s’est rendue très populaire auprès des présidents d’université, tout en ayant l’habileté de faire porter les tensions entre eux et l’État sur… Sarkozy. Elle a réussi à rester proche de tous, Chirac, Sarkozy, Fillon et Juppé. Mais toutes deux ont aussi montré dans leurs campagnes qu’elles pouvaient créer des divisions, et assumer le conflit.
Iront-elles plus loin ? Elles peuvent rassembler leur camp sur leurs personnes, pas encore sur des programmes. Leur capacité à étendre leurs soutiens au-delà est limitée par la position centrale qu’occupe solidement Macron. Elles peuvent toutefois miser sur un climat qui pourrait être marqué par une dépression post-Merkel et un besoin de leadership féminin qui libérerait un privilège de sympathie pour elles. Il leur faudra ensuite « fendre l’armure », par exemple pour Hidalgo en montrant que le monde n’est pas noir et blanc comme pendant la guerre d’Espagne, ou pour Pécresse en sortant du style bonne élève, en partageant sa trajectoire de « polytraumatisée » du machisme pour éviter le sort de Hillary Clinton.
Elles se répartissent aujourd’hui une prime à la femme en politique, qu’elles seront peut-être amenées à se disputer demain. Au cours de la campagne, le féminisme peut aussi bien devenir un thème consensuel comme l’écologie, ou à l’inverse susciter des oppositions autour de la sortie du genré. Quoi qu’il arrive, elles auront marqué une avancée symbolique de la parité, voire sauvé en prime leurs partis.