
Horizons, ou la transition de Macron à Philippe
La création du parti Horizons par Édouard Philippe vient transformer l'équilibre des forces en présence à quelques mois de l'élection présidentielle. Si la nouvelle formation est ouvertement favorable au président sortant, elle vient éclairer la faiblesse d'un parti qui peine à rassembler une majorité autour de lui.
À six mois de l’élection présidentielle, la campagne a été marquée par un seul évènement : l’irruption d’un pamphlétaire d’extrême droite sur le devant de la scène, la menace qu’il fait peser sur Marine Le Pen d’être privée d’un second tour qui lui semblait promis, et, par contrecoup, le réconfort apporté à Emmanuel Macron. Un second évènement a quand même eu lieu début octobre, en marge des faits et gestes des candidats déclarés ou supposés : le lancement d’un nouveau parti, Horizons, par l’ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe.
Un président fort et des soutiens faibles
La curiosité que ce lancement a suscitée vient de l’incongruité de la fondation d’un parti pour soutenir non pas la candidature de son chef, mais celle d’un autre candidat, en l’occurrence l’actuel président de la République, pourtant déjà accompagné de deux ou trois formations. C’est précisément le second caractère de cet évènement, que de désigner le point faible du macronisme qui est l’organisation de ses soutiens, et de proposer une recomposition du paysage politique, voire une évolution du système. La clairvoyance de d’Emmanuel Macron en 2016 avait été de mesurer l’affaiblissement des deux grands partis de gouvernement. Son imprudence, de choisir une stratégie de maximisation de ses gains, qui est la tentation constante sous la ve République. L’alliance avec le MoDem ne fut pas suivie par la construction formelle d’une coalition qui aurait pu s’élargir. Car celle-ci n’était pas nécessaire pour donner au Président une majorité absolue à l’Assemblée. Le bilan politique du quinquennat porte la marque de ce refus initial. À son crédit : une victoire à l’élection au Parlement européen, et un maintien de la cote personnelle du Président à un niveau élevé, lui laissant envisager assez sereinement une seconde campagne. À son débit : la vulnérabilité du Président en période de crise, due à la personnalisation croissante du pouvoir et à l’impuissance à faire surgir des poids lourds de la macronie ; l’échec, dans toutes les élections intermédiaires, à s’implanter localement et à remplacer les vieux partis. Le rejet du passage à la proportionnelle proposé par le MoDem a confirmé ce conservatisme institutionnel.
Une majorité en travaux
Ce résultat pour le moins mitigé fait peser sur Emmanuel Macron le risque d’une cohabitation, que les réformes de 2002 avaient jusqu’ici réussi à écarter. Les motifs de cette discordance possible entre les résultats des deux élections sont nombreux : la meilleure implantation des députés des anciens partis, le rejet d’une pure répétition (sur le modèle de 1988, où Mitterrand avait demandé lui-même qu’on ne lui redonne pas une majorité absolue) ; le prolongement d’une poussée de droite et d’extrême droite qui aurait été insuffisante pour gagner la présidentielle. Pour prévenir ce risque, le MoDem, rejoint par LREM, a entrepris d’affermir le camp présidentiel, chacun dans sa logique. La préoccupation de LREM est d'attirer du sang neuf en faisant apparaître ce camp, rebaptisé la « maison commune ». Le souhait de François Bayrou est plus précis : pas seulement additionner dans la même coquille tous les groupes macronistes, mais dessiner une architecture hiérarchique qui distingue les membres fondateurs, intrinsèquement centristes, (LREM et MoDem) et les structures plus petites (Agir et Territoires de progrès) marquées comme centre-droit et centre-gauche. C’est dans ce paysage encombré et ce dispositif éternellement inchoatif qu’Édouard Philippe vient ajouter sa formation.
Qu’apporte le maire du Havre ? Un second souffle et quelques complications. Le regroupement de fidèles de l’ancien Premier ministre est l’acquis militant le plus visible du mandat de Macron. Cet acquis est possible parce que Philippe a conservé la cote élevée qui était la sienne en quittant Matignon, au point d’être devenu « l’homme politique le plus populaire ». Il se mêle à cette faveur dans l’opinion le souvenir d’une éviction injuste, à la Rocard. Mais Philippe est plus habile. Horizons illustre, beaucoup mieux que le château de cartes rénové par Bayrou et Richard Ferrand, l'élan nécessaire à la réélection. L’appoint est bienvenu chez les marcheurs, d’autant plus qu’il intervient après de longs mois d’ambigüité où ils auraient pu craindre que Philippe ne rejoue un scénario à la Pompidou, quand celui-ci avait fait savoir, en 1969, qu’il était disponible pour l’Élysée. Le MoDem, en revanche, apprécie moins la naissance d’un nouveau partenaire, un "parti" de surcroit, qui lui disputera, au sein d’une nébuleuse peu lisible, la place du noyau dense, avec un potentiel d’attraction supérieur sur la partie la plus désorientée de l’électorat – la « volaille à plumer » chez Les Républicains, leur aile libérale. À la stratégie éducative de Bayrou (Athènes influençant Rome), Philippe oppose une stratégie comparable à celle d’un Cavour unifiant l’Italie à partir du Piémont frontalier. La pression qu’exerce sur l'autre aile des LR l’essor d’Éric Zemmour a hâté le pacte entre Macron et Philippe : au premier 2022 avec le soutien total du second, au second le droit de se donner tous les moyens de préparer 2027. Ainsi, avoir sa carte à Horizons n'empêchera pas d'en avoir une autre à LR.
La réussite de cette entreprise achèverait la constitution de la grande force médiane promise par Macron. Du moins du côté droit de l’échiquier politique, face à une autre droite plus dure, mais réduite. Cette dilatation, et enfin cet ancrage, auront été en quelque sorte préemptés par Philippe, aux dépens d’autres prétendants possibles à la succession, comme Bruno Le Maire. L'ex premier ministre devient l’héritier naturel, mais pas forcément fidèle, car explicitement déporté à droite par rapport à la promesse de Macron.
Vers une dyarchie externalisée ?
Outre les déceptions électorales toujours possibles, les points faibles internes de ce plan de transition sont, d’une part, la concurrence des hommes et des appareils dans la maison commune, d’autre part, la double incarnation de la présidence. Plusieurs complications peuvent survenir, dès 2022. La rivalité entre Bayrou et Philippe, aiguisée par la perspective d’affaiblissement du Président en second mandat, peut rendre très difficiles les accords sur les investitures, en divisant un centre-droit et un centre-gauche rassemblé par Bayrou à partir de Christophe Castaner, Clément Beaune ou Olivier Véran, et même entraîner un affrontement sur l’inclusion de la proportionnelle dans le programme des législatives. Auparavant, dès la campagne présidentielle, le camp majoritaire sera secoué par les circulations d’élus entre les pièces de la maison et par la chasse aux adhésions, critères décisifs dans la répartition des circonscriptions.
Mais la dynamique est du côté de Philippe, l’avantage à Horizons qui engrange des adhésions et est en passe d’absorber le petit groupe Agir. Dans le cas où se dérouleraient facilement la réélection et l’affirmation d’Horizons comme la force motrice de la nouvelle majorité, on entrerait dans une pratique nouvelle de la ve République, caractérisée par une dyarchie externalisée entre le Président et le leader du parti-successeur implicitement désigné. La complexité viendrait alors de l’écart des positionnements de principe entre les deux hommes. Macron demeure « ni de droite, ni de gauche » ; Philippe reste « de droite », même s’il a prouvé sa capacité à gouverner au centre avec quelques personnalités de gauche. Jusqu’ici, le second a géré sa différence, en affichant son « évolution » sur la PMA, en prouvant son intransigeance républicaine (sur les limitations de vitesse), en déclarant son approche de droite (sur les retraites). Le jeu sera plus délicat quand il lui faudra préserver pendant cinq ans son statut d'héritier en conciliant son soutien et sa liberté. La seule certitude est malheureusement que ce dialogue au sommet se déroulera loin du Parlement, puisque Philippe n’y siègera pas, réservant son attention aux maires qui composeront le conseil d’Horizons.