
La candidature Pécresse face à l’extrême droite
Le récit de campagne que Valérie Pécresse commence à construire est celui d’une recherche de solutions programmatiques, politiques et sémantiques qui dévitalisent l’extrême droite, sans lui aliéner le centre ni brouiller les valeurs démocratiques.
La qualification de Valérie Pécresse comme candidate à l’élection présidentielle pour Les Républicains laisse espérer la normalisation d’une campagne jusqu’alors marquée exclusivement par les progrès et les reculs de deux candidats d’extrême droite. À ce titre, elle constitue une bonne nouvelle pour la démocratie, mais une moins bonne pour Emmanuel Macron.
Une femme soutenue
L’accession au statut de poids lourd de cette quatrième candidate dérange le confort du futur candidat Macron. Certes, le président sortant demeure, dans toutes les études d’opinion, avant sa déclaration, le seul prétendant assuré d’une présence au second tour, face à trois adversaires possibles. Mais le débat politique est reconfiguré : il prend la forme d’un tournoi sportif, avec un bas de tableau consacré à la sélection du champion ou de la championne de l’extrême droite et un haut du tableau dédié au choix du leader de la droite et du centre – des démocrates pour employer un terme moins connoté que « le cercle de la raison ». Voici deux primaires qui ne disent pas leur nom. On ne sait pas encore si ce nouveau match se conclura au second tour ou dès le premier, dans le cas où l’un des deux serait éliminé à ce stade, dans une sorte de « finale avant la lettre ».
Mais on découvre déjà trois atouts objectifs de la nouvelle venue : la dynamique dont elle bénéficie, son statut de femme et son équipe. La dynamique de la candidature Pécresse, après sa victoire au congrès LR, s’est manifestée dans les intentions de vote, les enquêtes de popularité et l’intérêt médiatique. Certes, le marathon présidentiel, si fortement personnalisé, apporte épisodiquement quelques points à ceux qui paraissent dans une bonne passe : on pourrait parler d’effet « turfiste ». Mais Yannick Jadot n’en a pas bénéficié. Dans le cas de Valérie Pécresse, le gain va au-delà de quelques points et semble consolidé. L’une des raisons en est que sa victoire n’était pas prévue : obtenue après rattrapage et dépassement des deux favoris de la primaire interne, Xavier Bertrand et Michel Barnier, elle a accentué l’élan de la candidate officialisée. En 2017, François Fillon avait bénéficié de la même prime au rattrapage.
Son second atout est la nouveauté, incarnée dans son statut de femme. Première candidate choisie par la famille politique gaulliste (et même par l’ensemble de la droite républicaine), sa position est en soi une modernisation, saluée très largement, même par Sandrine Rousseau, qui a loué une victoire « contre le plafond de verre ». Alors qu’elle avait fait peu allusion à cette situation durant la primaire, aussitôt après l’annonce de sa candidature, Valérie Pécresse l’a commentée avec finesse en alternant l’émotionnel (l’hommage aux femmes de sa famille) et le politique (le pouvoir n’est pas antinomique avec le statut de femme, mais le pouvoir des femmes est plus « serein »). Elle a très vite illustré cette dernière équation en rappelant à Éric Ciotti, mais avec le sourire, que leur famille politique avait la tradition du chef, qui était présentement une cheffe.
Son troisième atout réside dans ses soutiens. La primaire interne des Républicains, conçue dans la douleur, a finalement été bien maîtrisée par ses participants, peut-être précisément parce qu’elle était interne, jusqu’à permettre, à sa sortie, une photographie d’unité et un recrutement de tous dans l’équipe de campagne. Bien sûr, ces rapprochements ne sont pas une garantie d’unité, comme l’a montré le désaccord exprimé par Éric Ciotti sur le « message » de la candidate. Mais la priorité donnée à l’unification correspond bien à la fonction d’une campagne présidentielle dans la Ve République où, à défaut de coalitions, les ralliements permettent les rééquilibrages et annoncent les nouvelles majorités. La candidate choisie est, plus que les autres, au confluent des héritages et des réseaux de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, et pas si éloignée d’Alain Juppé. Ce qui vaut au sein de Les Républicains pourrait donc s’étendre, en cas de victoire à la présidentielle, lors des législatives, à des élus de La République en marche tentés de retourner vers LR. On peut déjà constater que la « complémentarité » de ses anciens rivaux, vantée par Valérie Pécresse, fait plutôt meilleure figure que la maison commune Ensemble citoyens !, dont !es dirigeants semblent plus soucieux de se surveiller les uns les autres que de préparer le second mandat de Macron. C’est sans doute le point sur lequel le retardement de l’annonce de candidature présidentielle est le plus préjudiciable à la majorité actuelle, qui donne une image de sclérose et d’aigreur.
Au-delà de ces atouts tactiques, Valérie Pécresse défend une stratégie, qui l’a aidée à gagner la première étape, mais est porteuse de risque pour la suite. Si elle a devancé Xavier Bertrand, c’est qu’elle n’est pas restée comme lui figée dans l’anti-macronisme, mais qu’elle a pris la mesure de la question d’identité posée à la droite face au gonflement de l’extrême droite. En revendiquant l’identité de la droite, elle lance un débat, dont la portée est peut-être historique, sur l’efficacité des stratégies face à l’extrême droite. Le mandat de Macron, annoncé comme un rempart contre cette dernière, présente au bilan une extrême droite évoluant autour de 35 % des prévisions de vote (soit 10 % de plus qu’en 2017, même en incluant les votes Dupont-Aignan de 2017). Se pose alors à nouveaux frais la question de la manière dont on peut mettre un coup d’arrêt à la montée de l’extrême droite, bloquée par le plafond de verre et assurant au pouvoir une rente de survie et un déficit de représentativité qui demeure un ferment de paralysie et produit un rétrécissement de la démocratie.
Un programme pimenté
Le paradoxe de la situation est que l’électorat apparaît fortement droitisé dans cette période de premier tour, mais que les personnalités les plus populaires dans le pays sont Édouard Philippe et Valérie Pécresse. Celle-ci assume donc le glissement à droite pour se qualifier au premier tour, en pariant sur son image pour remporter le second au centre.
Son dispositif actuel va d’Éric Ciotti au centriste Hervé Morin. Dans un premier temps, elle veut renforcer Éric Ciotti face à Éric Zemmour. L’honorer d’une considération particulière et faire fonctionner deux machines. Une première machine va trier entre les mesures ou les formules venues d’Éric Ciotti pour retenir celles qui ne sont pas trop sensibles, comme la suppression des droits de succession, et écarter les autres, tel le « Guantanamo à la française ». La seconde machine est un dictionnaire de traduction : un programme durci est un programme « pimenté », et Ciotti est rebaptisé Pasqua, référence rassurante au ministre de l’Intérieur de Chirac en 1986 et de Balladur en 1993, qui n’a jamais fait basculer la République malgré quelques rodomontades.
Pécresse devra ensuite organiser une diminution progressive de l’autorité de Ciotti et un recul de l’extrême droite. Le récit de campagne qu’elle commence à construire est celui d’une recherche de solutions programmatiques, politiques et sémantiques qui dévitalisent l’extrême droite, sans lui aliéner le centre ni brouiller les valeurs démocratiques. Sa réussite installerait un paysage politique avec une extrême droite dégonflée, ramenée à un niveau ouest-européen, en rupture avec celui des trois dernières décennies. C’est du moins l’espoir qu’elle fait lever.
Beaucoup craignent que, sur un sujet comme l’immigration, on ne puisse être simplement pragmatique et qu’il ne soit pas possible de faire rentrer dans la bouteille les mauvais génies, une fois qu’on les a laissés s’exprimer. Sous cette lumière, la référence à Pasqua est ambivalente : il a pris des mesures de bon sens, comme la suppression des prestations sociales aux polygames, mais d’autres beaucoup plus discutables, comme le refus de l’aide médicale aux irréguliers. Le risque est de laisser se répandre un climat de suspicion généralisée vis-à-vis des « étrangers ». Il est légitime que la droite n’ait pas la même politique d’immigration que la gauche, mais à la condition de présenter une doctrine claire et distincte de l’extrême droite (par exemple, en réservant sa fermeté aux criminels et délinquants), car celle-ci se nourrit pour une grande part de l’impuissance publique et de l’incohérence de discours à la remorque des extrêmes.