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François Hollande : quel changement ?

juin 2012

#Divers

En portant le 6 mai François Hollande à la présidence de la République, les Français ont choisi le changement, selon le mot répété à satiété durant la campagne par le futur vainqueur. Toutefois, malgré le rappel insistant de 1981, d’abord dans la rhétorique et la gestuelle du candidat, ensuite dans la fête de la Bastille destinée à manifester une ferveur, dont certains déploraient l’absence en début de campagne, ce n’est plus la vie qu’on espère changer, sauf à la marge par quelques réformes sociétales. Sur quoi, dès lors, portent les attentes de changement ?

Au premier plan, et de la façon la plus incontestable, un changement de personne, de caractère, de style, de manière d’habiter la fonction. La revendication par François Hollande de « normalité » pour le candidat, puis pour le président, avait été moquée par beaucoup d’observateurs et quelques acteurs de la vie politique comme le signe d’une incompréhension de la singularité de la fonction, d’une cécité par rapport à sa transcendance nécessaire, d’une incapacité à incarner. Tous ceux-là étaient en retard d’une guerre, ou plus exactement d’une bataille présidentielle, et n’ont pas vu que le rejet du style de Sarkozy ne visait pas seulement ses manquements à la gravité, mais en même temps la rhétorique emphatique et mystificatrice qui les avait précédés. Hollande a su valoriser ce qu’il y a en lui de spontanément contraire : la sobriété et une forme de complicité humaine (« J’aime les gens »). Sa campagne n’a été ni héroïque comme celle de Chirac en 1995, ni psychanalytique comme celle de Sarkozy en 2007 (« J’ai changé »), elle a plutôt ressemblé à une visite virtuelle de la course à l’Élysée, un serious game participatif à plusieurs manches. Le moment difficile est celui qui suit, on l’a vu avec Sarkozy. Hollande saura-t-il faire évoluer cette facilité à la connivence vers un mode – mendésiste ? – d’explication régulière de son action ? C’est le premier défi, celui du style. Le second porte sur le caractère. Le sang-froid qu’il a démontré, lors de la primaire comme dans la campagne elle-même, face aux attaques souvent blessantes de ses rivaux ou adversaires, a illustré sa capacité de rassemblement et renforcé son image personnelle de gentillesse. Dans un régime de monarchie républicaine, une réputation aussi flatteuse est un atout pour le pouvoir, mais aussi un danger immédiat pour tous ses proches, promis au rôle de fusibles, par un juste retour aux traditions de la Ve République, qui, dans ce cas, risque d’être accentué.

Sous un autre aspect, mais toujours par contraste avec son prédécesseur, le changement a des allures de retour à la norme. Le respect des « corps intermédiaires », de la place de chaque institution dans la république, se traduira par la suppression de certaines dérives comme la nomination du président de France Télévision par le chef de l’État. Il devrait aussi produire certaines avancées réelles comme la suppression du cumul des mandats (qui a aussi l’avantage d’avoir un « impact jeunesse » positif), ou l’introduction de la proportionnelle. Mais, dans d’autres cas, comme le retour à la distinction entre conseillers régionaux et conseillers généraux, le simple rétablissement du statu quo ne devra pas être une fin en soi. L’élection présidentielle a montré, pour la première fois à cette échelle, une coupure entre grandes villes et campagnes. Le résultat attendu des législatives va vraisemblablement accumuler pouvoirs nationaux et locaux, à un degré inédit, dans les mains du PS. Une occasion historique, à ne pas manquer, de redistribution des cartes en termes de compétences, mais aussi de responsabilisation de la gestion publique et de représentation sera nécessaire.

L’aspect le plus décisif du changement réside cependant dans la « réorientation » de l’Europe prônée par Hollande. La contestation de l’austérité contenue dans le traité négocié fin 2011 et l’exigence d’un volet complémentaire de croissance, perçue au début comme téméraire, ont gagné à la fin de la campagne en crédibilité, du fait de la demande analogue formulée par quelques dirigeants européens et des difficultés rencontrées par l’Espagne et la Grèce pour tenir leurs engagements. Même si les chemins de la croissance ne sont pas vus de la même façon, Hollande peut se prévaloir de cette insatisfaction générale face à Merkel. On peut gager que les deux partenaires trouveront un accord sur quelques points de moindre importance (taxe sur les transactions financières, usage des fonds structurels, project bonds pour investissements d’infrastructures), qui renforce Hollande avant les législatives. Mais la véritable discussion sur les eurobonds et le rôle de la Banque centrale par rapport aux États sera reportée après cette échéance. La question ne sera plus alors réduite à : « Merkel va-t-elle céder ? » La balle sera dans le camp du nouveau pouvoir français. Pourra-t-il se contenter d’annoncer, ce qui est un adieu au keynésianisme, des chiffres de réduction du déficit et, en contradiction apparente, ne voir la croissance qu’à travers l’investissement, sans reconnaître le rôle des prix dans l’absence de compétitivité française, et donc du marché du travail et du poids de la taxation des entreprises ?

Cette question est celle du changement… de la gauche. La dénonciation de l’« austérité » a réuni les électeurs de Mélenchon et de Hollande, avec cette différence que pour les seconds le désendettement est aussi une nécessité. L’opinion de gauche est partagée entre le refus de suivre le Front de gauche dans un maximalisme qui serait sanctionné beaucoup plus vite qu’en 1981 et le spectacle de potions trop amères qui sont en train de tuer les malades grec et espagnol. Les déclarations de Hollande pendant la campagne ont encerclé le sujet sans le régler. D’un côté, il a cité la France comme « la solution, pas le problème », a défini l’hôpital comme « un service public, pas une entreprise », et écarté, lors du débat du second tour, l’idée de changer les règles du marché du travail, mais de l’autre, il n’a pas sanctuarisé le modèle social français. Les premières décisions sociales de mai-juin donneront quelques signes : la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans sera remise en vigueur pour sa forte symbolique de justice, mais il n’est pas sûr qu’elle soit étendue aux congés maternité et encore moins aux périodes de chômage. L’augmentation du Smic pourrait être très limitée du fait de ses effets en chaîne.

Après les législatives commencera la grande conférence avec les syndicats qui permettra de juger la capacité du nouveau président à obtenir des compromis historiques, à l’allemande. Au-delà de l’aptitude à rétablir un rapport « apaisé » avec les institutions en les faisant évoluer, Hollande a fixé deux grands objectifs, dont l’un a fait lever une adhésion positive : le besoin de plus d’égalité dans une période difficile, et l’autre suscité une curiosité : la priorité à la jeunesse. Dans la diversité des interprétations qu’ils autorisent, ils lui serviront de réserve de légitimité pour agir.