Gauche : qu’aucune tête ne dépasse !
En sept mois de présidence sarkozyste, quels ont été les résultats du PS comme parti d’opposition ? Au second tour des législatives, il a spectaculairement endigué un raz de marée Ump en dénonçant le risque imminent de Tva sociale, échappée de la bouche imprudente de François Fillon. Cette contre-attaque, venue de l’intuition du « sage actif » qu’est devenu Laurent Fabius, et amplifiée par une offensive exceptionnellement convergente de tous ses leaders, n’a pas eu seulement l’effet immédiat de rééquilibrer l’Assemblée nationale. Elle a également limité les marges de manœuvre du gouvernement pour compenser le trop faible effet du paquet fiscal du président, et installé l’idée d’un pêché originel d’injustice et d’inefficacité qui resservira souvent.
Mais ce succès a été le seul de la période à produire une influence durable dans les esprits et à être clairement attribuable aux socialistes. Dans les autres (et rares) batailles du premier semestre, le PS a paru à la remorque, embarrassé et pressé d’en finir. Il en a été ainsi de la loi sur l’immigration, réduite à la dénonciation des tests Adn, menée par des cercles pour une fois plus larges que la seule gauche des droits de l’homme, avec, au premier rang, les villepinistes mais finalement désavouée par le Conseil constitutionnel. Des grèves sur les régimes spéciaux, où le PS s’est contenté de réclamer des négociations dont il n’avait pas la clé, ce qui est normal puisqu’elle appartenait pour partie aux syndicats, mais dont il n’a pas tracé non plus un cadrage de principe différent du gouvernement. Et, enfin, de la visite à rebondissements de Kadhafi où ses critiques, peut-être gênées par le souvenir de Mitterrand, ont paru ternes et prises en sandwich entre la noble mise en garde de Bayrou et les éclats inouïs de la secrétaire d’État aux droits de l’homme Rama Yade.
A-t-il pour autant progressé comme force d’alternance gouvernementale ? Institutionnellement, il s’est pratiquement interdit l’innovation : en frappant d’illégitimité l’initiative de Jean-Marc Ayrault de constituer un shadow-cabinet, en retardant jusqu’à la dernière minute sa réponse au comité Balladur et aux projets constitutionnels de Sarkozy. Stratégiquement, son hésitation gagne de l’amplitude, couvre un spectre qui va de Lutte ouvrière au MoDem, se traduira par des alliances à géométrie variable aux municipales et même sept primaires face au PC, ce qui paraît trop ou trop peu. Idéologiquement ? Il a réuni deux conventions. La première, presque désertée de têtes d’affiches, a réacclimaté à gauche le thème de la nation. La seconde, un peu plus courue, a dédiabolisé le marché en l’accompagnant d’un « regard critique sur le capitalisme » et d’une « opposition au libéralisme », sans plus de précisions. Michel Rocard a réussi à y trouver un motif de satisfaction. Politiquement, l’ouverture sarkoziste, après avoir étourdi le PS, puis s’être réduite à un sujet de plaisanterie, réapparaît comme une menace constante de confusion portée par des alliances locales, des discours de gauche, des lancers de « paillasson » (Rama Yade à propos de la visite de Kadhafi) qui valent dix « karcher » dans les allées du pouvoir, sinon à sa tête.
Des tactiques mais peu de choix
Inaudible dans ses critiques, illisible dans ses perspectives, le PS est surtout bruyant et voyant dans ses querelles de leadership. Pourtant, même sur ce plan, rien n’est clair. On est loin de la confrontation Mitterrand-Rocard, et même du jeu de bascule de François Hollande entre Fabius et Strauss-Kahn. Deux facteurs de trouble se cumulent. D’une part, l’hésitation entre une stratégie présidentialiste construite autour du candidat (en jouant le jeu de la personnalisation médiatique) et l’option parlementariste autour du choix d’un programme par le parti (ce que les socialistes ont toujours prétendu privilégier, tout en faisant bien souvent le contraire). L’autre trouble vient de la quasi-disparition des courants et du va-et-vient des nouveaux militants qui rend indéchiffrables les rapports de force jusqu’au congrès qui n’interviendra qu’après l’été. Les positionnements existent encore et l’on peut bien sûr décrire le dégradé qui va de Melenchon à Valls en passant par Hamon, Fabius, Delanoë, Hollande, Royal et Moscovici. Mais, si l’on excepte les deux extrêmes, les positions médianes sont éminemment poreuses et tactiques. Et la dynamique actuelle semble bien être celle de l’ostracisme, de la ligue contre la tête qui dépasse. Ségolène Royal en a fait les frais après sa défaite, et sa nouvelle offensive semble devoir être également enrayée, même si, pour elle, il est impératif de prendre le parti au plus vite sous peine de rester éternellement identifiée à sa « plus belle histoire d’amour » de 2007. L’accession de Bertrand Delanoë au statut de rival le plus crédible frappe par sa rapidité et son économie de moyens. L’image de réussite à Paris, une plus grande proximité mais sans identification au parti, un alliage de sérieux managérial et de branchement culturel font en effet de lui l’oiseau rare en phase avec l’ère sarkozyste. Mais son intérêt n’est guère de s’enfermer dans le parti et de s’exposer trop vite ; il est plutôt de barrer la route à Royal et de devenir le candidat naturel. C’est pourquoi la dénonciation de la rivalité destructrice le gêne moins que l’ex-candidate ; il devrait donc s’accommoder de l’alliance-édredon qui sera proposée par tous ceux qui visent une place dans un gouvernement plus collégial après Hollande, rejetant Royal avec Valls, et peut-être Gorse ou Montebourg dans l’opposition.
Bayrou, le premier opposant
Le paradoxe de ce scénario, le plus plausible, serait que tous ceux qui, à la différence de Royal, mettent leur veto à une recherche d’alliance avec le centre, favorisent par là la captation du rôle de premier opposant par Bayrou. Celui-ci en effet, malgré les désertions ininterrompues qui pourraient faire planer un doute sur son caractère, s’attache à pratiquer l’ouverture dans les deux sens aux municipales. S’il y trouve quelque succès, il sera alors à la hauteur du nouveau critère de présidentialité introduit par Sarkozy : la capacité à l’ouverture qui est le pendant à notre époque de ce qu’était l’élévation de stature des présidents de cohabitation. Un prêté pour un rendu.
N’y aurait-il donc plus rien entre Sarkozy et Besancenot, parce qu’il y a trop de distance entre Melenchon et Valls ? On ne peut pas exclure que le réalisme qui avait prévalu à gauche dans les élections locales de 2004, par crainte du 21 avril, se dilue après la déception de 2007 et que, face au sarkozysme triomphant, la tentation soit forte de se replier dans une protestation globale, antisystème, en laissant aux syndicats le soin de gérer les compromis, comme ils semblent disposés à le faire. Mais le plus probable est que la logique d’élections locales de rééquilibrage (à la manière des élections de mi-mandat américaines) prévale et que le PS figure bien aux municipales. Sera-t-il pour autant capable d’énoncer les transformations qu’ont accomplies non seulement la Grande-Bretagne, la Suède ou l’Allemagne, mais même le Portugal ? Sans doute pas, mais, à y regarder de près, Socrates profite de Barroso, comme Blair l’avait fait de Thatcher. Le réalisme politique ne consisterait-il pas d’abord à préserver l’outil d’alternance, laisser Sarkozy faire le travail en se tenant à la critique de l’injustice, et déclencher la grande mutation le plus tard possible en échange d’une espérance de victoire ?