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L'heure du plus grand rassemblement des droites

juin 2007

#Divers

L’élection de Nicolas Sarkozy présente tous les traits d’un réalignement d’ampleur des forces politiques. Première caractéristique, la plus importante, celle qu’il a cultivée depuis cinq ans, préservée au moment de la crise des banlieues, gardée au cœur de sa campagne de premier tour et recueillie dans les urnes : la captation des électeurs du Front national, près de la moitié au premier tour et encore près des deux tiers des restants au second. La répartition géographique de cette récupération est significative : le vote Le Pen a été divisé par deux dans ses plus anciennes zones d’implantation, le pourtour méditerranéen, Rhône-Alpes, la région parisienne et l’Alsace ; il a mieux résisté dans ses régions d’influence plus récente, grand bassin parisien, Lorraine ou Pas-de-Calais. Comme si la moitié la plus déshéritée socialement de cet électorat demeurait enkystée dans le vote protestataire, et que l’autre, surtout sensible aux thèmes identitaires, avait rejoint un candidat qui lui offrait une voix. C’est la réussite de la tentative ébauchée frileusement, et à contre-emploi, par Balladur en 1995 et poursuivie avec détermination par son héritier. La question se pose désormais de l’évolution du parti d’extrême droite, de sa scission possible entre un pôle réfractaire et un autre, critique et satellisable, à l’italienne, emmené par Marine Le Pen. Plus profondément, si l’on rapproche cette expansion de certains thèmes sarkozystes, comme celui du non à la repentance, qui vise particulièrement la repentance de la colonisation, ce sont les cicatrices laissées par le gaullisme que Sarkozy tente de refermer, en « vertébrant » la droite autour d’une sorte de réaffirmation nationale assez brutale, qui va de la Résistance à l’« identité ».

Mais les ralliements d’entre deux tours et les tractations de constitution du gouvernement montrent que l’évolution du paysage ne se réduit pas à cet objectif annoncé depuis longtemps. La cannibalisation de toute la droite de l’échiquier concerne également les centristes, et la récupération des trois quarts des députés de l’Udf, qui vient s’ajouter, sous une bannière propre, aux ex-Udf qui avaient rejoint Chirac en 2002, marque un second mouvement qui rappelle celui opéré en deux temps par Pompidou d’abord, Giscard ensuite, vis-à-vis des centristes de l’époque. De ce côté, si l’on ne s’arrête pas à l’explication cynique par la préservation des sièges, on peut penser que c’est la critique de l’immobilisme chiraquien qui a porté, et que la thématique du déclin – dramatisée par la candidature Bayrou à travers le thème de la dette, critique aussi bien des promesses de Sarkozy que de celles de Royal – a joué très fortement contre la gauche à l’heure du choix final.

S’il y a une surprise dans cette élection, c’est en effet celle de la séquence contradictoire qu’elle compose avec la précédente consultation nationale, celle du référendum négatif de 2005 sur la constitution européenne. Celui-ci avait marqué un double point culminant : celui du vote anti-système et des désaveux électoraux des politiques chiraquiennes, désaveux en apparence colorés à gauche. On peut bien sûr remarquer que les deux principaux candidats ont montré qu’ils tenaient compte du référendum, Royal en condamnant les délocalisations, Sarkozy en demandant des protections et tous deux en chœur en s’en prenant à la banque centrale européenne. Mais on peut tout de même s’interroger sur l’importance et le sérieux de ces plaintes face aux thématiques dominantes du programme, surtout dans le cas de Sarkozy, toutes orientées autour de la nécessaire remise au travail face à la concurrence mondiale. Soit l’électorat est naïf, soit, et c’est l’hypothèse qu’il convient de retenir, son vote a fonctionné comme une pénitence par rapport non seulement au 21 avril 2002, mais aussi au 29 mai 2005. C’est une quasi-panique du décrochage possible de la France, notamment par l’Allemagne en plein rebond, qui a amené dans les dernières semaines à louer le sérieux du programme de Sarkozy, dont on relevait plutôt en février la démagogie dépensière, et à disqualifier la gauche et sa candidate. Comme si s’était rejouée la fameuse semaine de 1983 où la France avait failli devenir l’Albanie, mais cette fois avec Jacques Delors du mauvais côté.

Le rêve du propriétaire

Bien entendu, ces rappels de la prégnance des préoccupations identitaires et économiques ne suffisent pas à expliquer l’habileté du candidat victorieux, particulièrement dans sa façon de camper des types ou des parcours sociaux qui illustrent concrètement des valeurs ou des verrous, en bref la consonance de sa rhétorique avec une société des individus, qui illustre cruellement le vieillissement des discours de gauche. Sa présidence devra éviter deux écueils principaux. Le premier est celui qu’ont rencontré tous les gouvernements de droite depuis vingt ans, la paralysie après la première réforme. Ce sera affaire de stratégie dans la détermination de l’agenda (on peut parier que les étudiants ne seront pas affrontés les premiers) et de mise au point d’outils nouveaux (mais l’annonce de la composition du gouvernement a quelque peu réduit l’ambition affichée de restructuration administrative et de suppression des doublons). On pourra juger si la fin d’une certaine exception française, venue à l’ordre du jour avec ce rassemblement des droites, est propice à un nouvel élan, par exemple en politique étrangère avec Bernard Kouchner.

Mais il y aura un second écueil, propre celui-ci au caractère du nouveau président, mélange de surréactivité médiatique (dont l’ouverture donne un bon exemple) et d’entêtement devant la critique personnelle, qui peut, plus ou moins rapidement, priver et de soutiens et de retours, quelqu’un qui prépare le pays à accepter de lui donner plus de pouvoir que n’en eut aucun de ses prédécesseurs. Quant au fond de son pari, c’est, au-delà des peurs, celui d’un espoir d’embourgeoisement offert à tous, communautés immigrées comprises, incarné par la figure de celui qui, par son travail, accède à la propriété et la lègue sans droits de succession, d’une mobilité retrouvée dans une société à plusieurs vitesses. Une majorité paraît prête à tenter ce pari, comme elle ne trouve rien à redire à l’amitié des propriétaires de yacht et des évadés fiscaux pour son nouveau représentant, mais il n’est pas sûr qu’au pied du mur elle accompagne toutes les ruptures et leur cortège d’inégalités, d’exclusions, voire de transgressions éthiques.

PS : l’urgence et la difficulté du choix

Ses adversaires semblent s’accorder sur une seule leçon à tirer de cette victoire : un succès présidentiel se prépare publiquement dès le jour des résultats de l’élection précédente. Chacun compte donc, au PS, exploiter le plus rapidement possible ses atouts. Pour Royal l’avantage consiste dans les voix qui se sont portées sur elle, de plus ou moins bon gré, et la rénovation qu’elle a commencée autour du donnant-donnant ; pour Strauss-Kahn dans l’urgence d’un choix de rénovation complète, appelée de façon un peu désuète « social-démocrate » ; pour Fabius dans la dignité maintenue de l’homme d’État ; et pour Hollande, comme d’habitude, dans les divisions des autres. Mais la pluralité des accélérations pourrait précisément faire que personne ne se détache, que Ségolène Royal s’encastre simplement dans l’impasse que formait avant son irruption le trio de ses concurrents. La nécessité d’un choix stratégique entre l’alliance au centre et la réunion des gauches, redoublée de la dualité des leaders pour chacune de ces options (Royal-Strauss-Kahn et Hollande-Fabius) peut conduire aussi bien à la scission qu’à des combinaisons de stagnation. En ce cas la réussite se jouerait à un peu plus long terme, dans la capacité à exprimer une nouvelle époque, où il faudra combiner alliance au centre et figures culturelles à venir de l’antisarkozysme, un mixte de Prodi et d’un mai 68 rampant, dans lequel un Bertrand Delanoë pourrait occuper une place de choix.

Bayrou : de droite à gauche, avant le retour

Quant au centre maintenu de Bayrou, le malaise à gauche dont il est le symptôme pourrait lui permettre de durer… jusqu’à faire la soudure avec la critique de la fausse ouverture sarkozyste. Car sa trajectoire paraît claire, à défaut d’être simple. Dans l’immédiat, pour résister aux fourches caudines de l’Ump, il n’a d’autre possibilité que de passer des alliances avec la gauche, ponctuelles aux législatives, plus systématiques aux municipales. Et l’on peut s’attendre que certains courants du PS fassent de ces alliances des enjeux internes. Mais, en 2012, l’espace politique dont il disposera sera moins vraisemblablement du côté d’une gauche, qu’il aura peut-être réussi à aiguillonner, qu’à droite où les déçus du sarkozysme n’auront pas de voix pour s’exprimer à l’Ump.

Michel Marian

Philosophe de formation, il travaille dans le domaine des politiques scientifiques et de recherche. Michel Marian publie régulièrement notes et articles sur la politique française dans Esprit. Il s’intéresse également à l’histoire et à la culture arméniennes, tout comme aux questions de reconnaissance du génocide arménien.…

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