La droite donne le ton
La nouvelle la plus politiquement significative de l’automne vient de l’opposition de droite, plutôt que de la gauche au pouvoir : il s’agit de l’avance prise par François Fillon sur Jean-François Copé dans la course à la présidence de l’Ump, qui sera tranchée les 18 et 25 novembre prochains. Cette information reste grevée d’incertitude, puisque les sondages portent sur les sympathisants, et non pas les militants, qui seront les seuls votants, mais sont trop peu nombreux pour fournir un échantillon valable. Pourtant, toutes les indications vont dans le même sens : le plus grand nombre de parrainages recueillis par l’ancien Premier ministre face à un secrétaire général qui tient l’appareil et laboure non seulement les fédérations, mais jusqu’aux sections ; l’éventail de ses soutiens qui s’étend jusqu’à Claude Guéant et à certains leaders de la droite populaire, comme Éric Ciotti, quand Copé ne ramène du centre que Jean-Pierre Raffarin.
Le moment Fillon
Elle est surtout paradoxale : d’abord parce qu’une élection de militants devrait donner une prime au candidat le plus identitaire, et plus encore dans une période où, après l’échec à la présidentielle, l’Ump a perdu tous les leviers du pouvoir et que les sirènes d’un rapprochement avec l’extrême droite devraient être particulièrement puissantes. Tous ces facteurs finiront peut-être par jouer, et par rapporter à Copé une victoire à laquelle même ses partisans ne semblent plus croire lorsqu’ils célèbrent sa capacité à « créer le débat ». Mais en ce début d’automne, ce ne sont pas ces motifs classiques qui semblent déterminer les supporters de l’Ump. Tout se passe comme si, pour eux, le débat avait déjà eu lieu, et été gagné, mais le débat face à la gauche.
La vraie surprise, que révèle cette victoire annoncée de Fillon, n’est autre en effet que la vitesse à laquelle la droite a repris l’ascendant idéologique après sa défaite de mai. Son échec électoral, prévisible depuis de longs mois, tenait pourtant à des causes solides : la fragilité des sortants en temps de crise ; le doute sur la personnalité de Nicolas Sarkozy, répandu dans une partie de son camp, au-delà du rejet suscité par l’ancien président dans l’opposition ; la remise en cause d’une culture de la compétition, de l’inégalité, de l’avidité. Mais, depuis, l’aggravation de la crise a fragilisé presque autant les entrants ; le résultat serré auquel Sarkozy a fini par parvenir a refait de lui une icône de l’unité de la droite ; et surtout, le regain des valeurs de gauche n’a guère produit de changements perceptibles au-delà du soulagement, de la simplicité, de l’« oxygène » ressentis au début de l’alternance. Ce sentiment de détente, qui correspondait à une aspiration profonde, ne pouvait survivre face aux réalités de la rentrée, quand chaque journée ramène le même couple de nouvelles : la fermeture d’une usine et un incident violent, de banditisme, de terrorisme ou de rixe scolaire. Or les deux visages de cette actualité n’ont pas du tout le même effet politique. Le premier illustre à satiété l’impuissance d’Arnaud Montebourg et, à travers lui, du protectionnisme et d’une certaine arrogance volontariste de la gauche. Le second, au contraire, fait monter l’étoile d’un Manuel Valls qui combine réactivité sarkozyenne et discours républicain sans faux-fuyants, soit un comportement qui peut rallier les deux camps.
L’accent s’est déplacé : l’aspiration à plus d’égalité n’a pas disparu, mais l’urgence du chômage s’est imposée et a remis au cœur de la préoccupation économique la compétitivité, et singulièrement la compétitivité-prix, qui était l’angle mort de la campagne de François Hollande. Au point de jeter un doute, au sein même de la gauche, sur le choix du gouvernement de réduire le déficit par l’augmentation des impôts (deux tiers) plus que par la réduction des dépenses (un tiers). Doute accru par le souvenir qu’avant les législatives, Jean-Marc Ayrault avait envisagé une répartition moitié-moitié, et par le spectacle de la promptitude, non exempte de coquetterie progressiste, avec laquelle le gouvernement a accédé aux revendications des « pigeons » des start-up1. Après les dépenses sociales de la rentrée, limitées mais conformes aux promesses, le moment est donc celui d’un rééquilibrage à droite, même si le choix probable de la Csg plutôt que de la Tva pour transférer les charges sociales et gagner de la compétitivité donne une dimension de justice à la mise en œuvre de cette priorité de droite. Le plus curieux est que cette recrédibilisation des approches économiques de droite se propage aux thèmes sociétaux, comme le montrent la vigueur du débat sur le mariage homosexuel, qui n’avait guère suscité de vagues pendant la campagne, et la chute en dessous de la barre des 50% de l’adhésion au vote des étrangers aux élections locales. Dans un tel climat, le gouvernement s’interdit de durcir les clivages sociétaux : pas de Pma pour les couples homosexuels, pas de débat sur la dépénalisation du cannabis. C’est ce moment qu’a capté Fillon, cette vague porteuse qui pousse la droite à se redonner au plus vite, et avant toute montée en puissance de l’Union des démocrates et indépendants (Udi) centriste de Jean-Louis Borloo, le profil d’une force d’alternance plutôt que d’une protestation minoritaire. Au point que l’ancien Premier ministre n’a pas craint d’évoquer, en pleine campagne interne, sa disponibilité éventuelle à participer à un gouvernement d’union nationale si la situation s’aggravait encore.
L’intervention présidentielle de recadrage de la mi-septembre n’a pas significativement changé une atmosphère proche de la dépression collective, trop axée peut-être sur l’annonce de mesures difficiles et de leur encadrement dans une durée de deux ans, trop générale, voire lyrique sur les années suivantes, et quelque peu minée ensuite par la déclaration lénifiante du Premier ministre sur les 90% de la population qui échapperaient à l’augmentation des impôts. Le gouvernement table bien sûr sur l’effet retard de la mise en œuvre de mesures comme les emplois d’avenir, mais celles-ci ne pourront pas avoir le même impact qu’en 1997, à l’heure où la croissance mondiale s’essouffle, même dans les pays émergents.
Vers des réalignements ?
Des perspectives de changement structurel sont nécessaires. Sur le chômage et la compétitivité, elles sont attendues de la conférence avec les syndicats ; sur les institutions et peut-être les dépenses des collectivités territoriales, de la commission Jospin ; sur l’environnement, elles ont déjà été annoncées par le président, malgré ou à cause de l’indiscipline des Verts.
Mais le temps viendra où la préservation d’un climat propice au dialogue devra céder la place à des choix qui ne seront pas unanimes. Or le pouvoir, qui n’a jamais été aussi complètement dans les mains d’un parti, semble à la fois étouffé par le poids des intérêts de ses élus, et privé, par absorption au sommet, de relais militants ou de boîte à idées. La crainte aussi, depuis le traumatisme de 2005, de se confronter avec une gauche radicale devenue surtout souverainiste nourrit paradoxalement l’image d’une Europe non démocratique et retarde une réponse à la demande de révision des institutions formulée par une Allemagne qui s’est beaucoup, quoique tardivement, engagée financièrement. Que, dans l’atonie des votes socialistes pour le congrès de Toulouse, la surprise soit venue du score réalisé par la motion signée de Stéphane Hessel, qui demande un congrès socialiste européen, est un signe d’espoir. Si, en 2013, l’Allemagne pratique une grande coalition, le moment viendra peut-être, pour la France, d’un réalignement politique plus en phase avec les pratiques des autres pays européens, d’une autre coalition, voire d’une union nationale. Avec ou sans Fillon, ou Borloo, ou Bayrou. Mais cela redonnerait-il envie d’agir aux militants socialistes ?
- 1.
Voir l’article de Michaël Fœssel dans ce numéro, p. 12.