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La droite : unité et divisions ?

août/sept. 2011

#Divers

Il y a une énigme Sarkozy. Comment est-il passé d’une impopularité record au « frémissement » et même, dans certains sondages, à un vrai rebond qui le remet, en deux mois, au niveau de ses adversaires socialistes ? Et qu’a-t-il donné à son camp pour que celui-ci anticipe le mouvement ? Car la quasi-totalité des dirigeants de l’Ump annoncent depuis quelques mois leur soutien à une nouvelle candidature de l’hôte de l’Élysée. Cette unanimité, ou presque, pouvait paraître paradoxale quand, lors des élections nationales, la droite l’emportait partout en Europe, Grèce exceptée, et qu’il devrait sembler plus raisonnable pour surfer sur cette vague favorable, de remplacer un tenant du titre largement distancé dans les sondages par au moins deux candidats de gauche.

Ce soutien renouvelé à un leader qui semblait constituer plutôt un handicap personnel pour son camp est moins surprenant à l’entrée des vacances d’été, depuis que les enquêtes montrent une remontée de popularité qui s’accompagne d’un lâchage au premier tour de Marine Le Pen, éloignant ainsi le spectre du « 21 avril à l’envers ». Mais les déclarations de soutien ont précédé de quelques mois cette petite embellie et doivent donc trouver ailleurs leur explication.

Trois axes de reconquête

Qu’il y ait en France (à droite mais aussi à gauche) un surcroît de déférence au chef, dû à l’institution présidentielle, et qu’il y soit donc plus difficile de froidement tirer un bilan des coûts et avantages d’un remplacement comme le firent les tories avec Thatcher et le New Labour avec Blair, c’est très probable. Mais les trois principales raisons de ce soutien retrouvé sont plus politiques : Sarkozy s’est remis en scène comme le meilleur garant de l’unité de la droite, il s’est représidentialisé et il a fixé le « la » de l’orthodoxie budgétaire pour la campagne à venir.

L’équilibre de la droite en 2007 se situait entre l’encouragement à la compétition libérale et la référence à l’histoire républicaine. Mais, à l’époque, Sarkozy, ministre de l’Intérieur et critique interne du pouvoir, avait désactivé la menace lepéniste. Depuis, il y a eu la crise économique et la résurgence du Front national. Dès lors, les thématiques libérales doivent passer à l’arrière-plan, servir au plus à entretenir la foi de quelques noyaux militants contre les 35 heures ou le Rsa. Même un Estrosi les rejette. Désormais, les deux pôles à équilibrer dans l’Ump sont séparés par une ligne idéologique horizontale mais aussi sociologique verticale : une droite raisonnable, au libéralisme très mâtiné d’étatisme et de fibre sociale face à une droite populiste, réactive et identitaire.

La nouveauté est bien sûr la montée en visibilité de cette dernière. La principale idée politique du pouvoir, après l’avertissement des régionales, est bien d’avoir donné une figure à celle-ci, ou plutôt deux : le groupe parlementaire de la Droite populaire et l’installation place Beauveau de Claude Guéant. Sans leader véritable (même si l’affirmation du groupe a permis à un de ses fondateurs, Thierry Mariani, de prendre du galon au dernier remaniement gouvernemental), la Droite populaire ressemble à une Tea Party à la française, ressemble seulement car elle soutient un pouvoir en place. Elle exprime la voix de la base, la méfiance devant l’étranger et l’islam dans les régions où le FN est reparti à la hausse et qui sont aussi les siennes, la défense de la majorité silencieuse et traditionnelle (sur les questions de mœurs) mais aussi l’irritation de l’automobiliste de base. Elle n’est pas un think tank ; on ne lui demande pas des solutions mais une catharsis. Elle remplit deux fonctions successives : exutoire dans les mots puis retour au réalisme gouvernemental sur les thématiques du FN. Jusqu’ici elle n’a pas si mal réussi, si du moins on peut lui attribuer le tassement de Marine Le Pen et la contrainte où celle-ci se trouve, d’abandonner le discours purement protestataire et de chiffrer par exemple à 10 000 le nombre d’immigrants annuellement acceptable. Claude Guéant pourrait revendiquer aussi une part de cette paternité, lui qui mélange depuis quelques mois incartades verbales et mesures plus modestes. Le plus important est que la Droite populaire comme Guéant, en sous-traitant la sécurité et l’immigration, contribuent dans leur expression à manifester que Sarkozy n’est pas à la droite mais au centre de la droite, et lui donnent le moyen de prendre de la hauteur, de ne pas endosser lui-même un nouveau discours de Grenoble. On mesure le chemin parcouru par rapport à novembre 2010 où c’était Fillon qui incarnait, pour les députés de la majorité, le point d’équilibre et la référence rassurante. L’unité de leadership redevenue incontestable sera célébrée par la droite tout le temps de la primaire socialiste, et jusqu’en octobre où l’Ump réunira une convention critique du projet socialiste.

La représidentialisation est l’autre impératif de celui dont le style personnel a fait l’objet de critiques beaucoup plus larges que celles de l’opposition. Ses efforts commencent à être perceptibles. Au-delà d’une prise de champ par rapport aux divisions de sa majorité, le retrait, la rareté organisée des apparitions publiques, si chers à Jacques Pilhan, le conseiller de ses deux prédécesseurs, permettent à Sarkozy de mettre en relief ses interventions en chef d’État, pour recevoir les otages libérés comme pour visiter les troupes en Afghanistan. Cette intensification internationale permettra de rafraîchir les souvenirs du G20 et de la crise russo-géorgienne et de consolider l’image d’un leader mondial plus réactif que les autres (Libye), et capable de les entraîner. Bref un président « crédible ».

Le troisième axe consiste à prôner, plutôt que l’énergie réformatrice, contestée dans ses résultats, l’orthodoxie budgétaire inéluctable et à rejoindre Fillon, prophète de la « faillite » de l’État, sur la rigueur. Ce positionnement, obligé, sous la menace des agences de notation, présente l’avantage politique de gêner les socialistes (en les mettant au défi de voter la « règle d’or », déjà adoptée en Allemagne, de limitation des déficits budgétaires, mais surtout en comparant leur projet au programme de 1997 pour stigmatiser son inadéquation à notre époque). Mais les centristes aussi seront mis en difficulté si, à la différence de 2007, où Bayrou prêchait dans le désert la gravité de la dette, ils rallient un candidat, Borloo, au profil dépensier.

Des résultats tangibles mais fragiles

Le premier objectif, celui du rassemblement autour du candidat, semble atteint. Certes les divisions de la droite s’aiguisent, mais elles le font pour les seconds rôles ou pour 2017, donc à l’avantage de Sarkozy. Copé imite le positionnement présidentiel, en visant une place au centre de la droite, et en saturant l’agenda de débats. Il devra compter, surtout si Sarkozy gagne, avec un Fillon, au mandat validé et à l’image plus étatiste, qui tentera de s’installer dans la place forte de la mairie de Paris, malgré l’opposition de la nouvelle copéiste Rachida Dati, ainsi qu’avec Xavier Bertrand au profil plus social. À moins que ses « amis » quadragénaires néochiraquiens, qui viennent de se déchirer pour Bercy, n’estiment l’heure venue pour eux aussi, avant que les trentenaires ne les dépassent. Sarkozy commence à profiter de la politisation produite par les précampagnes de gauche pour refaire une partie du retard abyssal qu’il enregistrait dans les intentions de vote de second tour.

Toutefois l’espoir de victoire, s’il a repris droit de cité, est encore faible : le socle d’une dynamique de second tour est au minimum de 28 % au premier. L’affolement devant la candidature Borloo, qui ébrèche ce socle, s’explique ainsi. C’est pourquoi, jusqu’à la fin de l’hiver, qui marque le plus souvent le début des campagnes éclairs des présidents en place, on ne peut exclure un scénario de transition de velours, de relais en course, qui serait pris non par Fillon, mais par le Premier ministre bis Alain Juppé, dont les hommages appuyés à Claude Guéant sont un indice supplémentaire de la possibilité de cette variante.

D’autant que la dramatisation économique et politique internationale, sur laquelle compte Sarkozy, peut aussi, au-delà d’un certain seuil, jouer contre lui. Certes, son activisme dans la seconde phase des révolutions arabes a fait oublier la passivité pendant la période tunisienne et rend décalé le discours de Martine Aubry sur le « déclassement de la France ». Mais les démentis des faits peuvent être cruels, ainsi des morts de soldats français en Afghanistan, après la visite présidentielle et avant un retrait certain.

De son côté, la crise des dettes souveraines en Europe a plutôt tendance à écarter les socialistes au bénéfice des partis de droite et à maintenir dans une marginalité tapageuse les mouvements de type « indignés », jusqu’à présent. Mais la menace sur la dette italienne pourrait renverser cette tendance. Si l’impossibilité de résoudre ces problèmes se manifestait pendant de longs mois et avait pour conséquence une retombée dans la crise économique, un arrêt de la croissance fragile, il ne resterait à Sarkozy que deux options radicales pour tenter d’éviter le renvoi : prendre lui-même la tête d’un mouvement populiste de « démondialisation » ou bien sacrifier l’autonomie budgétaire française à une étape décisive de la construction européenne.

Michel Marian

Philosophe de formation, il travaille dans le domaine des politiques scientifiques et de recherche. Michel Marian publie régulièrement notes et articles sur la politique française dans Esprit. Il s’intéresse également à l’histoire et à la culture arméniennes, tout comme aux questions de reconnaissance du génocide arménien.…

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