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Position – La gauche a-t-elle honte de sa politique sociale ?

janvier 2015

#Divers

On connaît la formule du Front national sur ce qu’il appelle l’«  Umps  », qui considère donc que Ump et PS, c’est «  bonnet blanc et blanc bonnet  », comme d’une façon différente mais finalement assez proche, Jacques Duclos, secrétaire général du parti communiste, le disait des gaullistes et de la Sfio. Bref, droite comme gauche, tout cela serait équivalent.

Contrairement à ce qu’on lit souvent, les partis de gouvernement (PS, Ump, Modem) étaient, en 2012, tout à fait convaincus de l’état très préoccupant de la France et aucun, si on considère attentivement leur programme, ne s’est lancé dans des promesses exorbitantes ; tous, au contraire, ont fait, pourrait-on dire, le «  service minimum  » pour rassurer leurs piliers électoraux, sans aller plus loin. Mais leurs «  fondamentaux  » diffèrent réellement : on peut le vérifier simplement sur le plan social. Quelques exemples sont très significatifs.

En septembre 2012, l’allocation de rentrée scolaire a crû de 25 % et a encore légèrement augmenté par la suite (1, 2 % en 2013 et 0, 7 % en 2014) ; délivrée sous conditions de ressources à trois millions de familles pour plus de cinq millions d’enfants, elle s’étage de 363 euros à 396 euros par enfant selon l’âge. Notons que cette mesure, affectée uniquement aux revenus les plus bas1, est d’une ampleur importante ; pourtant, on peut être sûr que, interrogés sur leurs revenus, les bénéficiaires ne penseront jamais à y inclure ces montants.

Autre mesure sociale propre au gouvernement de gauche : le plan contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de fin 2012. L’engagement de l’État, à la suite de ce plan, est de 2, 5 milliards d’euros en année pleine, somme qui, dans un contexte budgétaire très tendu, est venue s’ajouter aux dépenses sociales déjà élevées. Mais cette fois, c’est le gouvernement lui-même qui reste discret sur ses engagements : le principal poste de dépenses est en effet la revalorisation du Rsa, et en ces temps où l’on fustige l’assistanat à tort et à travers, une telle décision fait craindre l’impopularité aux dirigeants si elle est trop connue. Pourtant, là encore, il faut être plus clair. D’abord cette revalorisation, si elle est bienvenue, reste très (trop ?) raisonnable : elle ne vise qu’à remonter le Rsa au niveau où était initialement le Rmi, soit 50 % du Smic, or il en avait décroché et n’atteignait plus que 43 % de celui-ci. Ensuite, l’effort, compte tenu du nombre de personnes concernées, est certes élevé, mais il est peu sérieux de faire croire que ce relèvement poussera à la paresse et conduira beaucoup de gens à cesser de travailler pour profiter de ces montants qui, même revus, restent dérisoires et permettent juste une survie difficile2.

Troisième exemple : beaucoup de commentateurs «  avisés  » ont jasé sur le «  retour de la retraite à 60 ans  » quand, très vite, le nouveau gouvernement de gauche a décidé de laisser partir à la retraite ceux qui avaient 60 ans mais (on «  oublie  » souvent cette condition !) qui avaient aussi travaillé le nombre de trimestres nécessaires. Cela permettait essentiellement à ceux qui avaient démarré très tôt de s’arrêter, leur temps de travail ayant été accompli. En effet, précédemment, ces personnes continuaient à travailler au-delà de ce temps, faisant bénéficier les autres salariés de leurs cotisations. De plus ces personnes, ayant démarré tôt, donc faiblement qualifiées pour la plupart et ayant exercé des métiers durs, avaient un taux de mortalité bien plus précoce que les autres ; ainsi, elles cotisaient plus longtemps et profitaient moins longtemps que la moyenne de leur temps de retraite. C’est uniquement cette injustice qui a été corrigée. Il est dommage de ne pas avoir su communiquer sur cette réelle correction sociale et d’avoir laissé le terrain à ceux qui (par incompétence, information insuffisante ou malveillance) ont voulu faire croire à un retour en force de la retraite à 60 ans pour tous.

Dernier exemple qui touche l’ensemble du secteur social : les associations ont vu croître fortement leurs effectifs depuis de nombreuses années, notamment parce qu’elles se sont en partie substituées à l’État dans de nombreux domaines3 ; la fin du quinquennat précédent a vu un net coup de frein de cette tendance et même, à partir de 2010, une baisse des effectifs. L’année 2012-2013 avait mal commencé, avec deux trimestres de suite en négatif. Mais la suite a vu un retournement avec, pour l’ensemble de l’année 2013, une hausse de 0, 3 % ; cela semble modeste, mais c’est une inversion de la tendance précédente ; c’est aussi une réelle différence avec le secteur marchand qui, lui, a baissé de 0, 5 % pour la même année. On dira qu’une partie de cette hausse de l’emploi associatif est due aux emplois d’avenir, ce qui est exact. Il n’empêche : le changement de gouvernement en 2012 a, sur ce plan, apporté aussi un réel changement de politique4. Bizarrement, nombre d’associations, sans doute trop émues par la chute des années précédentes, ne paraissent pas vraiment avoir perçu cette évolution et, continuant à craindre le retour des baisses, préfèrent les anticiper dans leurs discours. Rester vigilant semble bien une nécessité en ces temps de disette budgétaire où un financement est vite coupé, comme cela a failli arriver pour le plan pauvreté avant l’été 2014 ; cela ne doit pas conduire à se tromper et à considérer que toutes les politiques sont équivalentes.

Voici quatre exemples de choix de politique sociale ; on peut en discuter la pertinence mais on ne peut en nier la paternité de gauche, ni qu’ils n’ont pas été faits par la droite, bien au contraire. Ainsi, droite et gauche sont loin de s’équivaloir5. Encore faudrait-il que ces choix ne soient pas jugés «  honteux  », qu’ils soient assumés. Sinon, ils ne sont que source de coûts et leurs bénéficiaires ne les perçoivent pas ! Quant à ceux qui n’en bénéficient pas, il faut s’ôter de l’idée qu’ils y seraient, par construction, forcément hostiles. La Direction générale de la cohésion sociale (Dgcs) du ministère des Affaires sociales, qui publie un baromètre de la cohésion sociale, note dans son édition de 2012 :

Sur ce thème – celui de l’inégalité de la société –, les Français sont, de longue date, convaincus d’une augmentation des inégalités dans notre société. Déjà en 1992, 83 % des Français en semblaient persuadés […]. Une étude de la Commission européenne montre à ce sujet que les Français sont parmi les plus sensibles à la problématique des inégalités en Europe : en 2010, 78 % des habitants de l’Hexagone considèrent que l’on s’occupe mal des inégalités et de la pauvreté.

Une partie de ceux-ci devraient donc être rassurés s’ils percevaient mieux ces choix politiques. En revanche, les cacher permet aux sceptiques et aux négatifs de renforcer leurs croyances dans des mécanismes plus ou moins occultes visant à favoriser «  les autres  », tous ceux qui ne sont pas eux-mêmes, tous ceux qui profitent d’avantages dont eux-mêmes auraient plus besoin. Surtout, assumer sa politique sociale permettrait au gouvernement de rééquilibrer la perception générale d’un État uniquement soucieux des entreprises et qui ne donne de l’argent qu’à «  ceux qui en ont déjà  » ; cela lui permettrait de montrer qu’il n’aime pas seulement les entreprises, mais aussi les citoyens et notamment ceux qui sont en difficulté, et peut-être même qu’il s’intéresse à ses électeurs !

Pour finir, juste un mot sur la fraude sociale dont on nous a rebattu les oreilles au plus haut niveau de l’État et qui reste en arrière-plan d’une bonne part du discours politique et des sentiments d’une fraction non négligeable de la population. La fraude aux prestations sociales est de 150 millions d’euros sur l’assurance-maladie et de 120 millions sur les prestations familiales ; ce n’est certes pas rien même si, pour les prestations familiales, cela est à rapporter au budget des caisses d’allocations familiales, qui est de 60 milliards d’euros ; la fraude est donc de 0, 19 % des sommes versées. En revanche, la seule fraude à la Tva représente, selon la Commission européenne, un total de 32, 2 milliards d’euros, soit 1, 6 % du Pib et soit surtout… 119 fois plus que la fraude sociale6 ! On entend pourtant bien plus parler de la première que de la seconde…

  • 1.

    Inférieurs à 24 137 € pour une famille avec un enfant, 29 707 € pour deux enfants, 35 277 € pour trois enfants…

  • 2.

    L’association Atd Quart-Monde a publié un excellent petit livre, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté (Paris, éditions de l’Atelier, 2013), qui confirme bien le grand écart qui subsiste entre les revenus de bénéficiaires du Rsa et de salariés au Smic.

  • 3.

    Recherches et Solidarité, Cécile Bazin et Jacques Malet (sous la dir. de), les Associations face à la conjoncture, 6e édition, juin 2014 (http://www.recherches-solidarites.org/media/uploads/conjoncture_juin_2014.pdf).

  • 4.

    De façon plus large, notons en effet que, malgré une nouvelle baisse annoncée des budgets de l’État pour 2015, celui des Affaires sociales continue de monter (voir Les Échos du 10 juillet 2014).

  • 5.

    Sauf face aux Roms où le gouvernement «  assume  » trop bien une politique que n’aurait pas reniée la droite…

  • 6.

    Les Échos, 11 juillet 2013 et 19 septembre 2013 ; La Croix, 4 août 2014.