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Religieux présents en Algérie

novembre 2010

#Divers

Après avoir vu le beau film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, si vrai, si bien vécu plutôt que joué par ses acteurs, on ne peut s’empêcher de penser aux autres religieux chrétiens d’Algérie. Ceux qui, avant ou après, ont aussi été assassinés. Ceux aussi qui ont, simplement, fait acte de présence…

Dès avant l’indépendance, Monseigneur Duval, archevêque d’Alger, avait donné le ton en prenant résolument parti contre la torture ; la chose paraît aisée aujourd’hui ; à l’époque, elle lui avait valu le surnom, peu affectueux de la part de ceux qui le lui avaient donné, de « Mohamed Duval », ainsi que de nombreuses menaces. Après l’indépendance, Mgr Duval et les autres évêques d’Algérie ont tous demandé la nationalité algérienne pour bien montrer qu’ils appartenaient désormais à ce peuple et en étaient solidaires quelles que soient les circonstances sans le filet de sécurité qu’un passeport étranger aurait pu leur assurer si la situation devait changer.

Des pieds-noirs étaient restés après 1962 ; certains sont partis ; d’autres sont morts de vieillesse ; le nombre des coopérants s’est réduit ; le peuple des fidèles chrétiens s’est réduit comme peau de chagrin mais l’Église a voulu demeurer présente. Modestement, sans éclat mais proche du peuple. À partir des années 1990, la situation de semiguerre civile a posé à chacun la question que se sont posés les moines de Tibhirine : ne faudrait-il pas partir ? Quel sens cela aurait-il de mourir assassiné ?

L’un des prêtres qui était là-bas, le père Claude Gary, m’a répondu en octobre 1996, cinq mois à peine après la mort des sept moines :

Je viens de prendre la décision, avec l’aide de Dieu, de vivre et mourir en Algérie… malgré le désarroi, la peine immense causée par la mort de nos Frères, cela m’a apporté la paix et me soude étroitement à leur incarnation jusqu’au bout, à la suite de Jésus. Et d’ailleurs, le peuple algérien qui comprend parfaitement que certains partent, aime que d’autres restent et lui fassent confiance, lui redonne confiance par notre seule présence aimante.

Tout était dit là par cet homme, prêtre, solide et gai paysan enraciné durant 35 ans dans l’est algérien, qui est mort d’un « bête » cancer en 2003. Sa vie ressemblait à celle des moines, consacrée à Dieu et à toutes sortes de petits services qu’il pouvait rendre aux uns et aux autres, chaque jour, sans prosélytisme, juste par amour pour ce peuple (le mot – et l’affection ! – revenait dans presque toutes ses lettres1).

Et, de fait, les Algériens ont bien entendu ce message qui les a fortement touchés et aidés à tenir dans cette période terrible ; qu’il s’agisse d’un ami, conseiller du général Zéroual, le Président algérien d’alors, qui m’avait envoyé un florilège de beaux articles parus en Algérie après la mort des moines et qui montrait que celle-ci n’était pas vaine ; qu’il s’agisse de cette mère de famille musulmane dont le père Gary m’avait envoyé le texte en 1997 ; elle disait :

Par moments, on a envie de rejeter Dieu mais […] la présence de l’Église est plus que jamais vitale pour notre pays, pour assurer la pérennité d’une Algérie plurielle, pluriethnique, ouverte sur le prochain […]. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont choisi de rester ou de nous rejoindre pour ce partage. Merci à l’Église d’avoir laissé sa porte ouverte : elle découvre l’homme nouveau. Et ensemble nous découvrons Dieu.

Un dernier mot : une note du père Christian de Chergé, elle aussi envoyée par le père Gary ; par analogie avec l’islam et ses cinq piliers de sa foi, Chergé proposait les cinq piliers de la paix : patience, pauvreté, présence, prière, pardon, sans lesquels il n’y a pas, selon lui, de paix possible. Et il ajoutait :

Comme par hasard, Pardon, c’est le premier nom de Dieu dans la litanie des noms [de Dieu en islam] : Rahman, Ar-Rahma. Et la patience, c’est le dernier des 99, Es Sabour. Mais Dieu lui-même est pauvre, et Dieu lui-même est présent, et Dieu lui-même est prière… Voici la Paix que Dieu donne, ce n’est pas comme le monde la donne.

Une musulmane ; un chrétien ; pas de fusion artificielle ou superficielle mais une vraie communion ; c’est là sans doute la leçon de Tibhirine mais aussi de ceux, plus obscurs comme le père Gary, qui les ont accompagnés…

  • 1.

    Voir père Claude Gary, Nicolas Clément, Un serviteur inutile ? Correspondance algérienne 1979-2003, Paris, Marsa Éditions, 2006.

Nicolas Clément

Président de l'association Un Ballon pour l'insertion, responsable d’équipes d’accompagnement de familles à la rue et en bidonville au Secours Catholique, il est l'auteur de Dans la rue avec les sans-abri (Jubilé-Le Sarment, 2003) et de Une soirée et une nuit (presque) ordinaires avec les sans-abri (Cerf, 2015).

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