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Retour au travail : chiche !

août/sept. 2011

#Divers

Depuis plusieurs semaines, des membres importants de la majorité présidentielle (hier Laurent Wauquiez, aujourd’hui Jean-François Copé) suggèrent avec insistance que les bénéficiaires du Rsa travaillent 5 heures (voire 10) par semaine en échange des prestations qu’ils reçoivent.

On ne discutera pas longtemps les arrière-pensées politiques qui se cachent là : faire passer les bénéficiaires d’aides pour des profiteurs et des tricheurs est un nouveau sport assez peu exaltant ; il suffira juste de rappeler que le total des fraudes sur l’ensemble des prestations de Sécurité sociale est de 458 millions d’euros, chiffre en apparence énorme mais qui, rapporté au total de ces prestations (dont le Rsa n’est qu’une faible part et qui atteint 450 milliards), ne représente que 0, 1 %. On aimerait connaître la proportion de ceux qui évitent de se déclarer au seuil de l’Isf et évitent ainsi cet impôt…

Le travail n’est pas une occupation

Plus intéressant est de s’attacher aux postes proposés pour ces quelques heures de travail hebdomadaires ; on parle de la voirie, de postes d’éboueurs ; on parle aussi d’aide à la personne en voulant envoyer ces bénéficiaires/profiteurs s’occuper de personnes âgées ou dépendantes ou de handicapés. Ces propositions sont assez étonnantes et manifestent à la fois méconnaissance et mépris de ces activités. Quiconque a jamais été bloqué par un camion poubelle et, au lieu de s’en énerver, a essayé de s’imaginer à la place de l’éboueur, se sera rendu compte qu’il y a là une vraie qualification ; il ne s’agit pas simplement de basculer une poubelle dans une benne ; il faut le faire vite, bien et proprement ; le rythme est soutenu et intense. Bien sûr, ce n’est pas insurmontable et cela s’apprend ; mais comment penser que ce sera possible 5 heures par semaine seulement sans que, d’une semaine à l’autre, le nouvel éboueur n’y perde son savoir-faire péniblement acquis et sans un accompagnement/encadrement lourd et coûteux.

Pour l’aide à la personne, outre qu’il est étrange de vouloir envoyer des présumés tricheurs/voleurs chez des personnes fragiles qui risquent d’être ainsi de réelles proies pour tout intervenant peu scrupuleux, on se demande si ceux qui proposent ces mesures ont eu, dans leurs proches, des malades et s’ils ont observé le travail de ceux qui les soignent et les accompagnent ; croient-ils vraiment qu’il suffit d’avoir du temps disponible pour bien faire ce travail ? Il ne s’agit pas ici que d’apporter des repas ou de changer des personnes dépendantes ; il faut savoir leur apporter chaleur et réconfort et aussi savoir être attentif et repérer toute dégradation pour la signaler au personnel soignant… Là aussi, c’est un vrai métier. Là aussi, il est accessible. Mais pas à tous, pas sans formation.

Au-delà de la prestation

Être au Rsa, ce n’est pas seulement être disponible et avoir une pension (rappelons au passage combien elle est réduite et qu’avec environ 450 euros par mois, elle s’apparente plus à un filet de sécurité qu’à un vrai revenu) ; c’est aussi, c’est surtout, le fruit d’une histoire très diverse de l’un à l’autre, mais souvent longue et compliquée, dont on ne sort pas si aisément. Pourtant, au-delà de ces pensées électoralistes et de cette méconnaissance à la fois des publics et des métiers (qui ne sont clairement plus des « petits boulots »), il reste un vrai sujet : celui de l’utilité sociale des personnes. Quand le chanteur Félix Leclerc décrivait les 100 000 façons de tuer un homme, il concluait que, tout de même, le meilleur moyen est encore de l’empêcher de travailler ! Et nous le voyons tous les jours avec les personnes que suivent les associations ; contrairement à l’idée reçue, la grande majorité voudrait travailler ou au moins être reconnue comme utile. Il y a là un vrai chantier de long terme.

L’État, depuis quelques années, a fait un travail considérable d’amélioration des conditions d’hébergement des personnes en grande difficulté. Mais l’insertion sociale, si elle passe en effet par une mise à l’abri durable dans des conditions dignes (et, ici, le progrès a été très important), ne peut se limiter à cela. Mettre ou remettre au travail des personnes exclues depuis de nombreuses années ne peut se réduire à de simples « yaka » destinés à rassurer ceux qui craignent l’assistanat. Il y faut du temps, des moyens ; il faut aussi de nouvelles règles réservant sans doute des emplois, des filières, avec des encadrements spécifiques…

Alors, on a envie de dire « chiche »! Mettons en effet l’emploi en priorité dans notre pays et notamment pour les plus exclus ; donnons-nous, État et associations, les moyens d’une vraie analyse sans jugement à l’emporte-pièce, puis d’expérimentations et enfin de généralisation pour voir comment réellement redonner sens à la vie de personnes qui n’en ont plus beaucoup en leur redonnant l’utilité sociale que manifeste le travail salarié ou l’action bénévole.