Carlos, terroriste, acteur et metteur en scène de série
Cette série présentée par Canal Plus à Cannes a animé un festival plutôt calme puisque « la profession » s’est scandalisée qu’une série télévisée (six fois 52 minutes) puisse être présentée comme un film (le Dvd étant déjà en vente avant le passage à la télévision et la sortie en salle de cinéma). Si la réalisation d’Oliver Assayas mérite le respect (on ne s’ennuie pas, telle est la règle d’or de la série, on n’est pas chez Bresson puisqu’on ne voit pas le temps passer !), on est cependant fort surpris que Carlos soit devenu un personnage de série… terroriste. Si l’action est conduite tambour battant, les liens avec les terroristes et révolutionnaires allemands qui ont des débats entre eux - au demeurant assez limités : tuer ou ne pas tuer l’ennemi ! - suscitent quelque peu l’attention, le personnage de Carlos ne présente guère d’intérêt. En effet, ce clone de Guevara est inébranlable, totalement sûr de lui, les femmes et l’alcool étant le seul arrière-plan de ses faits et gestes quotidiens répétitifs puisque tout son temps se passe à boire et draguer entre des opérations terroristes qui laissent entendre qu’il est un génie (des armes essentiellement).
Que faire en dehors de tuer ? La question de Lénine est ici plutôt existentielle et devient « comment ne pas s’ennuyer quand on s’appelle Carlos et qu’on est une célébrité internationale du crime terroriste ? ». Et la réponse est : à peu près rien, à moins de s’imaginer comme un personnage de série qui fait toujours la même chose et de vendre le produit Carlos. Carlos est à la fois le producteur, le scénariste, le réalisateur, le premier rôle et le distributeur de la série Carlos… il ne lui manque que d’être le projectionniste. À suivre le scénario carlosien, celui-ci a pour particularité de refuser toute traîtrise et de miser sur la révolution mondiale.
Reste deux scènes époustouflantes, celle de la soirée sud-américaine durant laquelle Carlos tue de sang-froid deux agents français, et surtout celle de la prise d’otages des ministres de l’Opep (l’Irak visant, à travers Carlos, les émirats et l’Iran), où l’on voit bien que le metteur en scène a essayé de comprendre en tant que réalisateur l’art de la mise en scène du terroriste. Celle qui va progressivement s’essouffler au fil des escales et des attentes sur les tarmacs d’aéroports (Alger, Tripoli…). En effet, Carlos, qui se prend pour un grand manipulateur d’États et joue des oppositions entre les pays arabes, est lui-même manipulé. Il comprend mal que certains États, à commencer par la Syrie dont l’Iran a pris le relais aujourd’hui, n’aient qu’un mot à la bouche : empêcher la paix et faire la guerre. Ce vieux leitmotiv gauchiste de la guerre est certainement ce qui intéresse le plus Assayas qui a connu l’époque et est l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma asiatique (qui ne brille pas par son manque de violence). Les Palestiniens en ont lourdement payé les conséquences. Opérations ou pas, bombes et prise d’otages, il faut toujours faire la guerre. C’est la loi de Carlos et de la série qu’il a initiée. Le personnage de la jeune terroriste allemande Nada (titre d’un roman de Jean-Patrick Manchette dont Chabrol a réalisé un film), folle à lier de violence qui tue dès que l’occasion lui en est donnée, est le plus redoutable, le plus fou alors que Carlos a fini par être le jouet des États. Et qu’il le sait très bien.