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Position –– D’'Ayrault à Valls : toujours le déni de réalité !

mai 2014

#Divers

On l’avait écrit ici même dans une récente position : le président Hollande était d’autant plus fragilisé et affaibli, en mal d’autorité, que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, avait accaparé le pouvoir et faisait montre d’autorité, celle qui incombe au chef de la police et de la gendarmerie1. Qu’en est-il après le score catastrophique des municipales ? Au premier abord, le président persiste et signe dans l’échec : d’un côté, il demande à Manuel Valls, sa « dernière cartouche », comme cela a été dit et redit, mais aussi son rival à l’horizon des présidentielles de 2017, de le sauver de la noyade (il reconnaît ainsi sa faiblesse) ; de l’autre, il forme un gouvernement bis marqué du sceau de Hollande et ne laisse à Valls d’autre issue que de poursuivre sa politique (il confirme ainsi qu’il ne parvient pas à s’ouvrir et à sortir de ses cercles proches). Valls est-il alors prisonnier de son président qui a tant de mal à « présider » et à « incarner le pays » ?

On a insisté sur le changement de style et de ton par rapport à Jean-Marc Ayrault. Cela ne fait guère de doute. Plus encore, cela saute aux yeux : Euro-Rscg (aujourd’hui Havas Worldwide) a repris en main la communication et l’incontournable Stéphane Fouks est plus que jamais là. Ceux qui ont conseillé Jérôme Cahuzac et Dominique Strauss-Kahn sont de retour. Certes, la déclaration de politique générale était précise, cadrée, fluide. Valls a fait preuve de savoir-faire et de conviction, s’est voulu rassembleur à gauche mais aussi vis-à-vis de la nation. Valls le grand communicant n’est donc pas seulement « l’homme du président ». Il l’est d’autant moins qu’Alain Bauer, le troisième larron de la bande de Tolbiac (il était à la fac avec Fouks et Valls), qui fut l’un des conseillers sécurité de Sarkozy, vient aussi le seconder2. Il y a bien une marque Valls qui s’est immédiatement imposée : l’énergie, la capacité de réagir, d’aller vite et de mieux faire travailler ensemble gouvernement et Parlement. Reste qu’évoquer l’influence de Lionel Jospin, dont Valls a été le conseiller « com » à Matignon, fait oublier ce qui le rapproche d’un Sarkozy, qui ne lui a pas fait des appels du pied par hasard3.

Un « gouvernement Hollande » qui communique enfin, voilà donc ce qu’est le « gouvernement Valls ». Mais la politique ne se passe pas qu’à l’Assemblée nationale ; l’examen de passage de Valls était la conséquence d’un fiasco électoral et d’un taux d’abstention d’autant plus inquiétant qu’il n’en finit pas de grimper d’une élection à l’autre. Le communicant Valls sait mieux que personne que la volonté politique doit se traduire dans l’opinion publique. Mais qu’en est-il de celle-ci ? Qu’a-t-elle entendu ? Cet après-midi du 8 avril, Valls a cité à l’Assemblée nationale plus de quarante fois le mot « France » (avec des accents à la Guaino), et trois ou quatre fois seulement les mots « socialisme » et « gauche ». Plus étrange encore, les principaux présidents de groupes politiques chargés de réagir à sa déclaration n’ont en général pas cru bon, à l’image du Premier ministre, de citer le Front national, alors même que cette élection rend manifeste sa « dédiabolisation ». Faut-il aller trop vite et affirmer, comme l’a fait le président du groupe socialiste (Bruno Leroux), que la France démobilisée et désabusée est une France en demande de citoyenneté ? Si c’est le cas, on ne peut se satisfaire du sempiternel discours républicain et de l’éloge émouvant de la France « arrogante car généreuse » ; la France de toujours participe de l’histoire du monde, de l’histoire d’un monde (évoqué furtivement comme celui de l’économie globalisée) qui porte des défis inédits pour elle… À un seul moment, on a senti que le vent de l’histoire avait tourné, c’est quand Valls a égrené ses réformes institutionnelles concernant les collectivités territoriales (régions, intercommunalités, départements, compétences). Tout le monde était ébahi dans les travées, à droite comme à gauche. De fait, comment Valls va-t-il et peut-il faire bouger tous ces élus qui ont approuvé les propos du président du groupe Udi (François Sauvadet) quand il a évoqué le sort des campagnes et des villes abandonnées ? La France arrogante et généreuse doit être réformée, encore faut-il ne pas remettre aux calendes grecques des réformes urgentes et décisives.

Si l’on doit souhaiter pour le pays une stabilisation de ce gouvernement, il est utile de rappeler l’un des propos de Jean-Marc Ayrault quand il a quitté Matignon : « Je n’ai qu’un regret, avoir obéi au président quand je lui ai demandé dès 2012 de pouvoir dire aux Français la profondeur et la gravité de la crise, et qu’il m’a répondu qu’il ne fallait surtout pas les démoraliser. » Aujourd’hui, Valls a, lui, le droit de rappeler aux Français démoralisés l’ampleur des difficultés et d’évoquer leur « souffrance ». Faut-il en conclure que le « déni de réalité », dont le président est le principal responsable en raison de sa croyance démiurgique en une sortie de crise qui lui vaut une sortie de route, est derrière nous ? Lever le déni de réalité, faire écho au regret justifié de Jean-Marc Ayrault, cela exige plus que de poursuivre la politique de Hollande (les pactes) avec une meilleure communication et d’annoncer des projets de réforme irréalisables à court terme : il faut parler du monde tel qu’il va. Si le duo Valls/Hollande veut rompre avec le déni de réalité dont la gauche est friande, s’il veut se coltiner le réel pur et dur et ne pas le laisser en pâture au FN, il va falloir en dire beaucoup plus et commencer à entrer dans l’histoire du monde. Pour cela, il ne suffit pas de prononcer le mot France toutes les minutes pour rassurer ceux dont on ne parle pas, cette France arrogante (avec les Roms) et généreuse (avec les brillants Catalans)…

15 avril 2014

  • 1.

    Voir Olivier Mongin, « Un pouvoir sans autorité ! Hollande aspiré par Valls », Esprit, décembre 2013.

  • 2.

    Voir l’article d’Ariane Chemin, « En attendant le nouveau gouvernement : rêves, pressions et comédie du pouvoir », Le Monde, 2 avril 2014.

  • 3.

    Un côté renforcé par les références à l’accueil de l’immigré par la France (le « sang-mêlé » Sarkozy, dont le père est hongrois, le Catalan Valls).