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Position – Un pouvoir sans autorité ! Hollande aspiré par Valls

décembre 2013

#Divers

Hollande aspiré par Valls

Le Hollande bashing finit par être lassant. Certes, rien ne se passe bien et la situation empire si l’on regarde les sondages en tous genres qui concernent la cote du président ou les études qui observent une courbe du chômage révélant une situation au mieux stationnaire. Certes, la vie politique est plus que jamais inquiétante, si l’on se penche sur le surplace idéologique et la faiblesse rhétorique du parti socialiste de « gouvernement », sur la décrépitude interne des Verts ou sur l’esprit tactique lugubre de François Fillon : pas de plus mauvaise ambiance possible, alors même que viser l’ennemi par excellence, la vague bleu Marine et le reste, ne suffit pas à justifier la situation. La défense de la République s’essoufle !

Cela ne va vraiment pas bien. Mais faut-il en rajouter à l’infini sur la psychologie de François Hollande, sur ses rapports à sa compagne ou à ses conseillers ? Il est le président, il tient le coup face à l’adversité et à la dure réalité de l’économie. Il est indécent de le siffler et de le huer comme on a pu le faire ce 11 novembre 2013 entre les Champs-Élysées et Oyonnax, cette ville de petite montagne située entre Bourg-en-Bresse et Nantua, saluée pour ses hauts faits de résistance (le défilé du 11 novembre 1943) et vantée hier encore comme créatrice d’emplois. Ceux qui le défendent mordicus suivront peut-être les éloges discrets et centristes de Jean-Claude Casanova (dans sa revue Commentaire) ou de Jean-Louis Beffa, l’ancien Pdg de Saint-Gobain, qui voit dans François Hollande1 un mélange inattendu de Deng Xiaoping – le réformiste de la Chine qui avait fait un long voyage dans le Sud du pays pour découvrir l’entreprise et en acquérir le sens2, d’où une étrange comparaison avec les voyages studieux de F. Hollande à travers la France – et du pape François, ce jésuite qui prend son temps mais ne transige pas sur les principes (reste que l’Argentin François a une vision concrète du monde que n’a pas Hollande ; les jésuites sont toujours une « internationale », ce qui n’est plus guère le cas du socialisme !).

Entre le Hollande bashing à tous crins et un « centrisme » hollandais rêvé car politiquement virtuel à l’heure qu’il est, on peut souhaiter une réflexion qui ne se contente pas d’en appeler à des états généraux ou à une réforme des institutions pourtant indispensable (la proportionnelle promise durant la campagne pour ne pas laisser au FN la posture protestataire et minoritaire qui lui sied si bien, la révision de la coïncidence des présidentielles et des législatives, du présidentialisme, du millefeuille de la décentralisation…). Au-delà de ces réformes toujours bottées en touche, le problème est métapolitique et renvoie à ce qu’on a appelé dans ces colonnes, de Claude Lefort à Paul Ricœur et Myriam Revault d’Allonnes, le « théologico-politique ».

Que signifie ce « gros mot » ? L’État théologico-politique est celui qui associe, dans une configuration aux résonances encore religieuses, une autorité et un pouvoir. Qu’est-ce à dire encore ? Que le pouvoir faisait autorité et que l’autorité donnait du pouvoir. Or aujourd’hui Pouvoir et Autorité sont dissociés et vivent selon des régimes séparés. Le juriste Alain Supiot, professeur au Collège de France, y insiste depuis longtemps : la vie politique oscille de facto et de jure entre des autorités sans pouvoir en voie de multiplication (commissions en tous genres, autorités de régulation qui ont peu de pouvoir mais font office de conscience morale) et des pouvoirs de moins en moins visibles (internet et traçabilité aidant, mais tout ne s’explique pas uniquement par les nouvelles technologies !) qui n’ont pas besoin de faire autorité. Dans ces conditions, le pouvoir de l’État, qui a perdu beaucoup de son pouvoir économique, est celui qui s’exerce sans coup férir sur le plan de la sécurité : or Hollande n’a pas besoin de faire autorité sur le plan de la sécurité puisque Manuel Valls, qui a doublement appris son métier (communication à Matignon et avec les amis de feu Euro-Rscg, « mise en sécurité » d’Évry ville nouvelle avec les conseils d’Alain Bauer, l’un des conseillers sécurité de Sarkozy), est là et bien là, même s’il s’est fait plus discret après les incroyables maladresses de l’affaire Leonarda. Tel est le problème du président au pouvoir : l’homme qui a le vrai pouvoir (voir le décalage des sondages entre Hollande et Valls) n’est pas le président.

L’homme en mal de pouvoir est aussi un homme en mal d’autorité. Reste que cela ne relève pas de la personnalité de F. Hollande, puisque tous les États qui misent sur la mondialisation jouent à fond le pouvoir par la sécurité, alors même qu’ils privatisent l’économie. Le pouvoir se porte d’autant mieux qu’il n’a plus besoin de faire autorité. Et l’autorité, qui a de son côté de moins en moins de pouvoir, n’a de chance d’exister qu’en se faisant autoritariste, ce dont Nicolas Sarkozy fut la preuve.

Associer à nouveau autorité et pouvoir, faire autorité3, c’est, au-delà de la capacité à raconter un monde en voie de mondialisation à une opinion trop « hexagonalisée », renouer avec une langue politique. On en est loin si l’on regarde l’évolution d’une planète où les États en position de force, de Pékin à Dubaï et Doha en passant par Astana et Singapour, ne prennent pas particulièrement les voies de la démocratie4. Il est temps de revenir à une pensée politique, celle des hommes politiques de la fin du xixe siècle par exemple, ceux que l’on aime tant citer aujourd’hui comme des morceaux républicains du patrimoine politique, ceux qui ne confondaient pas la politique avec les tablettes à calculer et les tweets, ceux pour qui les mots font sens et permettent d’écrire des phrases communes. Autrement, l’autorité continuera à s’effondrer d’elle-même au seul bénéfice d’autoritarismes plus ou moins passagers ou d’un pouvoir se passant d’autorité et donc des défis propres à une démocratie digne de ce nom. Un pouvoir auquel on ne peut pas croire, cela tombe tout seul, et pas uniquement dans les sociétés non démocratiques ! La Boétie nous en a avertis depuis longtemps.

  • 1.

    Jean-Louis Beffa, La France doit agir, Paris, Le Seuil, 2013.

  • 2.

    Pendant combien de temps nos grands patrons, dont on comprend bien l’intérêt économique pour le marché chinois, parleront-ils de ce pays d’un air naïf ? On n’en est plus à la période des voyages organisés par le Parti, on ne leur demande pas non plus de faire du Bernard Kouchner droits-de-l’hommiste, mais faut-il qu’ils soient si assurés de l’avenir de la Chine, faut-il que l’économie fasse oublier les stratégies de pouvoir internes et externes ?

  • 3.

    Voir le numéro d’Esprit de mars-avril 2005, « Faire autorité ? », qui a certainement autant, voire plus de sens aujourd’hui que lors de sa publication.

  • 4.

    Il faut prendre acte avec tristesse de cette situation invraisemblable : la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite et Cuba (quatre pays hautement démocratiques !) ont été élus au Conseil des droits de l’homme des Nations unies basé à Genève (la Russie et la Chine ont chacune recueilli 176 suffrages émanant des 193 pays membres de l’Assemblée générale des Nations unies !).

Olivier Mongin

Directeur de la revue Esprit de 1989 à 2012. Marqué par des penseurs comme Michel de Certeau, qui le pousse à se confronter au structuralisme et l'initie aux problématiques de la ville et aux pratiques urbaines, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, les animateurs du mouvement Socialisme ou Barbarie, qui lui donnent les outils à la fois politiques et philosophiques de la lutte anti-totalitaire,…

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