Positions – Fallait-il sauver le soldat Bayrou ?
Le soir du premier tour des législatives, la question était posée comme s’il fallait concéder un oral de rattrapage à un élève en difficulté. Les appels charitables pour éviter à François Bayrou un échec électoral l’éloignant inéluctablement de la vie politique furent divers. Mais ils n’étaient guère convaincants. Un peu hypocrites dans le cas de ceux qui s’inquiétaient de la disparition du personnage comme si le « système » et la machine électorale l’avaient condamné à mort : la politique ne relève pourtant pas de la médecine. Un peu solennels dans le cas de ceux qui pensaient que le PS pourrait faire un geste de réciprocité : la politique ne relève pourtant pas de la morale. Un peu sympathiques et francs du collier dans le cas de Daniel Cohn-Bendit qui, alors qu’il avait été pris violemment à partie par Bayrou sur la pédophilie, en a appelé au « pluralisme1 » comme Hannah Arendt (qu’il a connue enfant), lui qui a toujours été le partisan d’une ouverture du PS à droite (Bayrou) et à gauche (les écologistes d’Eelv dont il fut l’un des alchimistes) : le PS a pourtant une haute conscience de sa « distinction », des amis à gauche et des adversaires à droite, c’est la bonne vieille guerre civile politique à la française qui renforce une bipolarisation en passe de devenir un bipartisme après la déconfiture du Front de gauche et des écologistes à la présidentielle. On connaît aussi les réponses et non-réponses du PS. La secrétaire du parti, Martine Aubry, a imposé sa ligne comme elle l’avait déjà fait pour Cécile Duflot vis-à-vis de la mairie de Paris : Bayrou n’a pas soutenu le programme, il n’est donc pas des nôtres, c’est aussi simple que cela. Ensuite, une fois les résultats connus, le PS n’a guère donné dans la générosité et préféré le constat des voix : notre candidate qui l’a largement emporté à Pau ne peut être désavouée, Bayrou a voulu faire cavalier seul, il a perdu toute idée de former un parti et, de toute façon, il n’a rien demandé, il a parlé pour lui.
Tous ces arguments méritent d’être pesés mais il y a de la gêne aux entournures. Au moins sur deux points : la sacralisation de la démocratie de parti et la mise entre parenthèses du climat de crise (voir l’éditorial). Comment peut-on se cacher derrière la démocratie de parti (celle des militants et de l’adhésion idéologique) alors que le PS n’a plus guère de militants de la grande époque mais des membres actifs qui sont des cadres de l’administration et de potentiels élus ? Et de manière plus délicate, que les militants et barons locaux ne supportent plus très bien la chape de Paris, comme on l’a vu à La Rochelle et à Lyon ? Ceux qui se penchent sur les mutations de la démocratie politique à la française (démocratie parlementaire, démocratie de parti et démocratie délibérative) soulignent les déphasages de la démocratie de parti par rapport aux nouveaux modes de délibération recherchés par les citoyens. Par ailleurs, si le taux d’abstention aux deux tours des législatives ne permet pas de comprendre ce qui pèse sur la démocratie de partis réduits à des « organisations », qu’est-ce qui pourra bien éclairer encore nos politiques ? Il ne suffit pas de dire que François Bayrou est un looser politique en raison de l’implosion de son parti, c’est une personnalité de dimension nationale qui, faut-il y insister, est l’un de ceux qui a su apprécier le mieux la teneur de la crise tout en tombant dans le piège « présidentialiste » de l’anti-sarkozysme. Ce fut son erreur, dont témoigne Abus de pouvoir2 qui date de 2009 : se prendre pour le principal adversaire présidentiel de Sarkozy. Sur la crise, les dettes et le reste, il est pourtant l’un de ceux qui auront parlé le plus clairement.
S’il y a une erreur de François Bayrou, il y a aussi une erreur du PS mais aussi de François Hollande. L’analyse de l’élection présidentielle publiée avant le premier tour des législatives par Jérôme Jaffré3, une plume trop rare, permet peut-être de le comprendre. Après avoir souligné les trois caractéristiques de l’élection présidentielle (un score marqué par la crise puisque trois Français sur quatre pensent que la situation n’ira pas en s’améliorant, un vote de rejet de Sarkozy et non pas un vote d’adhésion aux idées de la gauche, une France qui élit un président de gauche alors qu’elle se raidit et que les idées s’ancrent à droite et même très à droite), il insiste sur les trois moteurs de la victoire de François Hollande : l’appui sur le « vote de portefeuille » qui « a clairement opposé la France modeste et moyenne ralliée au candidat socialiste à la France aisée qui a voté Sarkozy », le soutien actif de la France politisée (celle qui s’intéresse à la politique à travers les médias), le travail d’unification de son électorat du second tour destiné à ne pas réveiller les conflits sur l’Europe. Reconnaissant que ces trois moteurs ont permis « le rassemblement du puzzle de la gauche française », Jérôme Jaffé s’arrête sur un dernier point : le soutien de François Bayrou à François Hollande alors que 32 % des électeurs du premier ont voté pour le second. C’est là que le politiste oublie les chiffres et les sondages et affirme ne pas comprendre ce qu’il appelle « un ratage incompréhensible » en prenant un peu de recul historique :
Ne pas voir mise en valeur l’annonce par le représentant du centre de sa décision de voter à gauche est un événement historique à l’échelle du demi-siècle d’existence de la Ve République. Se contenter, comme l’a fait Hollande, de parler de choix personnel, sans signification politique, revenait à étouffer la portée d’un geste politique majeur.
Alors que la bulle médiatique Mélenchon s’est dégonflée, que le PC n’est pas prêt de renaître de ses cendres en dépit de vieux restes militants, l’ouverture de Bayrou, si solitaire soit-elle, a un sens politique dans le contexte de crise où le jeu institutionnel bipartisan montre ses limites. Il suffit d’entendre Jean-François Copé clamer que l’Ump et le PS sont les deux partis uniques avec leurs deux extrêmes, ce qui revient à identifier Mélenchon et Marine Le Pen ! Après le premier tour des législatives, les responsables du PS s’inquiétaient déjà d’aider les Verts et les communistes afin qu’ils n’explosent pas en vol et puissent constituer des groupes à l’Assemblée nationale. Mais de Bayrou et du Béarn, pas un mot ! Reste qu’il a fallu entre les deux tours se préoccuper du soldat Royal au nom d’une démocratie de parti qui n’était pas son fort… Reste surtout que si la crise, qui n’est sûrement pas que l’affaire des autres (de la Grèce à l’Espagne), devait nous atteindre, quelqu’un comme Bayrou, qui a rêvé tout haut d’un gouvernement d’union nationale, aurait peut-être son mot à dire. Reste que François Hollande va, nous dit-on de tous les côtés, devoir parler « en vérité », « à la Bayrou ».
- 1.
Daniel Cohn-Bendit, « Le PS est en faute sur le cas Bayrou », Le Monde, 12 juin 2012.
- 2.
François Bayrou, Abus de pouvoir, Paris, Plon, 2009.
- 3.
Jérôme Jaffré, « Ce que signifie le vote du 6 mai », Le Monde, 5 juin 2012.