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Positions – Quand la France des affaires prend l'air

octobre 2014

#Divers

Si cette position vise la campagne publicitaire d’Air France-Klm qui était destinée à vanter ses nouvelles classes affaires début septembre, elle pouvait difficilement anticiper le durcissement de la grève des pilotes de la compagnie commencée à la mi-septembre, qui a pris tout le monde au dépourvu, le directeur Alexandre de Juniac lui-même. Reste que le sujet est le même, puisque le développement des classes affaires va de pair, c’est ce que nous soulignons ici, avec celui des classes low cost, dans les compagnies low cost bien sûr, mais aussi dans les grandes compagnies historiques (Lufthansa avec Germanwings, British Airways avec Vueling, Air France avec Transavia… : en 2013, les low cost possédaient déjà 45 % des parts de marché du transport aérien en Europe, en France 25 %).

À Air France, les pilotes, que la disparition des classes économiques classiques ne semble guère émouvoir, s’inquiètent en effet de la place prise très rapidement par la filiale Transavia pour une double raison : la création d’une filiale Transavia Europe (société de droit portugais qui aura des entités partout en Europe, à côté de Transavia France et Transavia Hollande), « un outil de croissance » qui passe nécessairement par des délocalisations aéroportuaires et contribue à une externalisation « européenne » des activités permettant des économies. Et surtout à la mise en cause d’un statut unique des pilotes d’Air France, puisque voler sur Transavia ne peut pas se faire dans les mêmes conditions financières et avec les mêmes droits que sur un avion de ligne long ou moyen courrier d’Air France. Et pour cause : le succès des low cost est leur « économie » liée à la vitesse de rotation des avions (30 minutes dans un aéroport) et à des salaires plus faibles. Mais la direction ne peut céder devant la plus longue grève depuis 1998 – 60?% des pilotes suivent à la mi-septembre 2014 le Syndicat national des pilotes de ligne (Snpl), qui est majoritaire. Car alors même qu’un vol low cost Transavia Air France est 20?% moins cher qu’un vol Air France, les vols low cost d’Air France sont encore 40?% plus chers que ceux d’Easy Jet et surtout de Ryan Air (considérée comme la compagnie cost killer, Ryan Air est allée jusqu’à faire dormir ses navigants dans un camping à Marseille).

Si les pilotes défendent leurs intérêts corporatistes, il s’agit pourtant de bien comprendre que le développement du low cost dans une compagnie comme Air France change nécessairement sa nature, au risque d’en casser l’image et d’en briser l’unité. Ce qui est dramatique dans le cas d’une compagnie nationale comme Air France, dont l’histoire a été liée à la nature de ses liens avec ses pilotes. Le conflit a un coût trop lourd selon les politiques, la direction et tous ceux qui rappellent les salaires des pilotes ; il n’en reste pas moins que ce changement de nature « historique » de la compagnie, indissociable de tendances mondialisées, pourrait être un peu expliqué et éclairé par la direction ou par les pilotes. Mais aussi par les politiques !

Alors même que des compagnies low cost comme Ryanair ont décidé de se lancer dans les offres premium, business et autres, la compagnie Air France-Klm (la fameuse SkyTeam franco-hollandaise qui dispose de deux gros hubs européens à Roissy et Amsterdam) mise depuis septembre sur une campagne de publicité destinée à vanter sa nouvelle classe affaires. Ce qui revient à exhiber le résultat de décisions prises depuis plus d’un an : voilà une campagne qui vaut son pesant d’or (c’est le cas de le dire) mais aussi de ridicule… Qu’on en juge ! Selon les compagnies, il peut y avoir jusqu’à cinq niveaux de classe affaires, mais la campagne d’Air France, dont le titre est « La France est dans l’air », mise pour l’instant sur deux publics, un public qui emprunte habituellement les vols des principales compagnies du Golfe et un public d’affaires français.

Pour séduire le premier, la compagnie a déployé une grande bâche sur une façade du Louvre, rue de Rivoli, au niveau du pavillon Mansart, proche des Tuileries, là même où on avait eu précédemment des publicités bâchées pour Coca-Cola et Adidas (avant l’échec de l’équipe de France à la Coupe du monde de football). Mais revenons à la bâche d’Air France : on y voit une femme très kitsch aux allures de geisha orientale étendue sur un divan style madame Récamier (il est vrai qu’on est au Louvre, où rôdent bien des fantômes napoléoniens !), ce qui rappelle que la première classe vous propose d’être installé dans « un palace avec deux ailes ». Il y a longtemps que les compagnies aériennes de Singapour ou du Qatar en rajoutent dans le luxe, mais on peut imaginer que nos publicitaires d’Air France, qui sont désormais des gens « globalisés », n’ont pas placé leur bâche à cet endroit par hasard : elle est visible par ceux-là mêmes qui passent leur « villégiature » dans l’un des palaces des rues de Rivoli ou Saint-Honoré. Le palace aérien s’adresse donc aux usagers des palaces urbains, souvent achetés par ceux, émiratis ou saoudiens, qui sont justement visés par cette publicité.

« La France prend l’air », c’est le moins que l’on puisse dire, mais il n’est pas sûr que les Français soient nombreux à fréquenter les palaces par les temps qui courent et encore moins les avions transformés en résidences de luxe. Il y a quand même une classe affaires pour les femmes et les hommes d’affaires français ; en témoigne une autre publicité, non bâchée et plus adaptée, comme celle qui fut publiée dans Le Monde daté du mardi 9 septembre 2014. La femme photographiée, au visage pommadé, semble tout droit sortie du film de Sofia Coppola sur Marie-Antoinette et se prélasse sur une chaise à porteurs qui peut se déplier comme un lit dans un décor digne de Versailles. Voilà le nouveau siège de la classe affaires1, dont la légende est claire : « Découvrez le confort d’un lit spacieux parfaitement horizontal et d’un service d’exception. » Mais le plus démagogique, pour ne pas dire le plus bête, est que la belle Versaillaise fardée dans sa chaise à porteurs ressemble à une Marianne et a accroché une cocarde républicaine en haut de sa robe. On frise la perversion : républicaine en mal d’aristocratie, notre Marianne déguisée en Marie-Antoinette doit se contenter de voyager en classe affaires deuxième catégorie.

« La France prend l’air », c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que l’économie gèle et prend un coup de froid interminable, on aurait imaginé que la compagnie nationale ne se tourne pas que vers les riches et les très riches et admette d’autres publics ! Feu la classe économique et les couches moyennes qui la pratiquaient ! Faut-il croire qu’il n’y a d’autre choix que le low cost et que le Français moyen n’aura bientôt plus de siège « moyen » dans les avions de la compagnie ? On ne sait pas s’il faut dénoncer le ridicule d’une campagne publicitaire qui oublie que le Louvre est encore à Paris et non pas définitivement installé à Abou Dhabi et que les privilèges de nos hommes d’affaires n’en font pas (encore ?) de nouveaux aristocrates versaillais. Mais on en est là : les compagnies low cost veulent faire de la classe affaires et Air France du low cost et de la classe affaires. C’est la règle d’or de la mondialisation économique, paraît-il…

  • 1.

    Cela faisait partie de l’un des principaux investissements d’Air France annoncés l’an dernier : la transformation d’un siège de classe affaires ancienne formule était évaluée à 10?000 euros !