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Positions – Une conférence de presse sans journalistes ?

décembre 2012

#Divers

Très attendue par l’opinion et par les médias, la conférence de presse du président François Hollande le 13 novembre 2012 n’a guère surpris sur le fond, puisque les thèmes et séquences avaient été annoncés et anticipés dans de nombreux entretiens off ou par des déclarations de Jean-Marc Ayrault. On connaissait le recadrage présidentiel destiné à montrer la cohérence de l’action engagée depuis le 15 mai : si les étapes mises en avant (la stabilisation de l’Europe monétaire et le sauvetage monétaire de la Grèce, le rééquilibrage indispensable des comptes publics, le pacte de compétitivité) étaient connues, c’était également le cas des principes orchestrés (la justice, la solidarité, la nation…). Certes, le président a insisté sur la continuité de l’action conduite : s’il a majoré des chiffres et durci des mesures à l’occasion de cette conférence de presse (on passe de 50 milliards à 60 milliards d’économie pour les dépenses publiques), il n’y aurait pas de discordance entre ses promesses de campagne et les mesures prises ensuite, il ne reste donc qu’à attendre une reprise afin de sortir de la crise.

Qu’il y ait tournant ou non est finalement secondaire, la question étant plutôt de savoir si nous pouvons renouer avec un mode de croissance et un type de développement qui n’est apparemment plus de mise. Mais le président, très à l’aise, très élyséen, mettant le je en avant, cassant l’image de celui qui n’affronte pas les obstacles mais les contourne, donnant de temps à autre des réponses à ses propres questions (« avant que vous me les posiez », comme il l’a dit à plusieurs reprises), a si bien cadré sa conférence et sa prestation que les journalistes, adeptes du Hollande bashing quelques semaines auparavant, soucieux de prendre le micro et de se montrer, ont posé des questions relevant de la seule dynamique politicienne sans être capables de déborder le président, de le gêner, de le perturber et de l’obliger à sortir des sentiers qu’il avait décidé d’emprunter. C’est le revers de ce genre de cérémonie que Nicolas Sarkozy était, pour sa part, incapable de maîtriser. Les vingt-neuf questions étaient prévisibles (la dernière sur les erreurs du président était même ridicule), Hollande prenait un malin plaisir à passer la parole comme un animateur à des journalistes qu’il caressait dans le sens du poil (il en a même privilégié à l’occasion, non sans ironie, comme la journaliste du Figaro Magazine Christine Clerc). Si l’on excepte les interrogations attendues sur la politique étrangère (Syrie, Palestine, Mali…), les questions sont restées dans l’orbite politicienne. C’est la limite de ces conférences de presse où le journalisme politique à la française, qui ne connaît que les présidentielles et les partis politiques, devient aphasique.

Pourtant, que la reprise économique intervienne ou non, Hollande et son gouvernement ont pris un tournant effectif et délicat à gérer. Intervenant six mois après les élections, dramatisé mais très différent de celui de 1983 où la gauche a misé, deux ans après la victoire de 1981, sur la démocratie d’opinion plus que sur un compromis social, ce tournant social-démocrate repose sur la possibilité d’un compromis capital/travail et d’une refonte du dialogue social. Des conditions de ce compromis, on n’a guère parlé dans le salon élyséen, alors qu’un échec des négociations serait catastrophique : quid des syndicats, de la Cgt, du patronat, des conditions d’un dialogue réussi ? De même, le président n’a-t-il pas éclairé, dans le sillage de Dominique Strauss-Kahn qui en fut le théoricien, les ressorts de ce qu’il nomme un « socialisme de la production » (« Je connais bien l’histoire du socialisme qui a privilégié la demande sur l’offre, a-t-il dit d’un air amusé, mais il faut aujourd’hui équilibrer, ne pas tout miser sur la demande et jouer sur l’offre ») ? Mais la salle avait la gorge nouée : aucune question sur les choix d’un protectionnisme industriel à la Louis Gallois qui rappelle à Jacques Julliard le gaullisme de gauche, pas plus d’interrogation sur une critique du consumérisme qui oublie que les nouvelles technologies sont d’abord un facteur d’exacerbation de la demande individuelle.

Si les changements en cours et les décisions qui les accompagnent ne sont pas conjoncturels, s’ils sont d’ordre structurel et systémique et ont des liens avec une mondialisation qui met d’abord en concurrence les pays développés entre eux, on ne s’en est guère inquiété. Invoquer la sortie de crise et affirmer que le déclin n’est pas notre destin ne doit pas empêcher de saisir ce qui se passe. Le président, on l’a laissé entendre en off, ferait-il si peu confiance à des Français pas vraiment capables de comprendre les évolutions profondes, qu’il n’ose pas leur parler des facteurs structurels de cette crise ? Si on ne lui demande pas de dessiner une grande vision gaullienne mais de fournir des éclairages sur le moment historique, le silence sur les transformations technologiques (un socialiste est censé observer les technologies et leur évolution) qui affectent les régimes de production et de consommation est aussi un silence historique. Un silence qui a conduit le président à osciller entre un éloge de la patrie (nous tous réunis) et une prise en considération lointaine du monde (nous devons nous adapter, a-t-il dit, à des changements qui s’opèrent ailleurs). Un silence qui n’est pas sans alimenter aussi l’idée que la réforme des collectivités territoriales permettra de pallier le retrait de l’État (en dehors de ses fonctions régaliennes) et son affaiblissement économique. L’acte III de la décentralisation sera l’une des prochaines étapes des réformes pour le président, celle de la réforme de l’État et des collectivités territoriales prévue au début de l’année 2013 sous l’égide de Marylise Lebranchu. Mais, de même qu’il a affirmé qu’il ne toucherait pas au statut des fonctionnaires et qu’il ne favoriserait pas le vote des immigrés, il ne s’est pas trop aventuré dans les arcanes de la représentation politique locale1.

Personne ne le lui demandait, le journalisme politique était discret voire absent ce jour-là, comme abattu, il n’avait pas d’autre souci que de savoir si François Hollande survivrait au Hollande bashing. C’est apparemment le cas, mais on aimerait que la presse fasse aussi son métier et que le jeu des questions et réponses soit mieux pris en considération dans l’enceinte élyséenne. Le capharnaüm de questions inexistantes a permis à Hollande de recycler les mots et les thèmes de son intervention, ce fut une réussite de ce point de vue. Il nous manque cependant de la part du président un semblant de compréhension historique de la crise, en faisant écho par exemple au dernier livre de Laurent Davezies dont le titre est bien inquiétant, la Crise qui vient2. Encore faut-il reconnaître à Hollande et Ayrault le courage de prendre à revers bien des réflexes et dogmes de gauche. Mais pourquoi le faire ? La politique n’est pas seulement une capacité d’adaptation à la réalité, c’est aussi une affaire morale et intellectuelle. Si le tournant de 1983 n’a pas trouvé ses mots et son langage, s’il s’est rabattu sur la démocratie d’opinion, le tournant de 2012, qui mise sur un compromis social indissociable du pacte de compétitivité, n’est peut-être pas dans une situation analogue.

  • 1.

    L’argumentation est fragile sur ce point qui suscite foule de résistances : au scénario d’une fusion de la région et des départements, la ministre Marylise Lebranchu répond que la disparition des départements serait une erreur puisque cela reviendrait à transférer leurs dettes ailleurs. La solution reposerait dans une reconfiguration des compétences en fonction des territoires et des régions (France Inter, le 15 novembre 2012).

  • 2.

    Laurent Davezies, la Crise qui vient, Paris, Le Seuil, 2012.

Olivier Mongin

Directeur de la revue Esprit de 1989 à 2012. Marqué par des penseurs comme Michel de Certeau, qui le pousse à se confronter au structuralisme et l'initie aux problématiques de la ville et aux pratiques urbaines, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, les animateurs du mouvement Socialisme ou Barbarie, qui lui donnent les outils à la fois politiques et philosophiques de la lutte anti-totalitaire,…

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