Taken, ou l'ensauvagement de Paris
Taken : voilà un film policier particulièrement violent (qui a connu un succès d’audience en France), un film dont on ne parlerait pas si les bavardages utiles autour du Grand Paris ne faisaient resurgir la question de l’image de la ville Capitale. Comment voit-on Paris aujourd’hui ? Si le film a été réalisé par un Français, Pierre Morel, et si le metteur en scène du Grand Bleu, Luc Besson, a mis la main au scénario, Taken parle d’Américains à Paris et se destine à un public international.
Le scénario est parfaitement ficelé : ancien des services secrets américains qui a longtemps été en poste au Proche-Orient (Beyrouth, Irak, etc.), Bryan a pris sa retraite. Il compte consacrer du temps à sa fille dont il ne s’est pas trop occupé jusqu’alors. Pas plus que de sa femme, apparemment, puisque celle-ci est partie avec un homme plus riche que lui. Il faut donc qu’il se rattrape et prenne sa revanche. Après une première séquence qui montre la cérémonie d’anniversaire de sa fille où il se ridiculise car son cadeau n’est pas à la hauteur, il autorise celle-ci, non sans hésitation car elle est mineure, à partir à Paris avec une amie. Très méfiant car Paris n’est pas une ville sûre selon ce connaisseur, il exige qu’elle l’appelle régulièrement sur son portable. Cela lui permet d’entendre en direct (grâce à cela il saura quelle langue parlent les ravisseurs) le kidnapping des deux jeunes filles. Trompées dès leur sortie de Roissy par un beau gosse, elles tombent aux mains d’un réseau de prostitution tenu en plein Paris par des Albanais. Grâce au jet du nouveau mari de sa femme, voilà Bryan à Paris en quelques secondes. Il va renouer contact avec un ancien des services secrets français qui est monté en grade et travaille désormais dans les bureaux. Mais comprenant vite qu’il ne peut pas s’appuyer sur celui-ci qui est de mèche avec les Albanais, Bryan décide de faire le travail tout seul. Après avoir échappé à une longue chasse à l’homme dans les rues de Paris, menée par la police française… il remonte la piste des preneurs d’otages (ceux-ci droguent les filles avant de les faire travailler) et, en vengeur efficace, il les achève les uns après les autres dans des endroits rêvés et uniques – on est à Paris quand même – comme la rue du Paradis (il fallait y penser !).
On comprend vite qu’il peut d’autant mieux agir que son ami haut placé des services secrets français couvre les réseaux de prostitution. Sa liberté totale lui permet de pratiquer des violences qu’il n’aurait pas osé perpétrer en tant qu’agent américain en Irak car là-bas, nous dit-il, il y a des règles à respecter. À Paris, Bryan ne peut compter sur personne, surtout pas sur les Français, il peut donc se donner tous les droits. Paris, lieu idéal pour exercer une violence surhumaine qui lui permettra de libérer sa fille, après avoir défait le réseau de prostitution à la tête duquel se trouve un Parisien, genre aristo décadent. Ce dernier, caché dans les caves d’un hôtel particulier, vend les filles aux enchères à des cheikhs arabes dont l’un attend le butin corporel sur un bateau qui navigue tranquillement sur la Seine.
La caricature marche à plein tube : les méchants arabes, les Albanais véreux et sanguinaires, les Français complices ou acteurs directement impliqués dans un commerce sordide ! Voilà un Paris sauvage et monstrueux transformé en Beyrouth de la grande époque… Car à Paris les Albanais ont compris qu’il valait mieux lever directement de belles et jolies Américaines à la sortie de Roissy plutôt que de faire venir clandestinement des filles d’Europe de l’Est ou du Caucase, en passant ou non par l’Albanie. C’est plus économique et l’on perd moins de temps.
Le plus surprenant est que cette image folle et écœurante de Paris est donnée par un metteur en scène français et que Luc Besson est l’un des scénaristes. Mais Bertrand Delanoë peut se rassurer car Besson a décidé d’investir dans la construction d’un studio géant en région parisienne. Sans doute Paris-Centre, où tout se passe, est-il un espace plus dangereux que sa première et sa deuxième couronne, plus sauvage que les banlieues toujours en feu dans les films. Ce serait embêtant pour le maire ! Paris, la ville la plus assassine du monde, où la violence peut se déchaîner comme nulle part ailleurs et où la trahison est un sport national. On est loin de Paris Plage et des Vélib. On est loin de Paris capitale de l’art ou de Paris capitale du xixe siècle, version Walter Benjamin, on est loin de Ronis et de Cartier Bresson… C’est Paris sauvage. Mais tout se finit bien pour Bryan – au demeurant le comédien irlandais Liam Neeson qui n’a pas joué que des navets – puisque sa femme, celle qui est partie avec le milliardaire, va lui sourire à nouveau. Et il va enfin pouvoir s’occuper de l’éducation de sa fille… Un thème cher à Luc Besson : dans le fort célèbre Léon, il montrait un nettoyeur (Jean Reno) qui remplaçait les parents d’une jeune fille, décimés par la mafia ! Grand Paris ou pas, il va falloir changer l’image de la capitale. D’ailleurs, si l’on en juge par le cinéma américain et une production récente (The Brave One [À vif], un film de Neil Jordan, metteur en scène d’origine irlandaise, avec Jodie Foster), on peut montrer la vengeance (car il s’agit là encore de vengeance froide et non pas de justice) à Manhattan sans caricaturer l’image de la ville ni ridiculiser le décor urbain.