
Une autre contre-histoire
Ce qui résiste à l’analyse ethnographique des migrants, ce sont les politiques qui instituent l’illégalité des immigrés. Il y a pourtant dans les récits des demandeurs d’asile un appel à l’aide qui nous est adressé et qui forme une contre-histoire du présent.
Au cours des deux dernières décennies, la scène migratoire a radicalement changé : dans ses trajectoires, dans ses stratégies, dans ses motivations. Mais ce qui a aussi changé, ce sont nos perceptions, ainsi que les catégories juridiques utilisées pour répartir, classer et différencier[1] les immigrants à partir d’une prétendue identité administrative (migrants climatiques, politiques, économiques).
Considérés tantôt comme victimes et tantôt comme terroristes, en suspens entre l’image du persécuté et celle du menteur, l’immigrant et le demandeur d’asile semblent aujourd’hui incarner, sous des formes encore plus dramatiques, ces figures du soupçon autrefois décrites par Frantz Fanon ou Jalil Bennani. La notion même d’immigration n’échappe pas aux contraintes des catégories définies a priori par l’État-nation[2], faisant apparaître de singulières opacités juridiques et épistémologiques[3], mais aussi donnant naissance à des formes de contestation et de conflit inattendues. La question posée il y a près de trente ans par Abdemalek Sayad résonne aujourd’hui encore avec force : « Pourquoi n’y a-t-il d’identité en question que l’identité dominée ou l’identité des dominés ? Parler de l’identité des dominés sans savoir et en refusant de savoir que c’est parce qu’elle est dominée qu’on en parle, c’est épistémologiquement se vouer à en parler de manière erronée [4]. »
Toutefois, penser la crise des frontières ou les contradictions dans lesquelles s’empêtrent aussi bien le droit d’asile que les politiques humanitaires, mettre en place une ethnographie historique de ces contradictions, n’est pas chose aisée. Sayad avait magnifiquement analysé les différences entre la condition migratoire d’un « national » (c’était le cas dans le contexte de la colonisation) et celle du « non national dominé qui entre dans le territoire et les prérogatives du “national” », en soulignant que seule la migration de ce dernier renversait les lois et les équilibres de l’État-nation (question cruciale reprise quelques années plus tard par Liisa Malkki au sujet des réfugiés[5]).
Mais un autre obstacle, plus spécifiquement méthodologique, entre aussi en jeu. Il affecte moins le flou des classements juridico-administratifs que la difficulté d’interroger les tenants et aboutissants des dispositifs qui contribuent au caractère chaotique des phénomènes migratoires, ou au fait qu’on les représente comme une urgence, la difficulté d’interroger justement l’objet dont l’ethnographie de la migration devrait parler, mais à l’égard duquel elle se heurte à une sorte d’imperméabilité, pour une raison que Sayad avait fort bien indiquée : « Là, j’aurais tendance à distinguer deux sortes d’objets. Il y a l’objet puissant et l’objet résistant […] L’objet puissant, c’est celui qui impose aux chercheurs de ne pas faire d’ethnologie. […] La démarche ethnologique s’applique plutôt à l’objet perçu comme peu puissant [6]. »
Si les demandeurs d’asile représentent aujourd’hui un chapitre décisif de l’ethnographie, son objet « peu puissant », si leurs expériences retiennent depuis des années l’attention de tant de disciplines, qu’est-ce qui reste hors du champ d’observation du chercheur ? Qu’est-ce qui se dérobe au regard ethnographique ?
Les paradoxes de l’asile
Les zones d’opacité épistémologique auxquelles je pense n’intéressent pas seulement les modes de fonctionnement de nos institutions, souvent responsables de formes de violence et d’indifférence qui accroissent la souffrance des immigrés et des demandeurs d’asile[7]. Ce qui reste souvent invisible au regard ethnographique, ce sont en fait les décisions politiques qui mettent en œuvre activement, légalement, l’illégalité des immigrés et qui occultent les mécanismes à l’origine de leur exclusion ou, inversement, de leur inclusion « obscène » dans le marché du travail[8].
On dispose avec l’affaire Windrush d’un exemple tout à fait éloquent de ces processus. Il aura fallu un scandale politique pour les révéler, celui qui a mené récemment à la démission d’Amber Rudd, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Theresa May, pour avoir menti de manière éhontée au sujet d’un document émanant de Mme May elle-même. Celle-ci, alors membre du gouvernement Cameron, faisait la promotion d’une série d’initiatives visant à créer un « milieu hostile » pour les immigrés (le document parle de « dissuasion migratoire »). De quels immigrés s’agissait-il ? De ceux en provenance des Caraïbes, qui avaient été appelés par la Grande-Bretagne en 1948, avec la promesse de pouvoir y demeurer au même titre que n’importe quel citoyen britannique. Il était alors urgent de reconstruire un pays en ruine à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et ils arrivèrent nombreux sur le navire Empire Windrush. Dès lors que cette main-d’œuvre n’était plus nécessaire, le gouvernement anglais avait pris la décision d’expulser environ 8 000 étrangers jamais totalement régularisés, malgré toutes ces années passées au Royaume-Uni et malgré le travail accompli.
C’est à peu près ce qui s’est produit aux États-Unis avec le programme Bracero : dans les années 1930, suite à la Grande Dépression, les citoyens mexicains avaient été exclus du marché du travail et de toute forme d’aide économique. Ainsi, environ 500 000 immigrés mexicains, y compris leurs enfants nés aux États-Unis, furent expulsés ou « rapatriés volontairement ». Mais, entre 1942 et 1964, en conséquence de la Seconde Guerre mondiale, un accord entre le gouvernement mexicain et celui des États-Unis (ledit programme Bracero) permet l’entrée d’environ quatre millions d’immigrés, devenus indispensables pour compenser le manque de main-d’œuvre dans l’agriculture.
Ces bras et ces corps deviendront de nouveau superflus dans les années 1960, au point de provoquer une nouvelle inversion de tendance, avec l’Immigration Act de 1965 : une restriction brutale des entrées, inévitablement accompagnée d’un accroissement de l’immigration illégale[9]. C’est cet ensemble de procédures qui fabrique l’illégalité des immigrés (avec son bagage de souffrances, de ressentiment, de vulnérabilité et parfois de « criminalité »), avec en toile de fond les grands discours humanitaires destinés à camoufler la logique proprement coloniale des politiques migratoires. Ce sont là les mécanismes que Jonathan Inda qualifie d’« anti-technologies de la citoyenneté [10] ».
Pour une anthologie des absences
Il y a quelques années de cela, les exigences de soin des immigrés et les stratégies théoriques de l’ethnopsychiatrie avaient soulevé un débat particulièrement virulent, en France et ailleurs, non sans quelques malentendus et propos venimeux[11]. Mais les critiques de l’ethnopsychiatrie et de ses risques supposés n’ont fait qu’effleurer les véritables questions politiques et épistémologiques posées par la cure des étrangers, en laissant complètement à l’arrière-plan toute interrogation authentique sur les différentes manières d’écrire et de dire la souffrance psychique, sur « ce qu’il reste de la folie [12] ». La « culture » de l’Autre, revenue sur le devant de la scène pour interpeller les identités, les savoirs et les institutions, l’avait ensuite quitté en catimini, presque oubliée. Les années suivantes verraient s’imposer l’indigence de nos dispositifs d’accueil, les différends entre pays européens sur les quotas d’immigrés que chaque gouvernement était disposé à accueillir et les récits fragmentaires des demandeurs d’asile, victimes de tortures, d’abus, d’humiliations et de violences inénarrables[13].
Leurs corps et leurs récits, encore une fois objets de soupçons, retiendront à nouveau l’attention, sous une forme inattendue, au cours des procédures de reconnaissance de la protection internationale, lorsqu’on aura recours au savoir médico-psychiatrique ou, selon les cas, anthropologique. Celui-ci deviendra monnaie courante, afin d’établir la vérité d’expériences parfois « bizarres », la crédibilité et la plausibilité de récits qui semblaient de nouveau lorgner vers l’univers des croyances et des traditions, la menace sorcellaire ou la violence des sociétés secrètes[14].
Prélevons un fragment de l’activité ethnographique que je mène depuis près de trente ans sur ces histoires : le récit d’un demandeur d’asile sénégalais, rescapé de l’enfer libyen où il avait passé plusieurs mois en prison avant de s’embarquer pour Lampedusa avec d’autres compatriotes. Pendant la traversée, l’embarcation s’était renversée et beaucoup de ses compagnons avaient perdu la vie.
Au cours d’une de nos rencontres, S. m’avait raconté cet épisode et parlé de son incapacité à reconstruire son quotidien à cause des images du naufrage, mais surtout des voix désespérées de ses compagnons qui le tourmentaient, particulièrement la nuit. Il avait longtemps hésité à m’en parler par crainte d’en être anéanti lorsqu’il se retrouverait seul.
Et puis, un jour, il m’a apporté un bout de papier avec quelques phrases griffonnées en italien et en lettres majuscules. Il l’avait fait spontanément, écrivant dans une langue qu’il maîtrisait mal. Le simple fait de choisir une langue mal connue mériterait en soi une réflexion sur les trajectoires singulières de ces souvenirs et de ces expériences : une sorte d’effort désespéré pour transposer ailleurs ces tourments, comme pour chercher un ancrage sur une autre terre (dans une autre langue). Voici la transcription de ce message en français : « J’ai toujours des problèmes ces jours-ci. La nuit, je n’arrive pas à dormir parce que je pense à mes amis quand j’étais dans la barque. Eux sont morts en mer et ils étaient mes meilleurs amis. Je n’arrive pas à oublier. Je pense toujours à eux et maintenant je vais mal parce que mon cerveau n’accepte plus rien. Je suis très inquiet, j’ai besoin d’aide, c’est ça mon problème. » S.n’arrivait pas à oublier les visages désespérés de ses compagnons qui se noyaient juste à côté de lui et qui hurlaient en implorant qu’on les aide. Leurs cris étaient comme inscrits dans sa mémoire. Il n’arrivait pas non plus à oublier son geste : se déshabiller, s’éloigner à la nage pour éviter que ses amis, en s’accrochant à ses vêtements, ne l’entraînent vers le fond. C’était un geste instinctif, de survie, mais, à présent, il en était accablé.
Voilà : il y a des femmes et des hommes, leurs corps noyés, qui s’accrochent à la mémoire des survivants, en suppliant encore qu’on les sauve. Ne pas les oublier était la seule façon qu’avait S. de les aider, d’empêcher qu’ils se noient à jamais. La vérité et la douleur de S. m’ont rappelé « la vérité et la douleur » de Simone Weil pour qui « l’une et l’autre sont des suppliants muets, éternellement condamnés à demeurer muets devants nous [15] ».
Il y a des femmes et des hommes, leurs corps noyés, qui s’accrochent à la mémoire des survivants, en suppliant encore qu’on les sauve.
Son cauchemar était-il une tentative pour sauver ces morts de l’oubli et du silence ? Et si ce symptôme, plus obscur et plus flou que n’importe quel trouble de stress post-traumatique, exprimait un appel à l’aide adressé à nous-mêmes, à notre mémoire, en nous demandant de ne pas oublier ces morts innombrables, ces corps disparus en Méditerranée ou au Sahara ?
Ces images ont leur importance aussi parce qu’elles restituent la composante funeste de cette aventure ambiguë, celle du risque et de la tragédie[16].
Une guerre des races ?
Les questions soulevées à la fin du paragraphe précédent semblent par ailleurs déplacées, dès lors qu’on considère les récents accords entre l’Europe et la Turquie sur le confinement des migrants, le pacte conclu entre le gouvernement italien et les autorités et milices libyennes (dont nous savons pertinemment qu’elles sont complices d’atroces sévices et tortures infligés aux migrants), ou encore l’absurdité d’une loi qui en est arrivée à concevoir et à sanctionner un « délit de solidarité », en autorisant les forces de l’ordre à des comportements répressifs injustifiés aussi bien à l’égard de citoyens engagés dans des actions humanitaires qu’à l’égard d’étrangers sans défense, parfois même mineurs.
Il suffit d’une seule image pour révéler les contradictions d’une époque, à la manière du punctum dont parlait Barthes dans la Chambre claire. L’image qui me vient à l’esprit est celle de la cadreuse Petra Laszlo, envoyée par la chaîne de télévision Nemzeti[17] à Roszke, le long de la frontière serbo-hongroise : on la voit faire un croche-pied à un père de famille syrien ayant fui Deir ez-Zor, tandis qu’il court le long de la frontière, les traits tirés et désespérés, portant son fils sur ses épaules.
Cette scène, au même titre que l’inertie de la communauté internationale en réponse aux massacres perpétrés par le gouvernement turc sur des civils kurdes, soulève d’autres questions : quels sentiments de vengeance, quelle réserve cachée de « ressentiment » (Fanon), ces complicités et ces silences, ces croche-pieds contre des personnes qui cherchent seulement à s’enfuir avec leurs enfants et à vivre, sont-ils en train d’alimenter ? Quelle distance existe-t-il aujourd’hui entre la rhétorique des droits de l’homme et les dispositifs de contrôle des frontières, ou encore les réactions viscérales qui ne cessent de se multiplier en Europe à l’égard des étrangers ?
L’histoire du camp de Calais, comme celle d’autres lieux devenus tristement célèbres (Patras, Vintimille, etc.) est un reflet éloquent de la dérive d’une Europe déconcertée et irrésolue, de son incapacité à répondre à l’appel à l’aide des demandeurs d’asile mais, surtout, du refoulement (au sens psychanalytique) de ses propres responsabilités dans l’instauration des foyers de violence et de misère qui alimentent les phénomènes migratoires et les conflits sociaux, que ce soit en Afrique ou au Moyen-Orient.
On a, à juste titre, qualifié Calais de « métonymie de la crise de l’Europe » – mais aussi de sa solidarité, ajoutent Michel Agier et ses collaborateurs[18] : une solidarité où l’on peut entrevoir plus qu’un engagement moral ou un instinct humanitaire et comme une nouvelle forme de résistance (à l’indifférence des lois et à leur hypocrisie, à la violence de l’indifférence). On le sait, le nombre d’immigrés sans permis de séjour a augmenté (et le rejet des demandes d’asile aurait dépassé le seuil de 85 %, inversant la tendance des années récentes), ce qui à son tour renforce les économies illégales, l’arbitraire le long des frontières et les complicités transnationales.
Si, dans les mémoires culturelles et dans les expériences étranges d’un grand nombre d’immigrés, on peut reconnaître une expression des « savoirs assujettis » évoqués par Michel Foucault[19], la confrontation avec les demandeurs d’asile, souvent marquée par le soupçon ou par le dénigrement de leurs narrations, laisse affleurer une question plus complexe que celle du seul registre culturel. Il faut pour cela admettre que leurs mémoires et leurs expériences, déposées sur les bureaux des commissions pour la reconnaissance de la protection internationale, sont une autre façon de remettre en question (de faire vaciller) les critères du vrai et du faux ou encore les rouages bureaucratiques d’un État-nation dont le fonctionnement reste encore profondément racialisé[20]. Surtout, on voit affleurer, dans les stratégies « illégales » ou l’exaspération de nombreux demandeurs d’asile devant l’hypocrisie de nos lois[21], une autre expression, bizarre peut-être, de cette « lutte des races », de cet « affrontement permanent des races sous les lois et à travers elles » et de cette « contre-histoire » évoquée par Foucault lorsqu’il analyse la crise de souveraineté de l’État-nation, mieux : d’une contre-histoire qui « va parler du côté de l’ombre, à partir de cette ombre » et d’un discours qui « ne parle de droit que pour déclarer la guerre aux lois [22] ». Il ne faut pas s’étonner alors que la mémoire de la colonie et de ses dispositifs de contrôle de la mobilité soit si souvent mobilisée par tant d’immigrés, ni que la « lutte des races » et la « lutte des classes » soient des concepts employés par les chercheurs comme prisme de leur analyse des nécro-politiques coloniales ou des formes contemporaines de la violence[23]. Dans cette perspective, la « solidarité » avec les migrants, celle qui va se réaliser malgré et contre les lois qui, de la France à l’Hongrie, l’ont transformée en crime, se place bien au-delà d’un horizon moral ou humanitaire. Elle annonce déjà, en un seul geste, un acte politique et, parfois, un acte de soin.
[1] - Abdelmalek Sayad, « Immigration et pensée d’État », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 129, 1999, p. 5.
[2] - « Le concept d’immigration est inséparable, dans l’ordre, de la notion de territorialisation, de sédentarisation, de souveraineté sur le territoire et d’une souveraineté politique sur une entité culturelle, ou inversement d’une entité culturelle légitimant une souveraineté politique – ce qui est l’État-nation. » (A. Sayad, « Les maux-à-mots de l’immigration. Entretien avec Jean Leca », Politix, vol. 3, n° 12, 1990, p. 11).
[3] - Roberto Beneduce, “The Moral Economy of Lying: Subjectcraft, Narrative Capital, and Uncertainty in the Politics of Asylum”, Medical Anthropology: Cross-Cultural Studies in Health and Healing, vol. 34, n° 6, p. 551-571.
[4] - A. Sayad, « Les maux-à-mots de l’immigration », art. cité, p. 11 (c’est moi qui souligne).
[5] - Liisa H. Malkki, “Speechless Emissaries : Refugees, Humanitarianism, and Dehistoricization”, Cultural Anthropology, vol. 11, n° 3, p. 377-404.
[6] - A. Sayad, « Les maux-à-mots de l’immigration », art. cité, p. 12.
[7] - Miriam I. Ticktin, Casualties of Care: Immigration and the Politics of Humanitarianism in France, Berkeley, University of California Press, 2011.
[8] - Voir Nicholas de Genova, “The legal production of Mexican/migrant ‘illegality’”, Latino Studies, 2004, n° 2, p. 160-185 et “Spectacles of migrant ‘illegality’: The scene of exclusion, the obscene of inclusion”, Ethnic and Racial Studies, 2013, vol. 36, n° 7, p. 1180-1198.
[9] - N. de Genova, “The legal production”, art. cité, p. 64. L’équivalent français de l’affaire -Windrush est celle du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom). Grâce à la loi de départementalisation du 19 mars 1946, 160 000 habitants de la Réunion, de la Guyane, de Martinique et de Guadeloupe ont pu entrer en France. Cette migration « choisie » répondait au manque de main-d’œuvre dans un pays exténué par la Seconde Guerre mondiale. Mais, sous le masque d’une opération économique et sociale, le gouvernement mettait en œuvre une véritable « régulation politique des sociétés d’origine », compte tenu de la contrainte à partir exercée contre les opposants politiques. Aimé Césaire dénonce ainsi une « mystification » et un « génocide par substitution » (voir Fred Constant, « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 », Revue européenne des migrations internationales, 1987, vol. 3, n° 3, p. 9-30). La violence de cette expérience fut évidente pour les arrivants, considérés comme des citoyens de deuxième classe (interrogés sur leur famille et soumis, à leur arrivée, à des examens médicaux et psychologiques pour mesurer leur compétence linguistique et leur capacité d’adaptation à la société française). Elle le fut plus encore pour les enfants, comme pour ces plusieurs centaines d’enfants de la Réunion qui, après avoir été séparés de leur famille et de leur milieu, furent transplantées dans la Creuse (voir Philippe Vitale, Wilfrid Bertile, Eve Prosper et Gilles Gauvin, Étude de la transplantation de mineurs de la Réunion en France hexagonale [1962-1984]. Rapport à Madame la ministre des Outre-mer, Paris, Commission temporaire d’information et de recherche historique, 2018).
[10] - Jonathan Xavier Inda, Targeting Immigrants. Government, Technology and Ethics, Malden & Oxford, Backwell Publishing, 2006, p. 70-73.
[11] - Voir R. Beneduce et Pompeo Martelli, “Politics of healing and politics of culture: ethno-psychiatry, identity, and migration”, Transcultural Psychiatry, 2005, vol. 42, n° 3, p. 367-393 ; Gesine Sturm, Maya Nadig et Marie Rose Moro, “Current developments in French ethnopsychoanalysis”, -Trans--cul-tural Psychiatry, 2011, vol. 48, n° 3, p. 205-227.
[12] - Je me réfère ici au magnifique film de Joris Lachaise, Ce qu’il reste de la folie (2015).
[13] - Didier Fassin et Estelle D’Halluin, “The truth from the body medical certificates as ultimate evidence for asylum seekers”, American Anthropologist, n° 107, p. 597-608.
[14] - Voir R. Beneduce, « Une nouvelle bataille de vérité. Discours sorcellaires, cicatrices corporelles et régimes de crédibilité dans le droit d’asile », Cahiers d’études africaines, n° 3, 2018, sous presse.
[15] - Simone Weil, Écrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, 1957, p. 32. Voir aussi Cathy Caruth, Unclaimed Experience: Trauma, Narrative, and History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996.
[16] - Je me contenterai de rappeler quelques-uns des travaux concernant l’émigration en provenance de l’Afrique subsaharienne : Sylvie Ayimpam, « Commerce transfrontalier et migration féminine entre les deux Congo », Revue Tiers Monde, vol. 1, n° 217, 2014, p. 79-96 ; Sylvie Bredeloup, « L’aventure contemporaine des diamantaires sénégalais », Politique africaine, 1994, n° 56, p. 77-93 ; Matthieu Louis, « Approche ethnologique des migrations clandestines subsahariennes. L’aventure, ou de -l’ontogenèse à la conquête de l’honneur », Cahiers d’études africaines, vol. 3, n° 211, 2013, p. 547-570 ; Mahamet Timera, « Aventuriers ou orphelins de la migration internationale ? Nouveaux et anciens migrants “subsahariens” au Maroc », Politique africaine, n° 115, 2009, p. 175-195.
[17] - Il s’agit d’une chaîne hongroise d’information liée au parti de droite Jobbik.
[18] - Michel Agier et alii, la Jungle de Calais. Les migrants, la frontière et le camp, Paris, Puf, 2018.
[19] - « Un savoir particulier, un savoir local, régional, un savoir différentiel, incapable d’unanimité » (Michel Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1976, Paris, Ehess--Gallimard-Seuil, 1997, p. 8-9).
[20] - D’après une recherche menée en 1999 dans l’État de New-York, les citoyens appartenant aux minorités latino-américaine et afro-américaine subissaient des contrôles policiers respectivement quatre et six fois plus fréquents que les Blancs américains (M. Inda, Targeting Immigrants, op. cit., p. 55).
[21] - Qu’on pense aux centres de rétention administrative incendiés pour protester contre les expulsions et les conditions d’une détention à plus d’un titre illégitime, aux tentatives de franchir les frontières clandestinement en se heurtant aux forces de police, etc.
[22] - M. Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., cours du 28 janvier 1976.
[23] -Voir Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013 et Slavoj Žižek, la Nouvelle Lutte des classes, Paris, Fayard, 2015.