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Dans le même numéro

Un monde sans colère ? Enquête

mars/avril 2016

#Divers

Enquête auprès de Olivier Abel, Dorian Astor, Hamit Bozarslan, Antoine Garapon, Camille Riquier, Jean Vioulac et Carole Widmaier

À quoi ressemblerait un monde sans colères ? Cette question, nous l’avons posée à plusieurs intellectuels dont certains sont liés de longue date à la revue. C’est le cas d’Olivier Abel, philosophe et théologien, qui consacre une partie de son travail à penser l’éthique de la démocratie. Face au risque d’une société apathique qui ne se scandaliserait de rien, il convoque la figure d’Achille et la réflexion homérique sur la colère qui peuvent encore nous instruire.

Olivier Abel – Impossible de se borner à vouloir toujours brider la colère. La civilité ne suffit pas à faire société. Une société qui refuserait toute expression de la passion, de l’excès, de la haine, serait peut-être une société lisse, sans frottement, mais ce serait finalement une société froide, d’individus solitaires. C’est peut-être ce qui nous arrive : la moindre colère devient folle car elle ne rencontre rien à quoi s’accrocher. On ne saurait avoir de solidarité, de fraternité, de piété, de compassion, d’amour, sans avoir les refus, les haines, etc., qui leur correspondent. Et puis une société sans passion serait une société où nul ne saurait simplement trouver sa voix, la capacité à être affecté par ce que l’on dit.

L’utilité des volcans

Certains avancent même, dans le sillage d’une éthique du courage, que l’Antiquité aurait proposé, de l’Iliade jusqu’à Aristote, un éloge de la colère – éloge inexistant et incompréhensible dans une éthique chrétienne de l’humilité et du pardon. Une telle vision est certainement bien binaire et simpliste. Certes l’Iliade en son chant i commence par le mot « colère » (mênis, qui veut dire une colère inhumaine) :

Muse, chante la colère d’Achille, le fils de Pélée, détestable colère, qui aux Achéens valut des souffrances sans nombre.

Et toute l’épopée raconte l’histoire d’une colère : « le poème commence par la colère d’Achille et se termine par la douceur d’Achille », observe Pierre Vidal-Naquet1. Ici encore on a une problématique de la maîtrise de soi, comme le dit Ulysse à Achille :

C’est à toi qu’il appartient de maîtriser ton cœur superbe en ta poitrine ; la douceur toujours est le bon parti.

Mais le poème est néanmoins dominé par le règne de la force, qui s’empare tantôt d’Ajax, ou d’Énée, de Diomède ou d’Hector, dans ces arsiteia, ces séries démonstratives d’exploits sous le coup de la fureur surhumaine :

Du fils de Tydée vous ne pourriez savoir dans lequel des deux camps est sa place, s’il a partie liée avec les Troyens ou les Achéens. Il va, furieux, par la plaine, semblable au fleuve débordé, grossi des pluies d’orage, dont les flots ont tôt fait de renverser toute levée de terre.

(chant v)

C’est seulement après la mort de Patrocle qu’Achille se reproche sa sécession et se réconcilie avec Agamemnon :

Achille – Atride, est-ce vraiment le bon parti que nous avons pris tous les deux, toi et moi, quand, dans notre déplaisir, nous nous sommes enflammés pour une querelle qui dévore les cœurs […] ?

Agamemnon – C’est Zeus, c’est le Destin, c’est Érynis qui marche dans la brume, qui, à l’assemblée, soudain m’ont mis dans l’âme une folle erreur, le jour où, de mon chef, j’ai dépouillé Achille de sa part d’honneur.

(chant xix)

Nous serions simplement revenus, après bien des morts, au point de départ : les rivaux se sont réconciliés. L’apaisement de la colère pourrait s’achever dans la vengeance à l’égard d’Hector, l’ennemi, le meurtrier de Patrocle. C’est là qu’une surprise nous attend. Car les fruits de la colère apaisée vont bien plus loin, plus profond dans le deuil, la compassion, la piété humaine, que cet accord des chefs de guerre. En effet, l’Iliade se termine par la rencontre des ennemis, le vieux Priam venu supplier Achille de lui rendre le corps de son fils :

« Le seul qui me restait, pour protéger la ville et ses habitants, c’était Hector, et tu me l’as tué hier. C’est pour lui que je viens, et pour racheter son corps je t’apporte une immense rançon. Va, respecte les dieux, Achille, et songeant à ton père, prends pitié de moi. J’ai droit à la pitié ; j’ai osé ce que jamais aucun mortel n’a osé ici-bas : j’ai porté à mes lèvres les mains de l’homme qui a tué mes enfants. » Tandis qu’il parle il fait naître chez Achille un désir de pleurer sur son père. Il prend la main du vieux. Tous deux se souviennent. L’un pleure Hector ; Achille pleure sur son père, sur Patrocle aussi par moments. Mais le moment vient où le divin Achille a satisfait son besoin de sanglots. Brusquement de son siège il se lève, il prend la main du vieillard, il le met debout, il s’apitoie sur ce front blanc, sur cette barbe blanche.

(chant xxiv)

Impossible de connaître cette douceur sans avoir connu la colère.

Comme dans l’exemple de la tragédie grecque, tout cela nous l’indique : c’est peut-être ici le sens du sacré, du culte, que de venir, avec la mise en scène et le théâtre de l’inhumain, border l’espace politique par un espace métapolitique qui lui donne sa limite constitutive. C’est bien ce que montrait Nicole Loraux dans la Voix endeuillée2, par la présence des veuves et des orphelines en bordure de la cité, venues rappeler les fondamentaux oubliés de la condition humaine.

On pourrait dire que les grands embrasements totalitaires, fascistes, communistes, et peut-être aujourd’hui islamistes, sont comme des irruptions sauvages, volcaniques, terribles, de ces forces affectives de rapprochement qui remettent à la masse les sociétés, leurs institutions, leurs mœurs, leurs savoirs – au mépris de ce patient travail de culture qui installe les bonnes et justes distances dont une société a aussi besoin. Aujourd’hui donc nous avons peur de l’amour, comme nous avons peur des religions. Nous avons raison, parce que ce ne sont pas seulement des « bons sentiments » – ce que Schopenhauer appelle compassion et qu’il met au fond de toute morale, ce que Ricœur appelle bonté et qu’il met au fond de toute religion (définie comme ce « qui réveille le fond de bonté ») ne sont pas des « bons sentiments ». Les forces du pardon sont contemporaines des forces de la vengeance, elles ont le même archaïsme, la même terrible immédiateté. Et pourtant, de tout temps les sociétés les plus intenses et les cultures les plus fécondes se sont installées au pied des volcans. Que se passerait-il si on supprimait ces « volcans » ? On ne sait pas. Il nous manquerait sans doute une des deux grandes forces de la vie, celle qui rapproche les êtres, et leur fait voir leur inavouable ressemblance, dans la haine et dans l’amour.

De l’émerveillement à la colère

Spécialiste de Marx et de la phénoménologie, Jean Vioulac poursuit une réflexion sur le destin technique du capitalisme contemporain3. Face à l’automatisation et à la marchandisation du monde, la question se pose en effet du rôle des passions et du rôle de la colère dans l’engagement philosophique.

Jean Vioulac – Savoir quel est le moteur de son engagement philosophique est sans doute l’une des questions les plus difficiles qui soit pour un philosophe : mais il doit être clair au moins qu’il n’y a pas de philosophie sans engagement, et que celui-ci est porté et animé par un puissant motif souterrain. Depuis son inauguration grecque sous la forme de la métaphysique, le philosophe s’est certes présenté en spectateur désintéressé, impartial et impassible. De forts soupçons ont progressivement pesé sur une telle probité et il a bien fallu pour finir reconnaître des motifs moins avouables. Ainsi Nietzsche a constamment répété que la recherche de la vérité elle-même n’était pas sans arrière-pensée et que la quête de cette position de spectateur désintéressé était peut-être intéressée.

La colère peut-elle être cet affect ? Elle ne sera légitime que si ce qu’il y a à penser n’est précisément pas l’ordre des choses ni la loi éternelle de la nature, mais un ordre et une loi face auxquels il serait inadmissible de se résigner et encore plus de se taire, et qu’une certaine violence serait susceptible de surmonter. C’est précisément ici qu’il faut se confronter directement à l’époque qui est la nôtre. L’importance philosophique de Marx tient à ce qu’il retourne d’emblée la métaphysique hégélienne, en montrant l’enracinement de toute abstraction théorique sur la vie concrète de « l’homme en chair et en os, se tenant sur la terre solide et bien ronde ». Un tel retournement conduit d’abord à inverser le rapport qu’établissait Hegel entre les deux modalités de l’avènement contemporain de l’Universel : ce n’est plus la « richesse universelle » qui est un moment interne à l’avènement de l’État, c’est l’inverse ; ce qu’il s’agit de penser n’est donc pas l’empire du droit, mais celui de l’argent, et c’est le Capital qui doit être reconnu comme logique effective du dispositif mondial. Il conduit ensuite et surtout à mettre en évidence que cette domination de l’universalité idéale sur les hommes « en chair et en os » est domination du produit sur son producteur, domination du système des objets sur la communauté des sujets, et que la logique capitaliste n’est autre que le développement systématique d’une perversion ontologique qui emporte la Terre et les hommes dans une spirale de destruction. Le philosophe n’a donc plus à penser l’ordre des choses, mais la loi de leur désordre ; non plus le monde, mais ce qui usurpe sa place ; non plus la vérité, mais une vaste mystification.

Pour quiconque a un minimum de lucidité, le moteur de l’engagement philosophique aujourd’hui ne peut donc plus être l’émerveillement : on n’en est plus aux laudes franciscaines sur la beauté du monde, c’est le moins qu’on puisse dire, et le pape lui-même – pourtant franciscain – s’alarme d’ailleurs dans sa dernière encyclique de « la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons » et constate que désormais « les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec mépris ni ironie ». Si donc le philosophe est aujourd’hui confronté, comme Héraclite avant lui, aux « choses humaines tristes et lamentables » et à « l’embrasement et la ruine de l’univers », c’est pour reconnaître que cette réalité n’est pas un fait de nature, mais l’effet d’un dispositif qui, d’une part, inverse le rapport légitime entre les hommes et leurs produits et qui, d’autre part, est historique, donc transitoire, et appelé à être dépassé. Le philosophe ne doit plus être motivé par la mélancolie, mais bien par la colère.

Légitime colère contre ceux des philosophes qui très platoniquement fuient le réel pour se réfugier dans un colloque séculaire où règnent les cosses vides de concepts morts qui ne sont plus là que pour faire écran avec le monde et où ne sont débattus que des problèmes purement livresques – et ce dans le déni de la perspective très particulière que leur position de classe leur procure sur le réel. Mais colère surtout contre ceux qui, par intérêt ou par niaiserie, décrivent l’ordre capitaliste comme une loi de nature et deviennent ses thuriféraires et ses propagandistes volontaires en présentant son empire comme inéluctable et même désirable. C’est toute cette colère qui transparaît dans ce qu’il y a de pamphlétaire dans l’œuvre de Marx, contre la philosophie dans l’Idéologie allemande, contre les apologistes du libéralisme dans sa critique de l’économie politique.

L’essentiel n’est pas là pourtant. Face à l’ordre capitaliste, la vraie colère n’est pas celle du philosophe, la vraie colère est celle des plus humbles, des exploités, des pauvres et des exclus, de ceux qui souffrent dans leur chair. C’est donc la colère du peuple, et non pas la sienne propre, qui doit motiver le discours du philosophe et fonder son engagement : la philosophie se trouve donc chargée d’une responsabilité éthique, celle précisément de dire cette colère et d’en asseoir la légitimité.

Sans juger

L’alliance paradoxale entre la colère et la raison s’explique par le fait que la colère porte au jugement. L’emportement enveloppe toujours une condamnation qui, dans les grandes colères littéraires du xxe siècle, s’étend parfois au monde moderne pris comme un tout. C’est là tout le risque d’une colère qui se fait écriture : opposer la pureté de l’écrivain au désastre du monde. Philosophe et membre du conseil de rédaction d’Esprit, Camille Riquier évoque ici la manière dont Péguy négocie entre ses colères et l’amour que lui inspire l’humanité jusque dans ses égarements. Grand contempteur de l’argent, mais d’une manière bien différente de Marx, Péguy ne veut pas prendre la place de Dieu en mimant sa « sainte colère ».

Camille Riquier – Ce qui d’abord surprend le lecteur de Charles Péguy est sa colère, tant elle semble inextinguible. « Il est colère4 », dit de lui Jean-Michel Rey qui consacre à sa fureur tout un livre. « Moderne » est l’épithète qui attire à elle sa foudre, et c’est tout un monde, « le monde moderne », que Péguy entend frapper à la tête, tout à fois « le monde bourgeois » et « capitaliste », « le monde politique parlementaire » et le « monde laïc, positiviste et athée5 ». C’est donc bien sa colère qu’on retient et sur laquelle on revient, soit qu’on la rejette comme symptôme d’un esprit malade, celui de Péguy qui aurait ruminé ses propres échecs, soit qu’on l’estime très saine au contraire et qu’on s’en nourrisse soi-même afin d’y puiser une « lecture du monde moderne6 ».

Mais quelle fut la nature véritable de sa colère ? Et est-il si sûr que Péguy ait instruit le procès en jugement du monde moderne comme on l’induit naturellement d’elle ? Il y fut souvent « tenté ». Si « moderne » est le nom dont les modernes revêtent leur orgueil, il doit aussi bien être dans la bouche de Péguy un « mot d’injure ». Mais voilà, il est un mot d’injure, mais surtout pas celui d’un juge ! Si Péguy colère, s’emporte et invective, c’est pour ne pas avoir à juger. Il faut se refuser à dire que la colère ait été toute son âme, ni la « tonalité » sur fond de laquelle son œuvre en prose s’est déployée, ni surtout que la critique qui en procéda ait conduit à un quelconque jugement. Même extralucide, la colère humaine finit avec le temps par s’aveugler et se remplir d’aigreur. Celle de Péguy ne le fut jamais. Il n’est donc pas vrai de dire avec Jean-Michel Rey qu’il y a « chez Péguy une condamnation sans appel du monde moderne, ainsi que de l’histoire, qui lui donne ses lettres de noblesse7 ». Comme Péguy le confiait à son ami Halévy, il a « une horreur invincible du jugement, une peur, une horreur de juger » : « j’ai une telle horreur du jugement que j’aimerais mieux condamner un homme, que de le juger » (OC III, p. 325). Il n’y a pas de plus simple définition de la colère, frapper et discuter ensuite, s’indigner avec chaleur et précipitation, tout plutôt que d’avoir à juger froidement et implacablement. Surtout ne point juger ; « nolite judicare » répète-t-il en citant saint Matthieu (OC VII, p. 1). Si la colère est l’un des visages de la justice de Dieu, elle est aussi le recours, peut-être le dernier, que l’homme a trouvé pour ne pas l’exercer à sa place.

Car aimer mieux condamner sans juger, ce n’est évidemment pas condamner, encore moins irrévocablement. Ce serait là une « attitude du cœur […] criminelle » et « profondément inchrétienne ». Qui d’ailleurs « oserait les condamner », fait-il dire à Clio en parlant des modernes ? Tout en se disant chrétien, ce serait vouloir damner ses frères et renoncer à la vertu d’espérance, si chère à Péguy et qui « est naturellement l’espérance du salut » (OC III, p. 558). Et pourtant telles sont l’erreur et la faute des clercs, des catholiques aussi, d’avoir préféré croire que le monde moderne était un mauvais monde chrétien, submergé sous les péchés, au lieu qu’il est un monde absolument déchristianisé. Ce sont eux qui « geignent », « se plaignent », « maudissent », « calomnient », « se recroquevillent », « bougonnent », « maronnent », « ronchonnent » et « incriminent le siècle ». Pire que d’avoir « mauvaise humeur », ils ont « l’humeur mauvaise » (OC III, p. 698-9). Mais ce sont là de fausses colères, simulées, qui recouvrent au fond des « patiences » anesthésiées, « anesthésiques », et « secrètement orgueilleuses […] d’avoir vaincu la colère » et « l’impatience » (OC III, p. 1294) ; on geint et on cite alors le malheur des temps comme on se plaint du mauvais temps, par habitude, par lassitude et sans grande conviction, – juste pour ne pas laisser prise au coup, une manière de se faire « la peau dure » et de ne plus souffrir. Cette aigreur superficielle n’atteint pas à la pureté de cœur qu’exigerait la colère véritable et qui, même, secrètement travaille contre elle.

Le risque du ressentiment

La colère de Péguy sur laquelle beaucoup se sont arrêtés ne dure qu’autant qu’elle endure, sinon moins, et n’a pas sa fin en elle-même. Il y a déjà eu beaucoup trop de complaisance à répéter les invectives que Péguy avait lancées contre le monde moderne. Le mot de Figaro est déjà beaucoup plus juste : « La colère, chez les bons cœurs, n’est qu’un besoin pressant de pardonner8. »

Pardonner ?

Pour Péguy, tout est une affaire de vie ou de mort, c’est-à-dire une affaire de salut, temporel (socialisme), éternel (christianisme), et temporel et éternel à la fois. Son sérieux vient de là, son inquiétude et son angoisse aussi : ne pas condamner, bien au contraire, sauver. Et Jésus lui-même « n’incrimina, […] n’accusa personne. Il sauva. Il n’incrimina pas le monde. Il sauva le monde » (OC III, p. 701).

Bien pensée, la colère de Péguy procède ainsi de la vertu de charité, très loin de la haine ou de la rancœur que d’aucuns lui supposent ; elle est l’une des expressions de l’amour ; et, quoi qu’on en ait dit, celui-ci touche au fond véritable de son âme, et non pas dans la colère qui en découle. Elle est à l’image de celle du Christ et elle porte sur le même point de discorde qui n’accable personne, mais s’abat toute sur ce poison qui corrompt tout, l’argent :

On chercherait en vain dans les Évangiles trace d’un mépris quelconque : tout y est charité, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus opposé au mépris ; et l’effrayante colère qui court en dessous dans les Évangiles n’est point une colère contre la nature, ni contre l’homme avant la grâce, c’est uniquement une colère contre l’argent, et il faut vraiment qu’on n’ait pas voulu le voir pour que cette réprobation n’ait pas éclaté à tous les yeux.

(OC III, p. 1229)

Par toutes les similitudes qu’il y a entre le monde romain et le monde moderne, Péguy s’emporte de la même colère pour autant qu’il reproche au « moderne » d’avilir ce à quoi il s’accole, dans une sorte de simonie qui rabaisse tout à la puissance de l’Argent. Et sa colère peut être plus grande dans le monde moderne puisque celui-là a l’Argent pour maître absolu, qui règne désormais sans limites sur toutes les autres puissances, puisqu’il a placé l’humanité au centre de sa science et préfère reconstruire le monde plutôt que d’avoir à se confronter à la réalité même.

Sa colère est grande, mais elle est en un sens le masque d’un cœur qui, à un degré plus élevé et en un autre ordre, s’apitoie et continue d’espérer. Aussi le monde moderne s’est-il attribué bien des « attributs de Dieu », peut-être tous ; mais justement son orgueil, fou, est tel que son entreprise « excite beaucoup plus naturellement la pitié qu’elle n’éveille la colère, parce que pour le philosophe elle est, elle apparaît d’une gaucherie véritablement désarmante, d’une simplicité d’âme, au fond d’une innocence toute jeunette, enfin d’une si enfantine vanité scolaire, d’une si puérile et désarmante naïveté que des larmes d’attendrissement vous en tomberaient plutôt des yeux » (OC II, p. 829). Le monde moderne est vieux, pétri d’habitudes qui l’ont endurci, peut-être est-il incorrigible sous certains aspects ; mais il y a aussi quelque chose de naïf et d’enfantin chez les modernes qui les sauve du monde qu’ils ont forgé : ils ne savent pas très bien ce qu’ils disent, ni ce qu’ils font. Et au regard de la foi, de l’espérance et de la charité qu’ils ignorent, les modernes sont ce que furent les païens, « des ignorants ; et par conséquent en un certain sens des innocents et en un certain sens des enfants » (OC II, p. 1376) ; et on ne colère pas contre un enfant sans l’aimer, sans espérer pour lui. Péguy est en colère ? Mais c’est par sa colère qu’alors « il entre dans la dépendance de celui qu’il veut gagner » (OC II, p. 1379).

Sourde révolte

Parce qu’elle fait irruption dans le cœur et submerge d’abord, on croit que la colère ne s’apprend pas, qu’elle nous possède et dépossède, qu’elle est une émotion soudaine qui part comme elle est venue, dépense d’énergie inutile qui s’affaiblit d’elle-même dans sa propre fin, comme si notre propension à la colère devait « se corriger par une discipline intérieure de l’esprit9 ».

Face à la complexité des situations où notre modernité a placé l’homme, celui-ci a pourtant de plus en plus la tentation de céder à la colère. L’homme en colère adopterait une conduite magique et ressemblerait à celui qui, « faute de pouvoir défaire les nœuds des cordes qui l’attachent, se tord en tous sens dans tous ses liens10 ». Mais qui ne voit que, dans cette absence de contenance, ce n’est pas la colère humaine qui prête ses traits anthropomorphiques à la colère divine, qu’elle aurait ainsi faite à son image, mais au contraire la colère divine que l’homme vient alors mimer en s’attribuant là, aussi fictivement qu’orgueilleusement, les moyens de sa puissance. C’est frapper le poste de télévision pour qu’il fonctionne ! On s’aperçoit d’ailleurs que l’homme est un vase trop étroit pour un contenu si noble puisqu’elle est la seule de ses passions qu’il ne peut dissimuler :

La bouche vomit du feu, les yeux laissent échapper du feu, tout le visage est gonflé, les mains s’étendent en gestes désordonnés, les pieds trépignent de manière ridicule et piétinent ceux qui vous retiennent ; on rue, on mord, sans rien qui vous distingue des fous, voire des ânes sauvages11.

Par la colère, l’homme feint d’être un dieu et se met lui-même dans un état d’infériorité proche de celui de l’animal.

État d’infériorité auquel s’ajoute celui de dépendance sitôt que la politique se propose d’entendre les multiples colères et de les faire entrer dans l’espace de la représentation, parce qu’alors elle les énerve de leur force, les apaise en les transformant en autant de demandes et de revendications auxquelles ceux qui gouvernent prétendent répondre sans qu’ils puissent toutefois les satisfaire. C’est la bourgeoisie qui a fait croire au peuple qu’il lui fallait réclamer comme s’il dépendait d’elle qu’on donne ou qu’on reçoive et qu’on mange à sa faim. Elle a surtout tout fait pour lui confisquer ses colères. Alors, même ses plus grands accès ne sont plus que des colères d’enfants, qui crient, trépignent et attendent qu’un autre y pourvoie.

Il y a aujourd’hui beaucoup de rage mais il faut craindre que ce qui caractérise notre vieille civilisation n’est pas la pure et vraie colère – qui est le propre d’une civilisation jeune et forte –, mais bien plutôt ce qui lui succède quand on ne supporte plus d’endurer, voire qu’on n’en est plus capable, l’apathie et l’indifférence, qui sont des résignations et, disons-le, notre manière commune de traverser aveuglément les mille injustices du quotidien. Bien de nos plaintes ne sont que des colères feintes, une manière secrète d’abdiquer et de désamorcer que celles-ci adviennent vraiment. Car il s’en faut de beaucoup pour ressentir quelque chose qui gronde constamment au fond de la poitrine, et nous empêche d’être jamais contents.

« Et pourtant, j’avais dit que je ne cesserais de donner nulle cesse à ma colère12. » Il y va là d’une colère qui n’éclate pas, plutôt d’une sourde révolte qui ne se calme pas, sur fond d’une « inquiète patience13 », très loin des patiences anesthésiques qui sont des paresses déguisées et des moyens de ne pas souffrir. La vraie colère est une patience pénétrée d’impatience, qui patiente parce qu’elle ne peut faire autrement, mais qui, au dedans, combat, se débat et querelle sans cesse. L’inquiétude y est à vif. Alors « patienter, c’est souffrir, et patienter tout de même » (tolerare, pati, tolerare tamen). C’est endurer et en même temps ne pas durer, se manger les sangs comme on entendait dire, ronger son frein comme nous entendons encore dire. L’homme en colère est un homme vaincu mais qui refuse de l’être, et sa colère vient de là, de cette patience impatiente qui s’irrite tout en supportant.

Si nous ne savons plus ce qu’est la colère, et plus encore comment l’endurer au-delà d’elle-même, il nous faut la réapprendre auprès des anciennes humanités, que la colère (orgè) maintenait jeunes ; elle n’était pas émotion superficielle et désordonnée, mais logée dans la poitrine des hommes, c’était le cœur (thumos). On croit qu’on a tout dit quand on a dit que la colère d’Achille (mênis) est divine, mais sa grandeur tient pourtant à ce qu’il est homme et mortel. Zeus lance-foudre frappe au hasard, et entre dieux qui s’ennuient ils détruisent des villes comme des enfants sanglants et capricieux, qui ne savent retenir leur rage. Ainsi Zeus lance à Héra, qui juste avant n’avait pu contenir sa rage dans sa poitrine : « Ne ralentis pas ma colère, mais laisse-moi faire14. » C’est par sa moitié d’homme qu’Achille porte sa mênis à un degré supérieur qui fait de lui l’un des plus beaux exemplaires de l’homme antique : droit et pur. Il faut rappeler que s’il est colère, c’est qu’Achille se retient d’abord de faire la guerre et d’accomplir son destin. Elle vient de la douleur de l’hésitation, du conflit qu’il a avec soi d’être tiraillé entre deux sentiments contraires et tous deux impossibles : abattre Agamemnon ou calmer sa bile. Et sa force est de l’endurer et de la prolonger quand même.

La vraie colère fuit donc tout ressentiment, lequel cherche au contraire le narcotique qui engourdit. Elle est plutôt la substance avec laquelle on fait les héros. Certes, elle fait aussi bien « le fusil chargé15 » et les guerres absurdes, puisqu’on peut mourir pour l’honneur. Mais en cultivant l’aiguillon qui irrite, elle donne de se défier de soi et de se reprendre soi, de lutter contre son intérêt et parfois contre sa propre vie, pour un bien plus haut, la Justice.

Se venger ?

En voulant sortir de la logique du jugement, Péguy pense peut-être à Nietzsche et à son analyse du ressentiment. Puissance de mobilisation, la colère risque de devenir réactive lorsqu’elle ne trouve plus dans le monde que des raisons de nourrir son acrimonie. Spécialiste de Nietzsche et de sa lecture de la modernité16, Dorian Astor revient ici sur le lien entre colère et ressentiment.

Dorian Astor – La colère a ceci de commun avec le ressentiment qu’elle est une réaction à une agression, sous la forme d’affects hostiles à la cause, réelle ou supposée, de la souffrance infligée. Mais le ressentiment se distingue de la colère sous deux aspects : la temporalité et la rationalité de la réaction. Car si le ressentiment est un affect, il est également un calcul : il s’agit, lorsque l’hostilité pour l’agent de notre souffrance bute sur le constat de notre impuissance face à lui, d’éviter la confrontation directe et d’inventer, par le détour d’une intériorisation, un dédommagement imaginaire. Pour cela, il a fallu qu’une évaluation rationnelle ait eu lieu, qui est de l’ordre de la détermination d’une causalité : l’agression dont nous souffrons est une action, elle a donc un agent. Le ressentiment commence par postuler que cet agent était libre d’agir ou de s’abstenir, et puisqu’il ne s’est pas abstenu de me faire souffrir, je peux le rendre responsable de ma souffrance et, donc, l’accuser.

Cette évaluation est, pour Nietzsche, une première falsification : il rejette la notion de libre arbitre ou rapport de causalité libre entre l’agent et l’action. Cette falsification logique se double d’une inversion morale : entre les puissances vitales et les valeurs morales, le rapport se renverse. Une puissance en expansion, dont l’effectuation spontanée était ce par quoi elle se sentait juste et bonne, devient mauvaise et injuste ; la non-effectuation, qui était négativité et impuissance, devient, sous le masque de l’abstention libre, bonne et juste. Le processus d’accusation ou de culpabilisation qui est au cœur du ressentiment est avant tout une vengeance extrêmement efficace : l’agent y perd son innocence, sa « bonne conscience ». Or la mauvaise conscience, on le sait bien, est extrêmement contagieuse, même chez les innocents. Ce sera la grande victoire sacerdotale. Mais surtout, comme tout besoin de vengeance, le ressentiment est un « désir d’engourdir la douleur grâce à l’affect » (la Généalogie de la morale, III, § 15). Le ressentiment est un narcotique, un antalgique.

On voit dès lors ce qui distingue le ressentiment de la colère. La colère ne calcule pas, ne diffère pas, n’intériorise pas et, surtout, évalue fort mal : elle est une décharge pulsionnelle immédiate, à chaud, un contre-déchaînement de puissance qui précède toute évaluation du rapport de force. Nous savons toujours trop tard si notre colère était impuissante ou, au contraire, capable de rééquilibrer ou d’inverser le rapport de force. C’est toujours un pari déraisonnable, une manière de tenter le tout pour le tout. En ce sens, le ressentiment est plus rationnel et, finalement, plus intelligent, plus spirituel, plus raffiné que la colère. C’est pourquoi Nietzsche ne valorise pas spécialement la colère contre le ressentiment. Il y voit une expression primitive, animale, du besoin de châtier :

Se mettre en colère et punir est un présent que nous tenons de l’animalité. L’homme n’aura atteint sa majorité qu’après avoir rendu ce cadeau de naissance aux animaux. […] Un jour, le cœur ne prendra plus sur lui le péché logique qui se cache dans la colère et le châtiment ; un jour, quand la tête et le cœur auront appris à vivre aussi près l’un de l’autre qu’ils se tiennent à distance maintenant.

(le Voyageur et son ombre, § 183)

Nietzsche (comme Freud après lui) n’a cessé de chercher à évaluer le prix que le progrès culturel a fait payer aux pulsions et les formes de résistance que celles-ci ont déployées en réaction. On pourrait dire que la colère est le reliquat d’une résistance sauvage tandis que le ressentiment serait la résistance d’une vie domestiquée. En conséquence, si l’on accepte l’idée que toute culture discipline les pulsions, il me semble difficile d’imaginer une culture exempte de tout ressentiment. Mais il n’y a pas, par définition, de culture de la colère. La colère introduit toujours une rupture soudaine, une remise en jeu hasardeuse des rapports de force. Si le ressentiment peut irriguer de vastes édifices sociaux et axiologiques, la colère ne se rencontre jamais que localement, comme autant de décharges animales qui sont aussi bien des poches de résistance micropolitique dans le champ social.

Si la colère a une quelconque supériorité morale sur le ressentiment, c’est que, en vertu même de son absence de différé et de différence, elle ouvre à une sorte de liberté sans libre arbitre ; elle fait surgir un instant d’indécision pure des rapports de force ; elle lance un coup de dés. La combinaison qui retombera pourra bien être perdante ou gagnante, le geste de colère annule toujours un état de fait, elle affirme le hasard et réintroduit du devenir. En ce sens, le coup d’éclat est de même nature que l’éclat de rire. Parfois même, pendant une seconde, nous ne savons plus si nous devons rire ou nous emporter. La loi d’airain de la causalité est ébranlée pour un instant, personne ne peut mesurer ni les causes ni les conséquences de la colère.

Besoin de punir et exigence de justice

Dorian Astor poursuit l’enquête en évoquant le lien que Nietzsche établit entre la colère, le ressentiment et le désir de châtiment.

Dorian Astor – L’étonnant point de départ de Nietzsche consiste à dire que ce n’est pas le ressentiment qui est à l’origine de la justice punitive. Parce qu’il n’y a jamais aucun lien de causalité nécessaire entre eux, le crime et le châtiment restent incommensurables l’un à l’autre. Le besoin de punir est toujours en excès sur la prétendue balance de la justice. L’histoire des châtiments est celle non seulement des compensations imaginaires, mais des surenchères cruelles, des déchaînements disproportionnés. La pulsion fondamentale est celle qui consiste à vouloir se dédommager d’une souffrance par le plaisir d’en infliger une autre. Mais le dédommagement est déjà un calcul, et toujours un prétexte ; le fond pulsionnel spontané ou pulsion active à l’origine de la justice, c’est la cruauté, réveillée par un autre affect qui ne calcule pas : la colère.

Pour Nietzsche, le ressentiment, calme et vindicatif, ne s’ajoute qu’assez tardivement aux procédures du châtiment, en vertu même de sa temporalité lente et de sa rationalité calculatrice. Nietzsche, avant Foucault, observe comment les systèmes punitifs (du moins en Occident) s’adoucissent avec le temps, s’affranchissent de la colère aveugle ou de la cruauté gratuite pour prendre l’aspect d’un calcul objectif et ainsi fonder un système normé d’équivalences. Mais ce n’est qu’une domestication de la colère. Il y a encore de la cruauté (spiritualisée par le ressentiment) dans un système judiciaire « impartial », dénué de colère envers celui qu’il condamne, mais capable de produire de folles équations – comme celle qui établit par exemple qu’un meurtre vaut vingt ans de prison.

Les appareils administratifs et les procédures technocratiques des sociétés démocratiques ont précisément pour but de réguler et de proportionner toujours davantage, par de subtils différés et rationalisations, la violence pulsionnelle de la domination étatique dans son pouvoir d’imputation. C’est exactement la définition du ressentiment. Ainsi, une fois devenu « monstre froid », l’État trahit encore le ressentiment qui l’anime là où sa colère n’éclate plus. C’est constitutif de l’État comme de la moralité des mœurs. Plus nous sommes moraux, plus nous sommes sensibles aux disproportions d’un châtiment. Et tant mieux. Mais c’est au refoulement de la colère et au ressentiment qui la relaie que nous devons d’être moins cruels.

Le traitement juridique

Antoine Garapon, anthropologue de la justice et directeur de la rédaction d’Esprit, examine le travail des institutions judiciaires dans le traitement de la colère.

Antoine Garapon – La colère offre à la justice à la fois son énergie et sa garantie. Elle lui fournit son énergie à condition d’accepter de se laisser formuler et arbitrer par l’institution judiciaire, alors que ce n’est pas la seule voie qui lui est offerte. La colère peut en effet soit se purger dans l’agôn judiciaire soit, de manière plus radicale, dans le polemos. En Grèce, l’agôn est un échange d’arguments devant la cité rassemblée, alors que le polemos renvoie à la guerre de la Cité contre les barbares qui représentent l’élément non assimilable, qu’il faut renvoyer constamment hors des frontières. La logique du polemos est duelle – c’est l’autre ou c’est moi ; celle de l’agôn, c’est l’autre avec moi devant le tiers de justice. Dans un cas, la colère en appelle à un arbitrage par les fondements de la Cité ; dans l’autre, elle vise à exclure de la Cité l’objet de son ire. Malgré les apparences, l’assignation devant un juge du responsable de sa colère suppose une reconnaissance de ce dernier, attitude qui est à l’opposé du combat pour l’en exclure. Les débats actuels sur la déchéance de la nationalité révèlent bien cette ambivalence.

La colère « agonique » sollicite le pacte commun, le « partage originaire » (Urteil en allemand – qui a donné « ordalie » – veut dire le partage des origines). Le subjectif de la colère particulière en appelle à l’objectivité du droit, c’est-à-dire à l’universel. S’ils n’étaient que désaccords entre pures subjectivités, tous les conflits pourraient s’éteindre par une médiation. Réciproquement, si la colère est trop assurée d’elle-même, elle n’a que faire de la justice. Il peut y avoir une sorte d’arrogance du subjectif dans la colère (comme de l’identité aujourd’hui), qui est contrecarrée par la nécessité, exigée par le tribunal, d’écouter « les raisons de l’adversaire », pour reprendre l’expression de Camus17. Ce que montrent les Euménides, c’est que la justice ne peut être une pure affirmation de son être, de son identité dirait-on aujourd’hui18.

Un autre niveau est découvert par la colère : celui des pulsions réveillées par le spectacle de la violence inadmissible. Le crime excite la passion vengeresse, celle qui veut rendre le mal pour le mal, qui veut répondre au mal subi par le mal agi, qui veut répliquer immédiatement au crime par l’immédiateté du lynchage. Le niveau fondamental rouvert par la colère, c’est donc non seulement celui des fondements du pacte politique, mais aussi celui des pulsions archaïques qui se sentent libérées de leurs brides sociales par la transgression de l’autre. La colère nous fait sortir de nos gonds et nous oblige à renouer avec un registre que nous préférerions éviter. C’est l’expérience que nous faisons aujourd’hui en Occident et en France où nous ne savons comment nous débrouiller avec le retour de l’archaïque, sous sa double forme de la barbarie des tueurs mais aussi d’un passé de haine que nous croyions dépassé. Le surgissement des passions enfouies remet en cause la légitimité de la politesse, entendue comme les formes sociales du commerce entre les hommes. Il ne suffit donc pas de réactiver la délibération ; il faut également désintéresser les passions.

La stratégie des institutions est de mettre en forme la colère plaintive ou punitive, de la déplacer dans les termes du droit en imposant un passage de l’émotion à la formulation. Le premier travail est de formuler la plainte ou l’accusation. La justice impose à la colère de se délocaliser dans le lieu de la justice (agôn a d’abord désigné le lieu de l’assemblée), d’opérer un écart par rapport à elle-même, de passer du cri de la plainte à une demande chiffrée.

L’institution judiciaire propose de répéter les colères par le rite dans le cadre maîtrisé du procès, en espérant que l’artifice calme le vrai. Le rituel satisfait symboliquement la vengeance par le spectacle de l’accusé obligé de se justifier, en même temps qu’il en inhibe l’expérience de l’emprise directe comme dans le polemos. Il refait le trajet de la colère à la paix, du chaos à la parole, du désordre moral à l’ordre ; mais à un ordre qui sortira un peu transformé par ce procès et son résultat (ce que les juristes appellent jurisprudence). Le traitement institutionnel donne à la colère l’occasion de déplacer de manière infinitésimale l’ordre en l’enrichissant d’une solution nouvelle.

C’est en ce sens-là que la colère est aussi une garantie de la justice. « Les Érinyes dorment, le crime les réveille », dit Hegel. Ce que disent les Érinyes, c’est que la violence est toujours là, qu’elle est inéliminable et qu’il faut donc penser la justice avec la violence, par rapport à la violence et non pas de manière clivée. Il s’agit là d’une manière de lier le passé et l’avenir, donc d’entrer dans la compacité du temps politique. Ainsi entendue, la colère et son traitement indiquent une temporalité particulière des démocraties qui n’en ont jamais fini avec le pacte politique qui doit être revisité régulièrement par les scrutins mais aussi à chaque fois que des colères déchirent l’ordre calme du droit. Le temps politique n’est pas seulement linéaire, ou cyclique : il est aussi répétitif en refaisant inlassablement le passage de la violence à la paix, de la pulsion à la délibération. Le traitement institutionnel de la colère donne acte à la fois à un archaïque jamais éliminé et à une modernité jamais totalement acquise. Ce traitement ne consiste pas à éliminer ou refouler la violence, mais à la désintéresser en la retournant contre elle-même. La justice opère ainsi une conjuration permanente de la violence contenue dans la colère, non pas en la répliquant, mais en la convertissant.

Une fois usée par le temps, limée par l’argumentation, apaisée par le verdict, que reste-t-il de la colère ? Probablement le sentiment d’une part insoldable de la colère, qui sera peut-être compensée par le sentiment d’avoir pu non seulement objectiver sa plainte pour la faire triompher, mais aussi d’avoir participé à la recréation permanente de la nation, de l’avoir rendue productive en quelque sorte.

Le problème de l’indignation

La question de la justice est aussi au cœur du problème de l’indignation, sentiment qui appelle une idée de la « dignité » ; ce sentiment fait souvent l’objet d’une valorisation par rapport à la colère ordinaire, jugée plus irrationnelle. Carole Widmaier, philosophe à l’université de Franche-Comté qui interroge l’appropriation politique des discours et des savoirs19, revient ici sur le lien entre colère et indignation.

Carole Widmaier – L’indignation pourrait être vue comme une forme de colère légitime. Elle est certes un sentiment et ne relève donc pas de la rationalité pure, mais, loin de porter sur tout objet, sa possibilité même est impliquée par une distinction – qu’elle soit pensée ou seulement éprouvée – entre ce sur quoi on peut agir et ce sur quoi on ne peut pas agir. L’indignation est alors au principe d’un mouvement de restitution des contraintes de tous ordres (que le colérique ne sait qu’éprouver comme telles) à l’origine qui est la leur. Il n’y a ainsi aucun sens à s’indigner contre la nature, mais il y a un sens à s’indigner contre l’injustice.

Par ailleurs, si une contrainte peut être rapportée à une origine morale, elle est alors éprouvée comme obligation et l’indignation n’est plus possible. En ce sens, l’indignation est la colère en tant qu’elle porte sur l’écart entre ce dont on fait l’expérience, directement ou indirectement, et ce que l’on ressent comme devant être. Autant la colère est pure émotion, autant l’indignation porte en elle-même des limites. Celles-ci peuvent précéder, au titre de raison constitutive, l’épreuve de l’indignation, mais elles peuvent aussi être élaborées à partir de l’indignation qui, si elle a un objet légitime, exige cependant que cet objet soit encore rationnellement construit : qu’est-ce qui précisément, dans ce qui m’indigne, m’indigne ? L’indignation est un appel à la communauté par la mise en relation d’émotions éprouvées d’abord individuellement.

Mais il faut bien différencier entre une indignation ponctuelle, devant un fait injuste singulier, en attente de rectification, et l’indignation durable devant un état de fait injuste, qui nous fait éprouver une injustice que nous pourrions qualifier de systémique. C’est à cet endroit que l’indignation tend vers le politique. Lorsque Stéphane Hessel nous a enjoints, avec le succès que l’on sait, à nous indigner, il s’agissait de réveiller, en deçà de notre implication citoyenne, en deçà même de notre capacité à être concernés, notre pure capacité à être affectés. La question est ouverte de savoir si cette capacité peut être retrouvée par une décision ou par une injonction. Il reste que si ce simple mot d’ordre fait écho, c’est parce que nous voyons bien l’indignation comme un signe d’humanité, le signe d’une humanité qui n’est pas composée d’individus séparés les uns des autres, mais qui est essentiellement pluralité d’êtres singuliers dont la vie est une vie réelle, et une vie en relation. Il dit la nécessité de multiples appropriations de la réalité politique.

À l’opposé, l’hyper-rationalisation est l’une des formes contemporaines de l’escapisme. L’indignation est alors le signe que nous sommes encore capables de souffrir dans les conditions de l’absence de monde, à distance des stratégies de l’adaptation, valorisées par la société à travers l’exigence de flexibilité, qui ouvre la voie à des types sans cesse renouvelés d’aliénation. S’indigner, c’est donc déjà, au moins, signaler que l’on n’est pas insensible, et affirmer, selon une modalité infrarationnelle, que la réalité politique n’est pas de l’ordre de la nécessité, mais de la contingence : c’est débuter une réappropriation de la contingence, et donc de l’événementialité du vivre-ensemble.

Cette épreuve peut naître de l’action collective, mais elle ne trouve pas son origine dans l’indignation. Nous voyons bien en effet le risque inhérent à l’indignation : c’est celui de sa pure répétition, ce que nous pourrions appeler sa tendance névrotique inhérente. Paradoxalement la colère, même si elle est toujours d’abord impuissance, devient alors, dans l’autre grande dimension qui est la sienne, une ressource de dépassement et de sortie de soi. Son extériorité primordiale fait d’elle une passion davantage tournée vers le monde. L’image qui vient à l’esprit est ici nietzschéenne : la colère est la passion du lion, qui se débarrasse du trop-plein de la conscience névrosée. L’indignation est peut-être une passion trop douce et domesticable pour permettre de changer les choses. Le refus exprimé dans la colère a l’avantage de n’être pas fondé sur des motifs exclusivement moraux. Si l’indignation procède du constat de l’immoralité du système, elle tend à rester enfermée dans le domaine moral et peine à entrer en politique.

À l’épreuve de la violence

Le chaud et le froid

Docteur en histoire et en sciences politiques, directeur de recherche à l’Ehess, Hamit Bozarslan a récemment rejoint le conseil de rédaction d’Esprit. Fin connaisseur du Moyen-Orient et de Ibn Khaldûn, il est sensible aux questions de la violence et des minorités. Il s’interroge ici sur les rapports entre la colère et la violence.

Hamit Bozarslan – En 1993, à un moment où la question de la violence intéressait encore peu de chercheurs, le politiste Philippe Braud évoquait une forme non instrumentale de violence, marquée par la colère. La colère est

comme un acting-out destructeur provoqué par une décharge d’agressivité. C’est donc le lien qu’elle entretient avec cette « disposition » psychologique qui lui confère son dynamisme propre, notamment dans son mode de surgissement et d’épuisement20.

Comme on peut le saisir à l’observation des scènes révolutionnaires de l’Iran de 1979, la colère peut effectivement amplifier une insurrection en lui apportant un précieux élément de cohésion et d’endurance face à la répression. À l’inverse, si le massacre du boulevard des Capucines à Paris fut bien à l’origine de la révolution de février 1848, celle-ci ne prit une dimension violente qu’en juin de la même année. De même, dans le monde arabe de 2011-2012, les foules gigantesques mobilisées à la faveur des fameux « vendredis de colère », évitèrent, à quelques exceptions près, le passage à la violence, et certaines adoptèrent le mot d’ordre « la paix » (silmiyah ! silmiyah !).

Le lien entre la colère et la violence émeutière n’est donc pas d’ordre causal mais « situationnel », déterminé par des facteurs qui ne relèvent pas nécessairement de la « psychologie des foules ». D’autres variables doivent être prises en compte, parmi lesquelles les réponses répressives du pouvoir, sa syntaxe stigmatisant ses victimes, la densité émotionnelle du moment contestataire imposant la tyrannie du présent au détriment de la réévaluation critique du passé et de la projection de soi dans l’avenir, les régimes de subjectivité sombres exigeant vengeance et réparation.

La colère, dans son irruption et ses expressions immédiates, et la violence, dans son organisation et les formes qu’elle peut prendre dans la durée, relèvent de deux registres distincts, qu’on pourrait qualifier de « chaud » et de « froid ».

En contraste avec les sentiments d’injustice et d’indignation, voire avec le désir de vengeance, la colère relève d’une certaine instantanéité et ne peut déboucher sur la violence qu’à condition de s’institutionnaliser, en d’autres termes se libérer de ce qui la caractérise en tant que colère. Même lorsqu’elle est habitée par un désir de vengeance, la violence doit en effet être pensée, méditée, dotée de « capitaux » organisationnels et axiologiques, qui ne peuvent être offerts par la seule colère. De même, une violence qui s’ancre dans la durée sous forme de guérilla urbaine ou de maquis ne peut gagner de viabilité que si elle assume ses propres métamorphoses et contradictions.

Par conséquent, contrairement à un avis largement partagé, la violence mise au service d’une cause ou visant à transformer les rapports de pouvoir ne peut se permettre d’être chaude ; elle se doit, au contraire, d’être rationnelle et froide. Contrairement à la colère, la violence ne peut interpeller l’histoire, la philosophie et la sociologie politiques que par ses effets transformateurs. Comme le virent, à quelques siècles de distance, Ibn Khaldûn21 et Hannah Arendt22, une violence qui ne vise pas à changer l’ordre du monde ne peut qu’être stérile.

En revanche, à l’instar des attentats suicides qui se comptent par milliers depuis le début des années 2000 dans le monde musulman, certaines autres formes de violence ne visent pas à transformer le temps, l’espace et les rapports d’altérité qui leur sont consubstantiels, mais bien à les anéantir. Conçue, y compris dans son « esthétique » soigneusement pensée pour signifier le retour de la mort dans la cité23, la violence auto-sacrificielle correspond à une situation limite24. Une telle violence ne substitue pas seulement une « uchronie » et une « utopie » au temps et à l’espace terrestres, mais finit par se détruire elle-même comme concept ou, dans certains cas, comme fait social pertinent25. Il n’y a pas de doute qu’elle exerce des effets considérables sur les sociétés qu’elle prive potentiellement de tout repère et de tout lien de confiance. D’un autre côté, aussi meurtrier soit-il, chaque acte finit par se transformer en un fait divers, poussé dans la pénombre par un nouvel acte.

Hannah Arendt attirait déjà notre attention sur des situations exceptionnelles où « toute personne qui hier encore passait pour “grande” […] sombre dans l’oubli et, si le mouvement continue sur sa lancée, doit même nécessairement sombrer dans l’oubli26 ». Ce rythme effréné interdit la construction d’une mémoire collective autour d’un nombre limité de repères.

Le paroxysme de la violence

Cette violence relèverait-elle de la colère ? Si la colère y joue un rôle, c’est à condition de se faire froide et imposer le sacrifice programmé de soi en préalable de l’acte sacrificiel d’autrui. Dans nombre de cas étudiés, en effet, le passage à l’acte auto-sacrificiel a lieu dans un laps de temps parfaitement maîtrisé. Dense, s’étalant parfois seulement sur quelques mois, le processus implique presque invariablement une rupture avec l’ordre terrestre, une purification du corps, une quête de régénérescence dans et par la mort. Les auteurs de cette forme de violence, dont la pluralité de profils sociologiques interdit toute analyse exclusive en termes d’origine, de classe, de socialisation, de génération, voire de genre, peuvent survivre durant de longs mois comme dead men/women walking, sans fléchir.

Une telle configuration, qui combine une violence refroidie supprimant le terrestre et une colère refroidie à même de répondre aux exigences de cette destruction, peut être définie comme paroxystique. Or, si le paroxysme de la violence révèle assurément la crise du sens qui tourmente l’ordre terrestre, elle marque aussi la fin de la violence qui est capable de le défier, comme cela avait été le cas des contestations de gauche des années 1950-1970, voire islamistes des années 1980. De manière analogue, le paroxysme de la colère détruit la colère comme situation et sentiment pour lui interdire des modes d’action constructifs. En se privant de toute pertinence terrestre, ce type de configuration s’interdit aussi toute délivrance terrestre. Même la construction rationnelle d’un État, exercice auquel se livre l’État islamique depuis mi-2013, ne trouve sa légitimité que dans l’horizon eschatologique qu’elle se fixe.

C’est surtout en rapport avec ces formes de violence que les commentaires de Hannah Arendt décrivent crûment les impasses auxquelles nous faisons plus que jamais face :

La question qui se pose est que la violence elle-même est incapable de parole, et non seulement que la pensée est impuissante face à la violence. C’est en raison de ce mutisme que la théorie politique n’a que peu de chose à dire sur le phénomène de la violence dont elle se voit bien forcée de confier l’étude aux techniciens27.

  • 1.

    Dans sa préface à Homère, Iliade, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1975, p. 30.

  • 2.

    Nicole Loraux, la Voix endeuillée, Essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 1999.

  • 3.

    Voir en dernier lieu, Jean Vioulac, Science et révolution. Recherches sur Marx, Husserl et la phénoménologie, Paris, Puf, 2015.

  • 4.

    Jean-Michel Rey, Colère de Péguy, Paris, Hachette, 1987, p. 9.

  • 5.

    Charles Péguy, De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle [1907], dans Œuvres en prose complètes (désormais OC) II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 699-700.

  • 6.

    Alain Finkielkraut, le Mécontemporain. Péguy, lecteur du monde moderne, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1999.

  • 7.

    J.-M. Rey, Colère de Péguy, op. cit., p. 62.

  • 8.

    Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, la Mère coupable, acte IV, scène xviii, dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 662.

  • 9.

    Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, trad. Alain Renaut, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 229.

  • 10.

    Jean-Paul Sartre, Esquisse d’une théorie des émotions, Paris, Le Livre de poche, 1995, p. 49, 79 et 51.

  • 11.

    Saint Jean Chrysostome, Homélie, 4, 5.

  • 12.

    Homère, Iliade, chant XVI, trad. Mario Meunier, Paris, Livre de Poche, 1956, p. 362.

  • 13.

    Philippe Grosos, l’Inquiète Patience, Chatou, La Transparence, 2004, p. 103 sq.

  • 14.

    Homère, Iliade, chant IV, op. cit., p. 115.

  • 15.

    Alain, Mars ou la Guerre jugée, dans les Passions et la Sagesse, Paris, « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, p. 571.

  • 16.

    Dorian Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2014.

  • 17.

    L’Express du 28 octobre 1955, repris dans Albert Camus, Chroniques algériennes (1939-1958), Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2002.

  • 18.

    Voir Pierre Judet de La Combe, l’Avenir des Anciens. Oser lire les Grecs et les Latins, Paris, Albin Michel, 2016, et la recension dans ce numéro, p. 298.

  • 19.

    Carole Widmaier, Fin de la philosophie politique ? Hannah Arendt contre Leo Strauss, Paris, Cnrs Éditions, 2012.

  • 20.

    Philippe Braud, « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits, no 09-10, printemps-été 1993 (http://conflits.revues.org/406, mis en ligne le 13 mars 2006, consulté le 24 janvier 2016).

  • 21.

    Pour Ibn Khaldûn (1332-1406), la guerre, terme qui ne se dissocie pas dans son vocabulaire de la violence, est injuste et « génératrice de désordre » si elle naît de la jalousie ou de l’hostilité entre groupes, mais juste si elle est mue par le « zèle pour la cause de Dieu, de la religion » ou par le souci de servir un État ou la volonté d’en créer un nouveau. Voir Ibn Khaldûn, le Livre des Exemples I, Paris, Gallimard, 2002, p. 589.

  • 22.

    Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995.

  • 23.

    Jean Baudrillard, l’Esprit du terrorisme, Paris, Galilée, 2002.

  • 24.

    Gilles Bataillon et Denis Merklen (sous la dir. de), l’Expérience des situations limites, Paris, Karthala, 2009.

  • 25.

    Hamit Bozarslan, « Quand la violence domine tout mais ne tranche rien : réflexions sur la violence, la cruauté et la Cité », Rue Descartes, no 85-86, 2015, p. 19-35.

  • 26.

    H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, op. cit., p. 47.

  • 27.

    H. Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967, p. 21.

VIOULAC Jean

Olivier Abel

Professeur de philosophie éthique à l’Institut Protestant de Théologie-Montpellier, après avoir enseigné au Tchad et à Istanbul, puis à Paris de 1984 à 2014, où il a créé le Fonds Ricœur. Il a notamment écrit sur la philosophie morale et politique de Calvin, Milton et Bayle et publié récemment Le vertige de l’Europe, Genève, Labor et Fides, 2019.…

Dorian Astor

Philosophe et écrivain, Dorian Astor est notamment l’auteur de Nietzsche. La détresse du présent (Gallimard, 2014).

Hamit Bozarslan

Directeur d'études à l'Ehess, il est notamment l’auteur de l'Histoire de la Turquie de l'Empire à nos jours (Tallandier, 2015) et de Révolution et état de violence. Moyen-Orient 2011-2015 (Cnrs, 2015). Il est membre du Conseil de rédaction d'Esprit. 

Antoine Garapon

Magistrat, juge pour enfants, il a fondé l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ), où il observe les mutations de la place du droit dans nos sociétés. Il anime sur France culture une émission consacrée à la pensée juridique, « Le Bien commun ». Il a développé sous le même nom une collection d'ouvrages, aux éditions Michalon, qui permettent de présenter des auteurs qui, sans être…

Camille Riquier

Camille Riquier, agrégé et docteur en philosophie, est maître de conférence et doyen de la Faculté de philosophie à l’Institut catholique de Paris. Il est notamment l'auteur de Nous ne savons plus croire (Desclée de Brouwer, 2020). 

Carole Widmaier

Professeure agrégée de philosophie à l’université de Franche-Comté, elle a notamment traduit et édité Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? (Seuil,2016).

Dans le même numéro

Colères

Pour son numéro double de mars-avril, la revue consacre le dossier central à la question des colères. Coordonné par Michaël Fœssel, cet ensemble original de textes pose le diagnostic de sociétés irascibles, met les exaspérations à l’épreuve de l’écriture et se fait la chambre d’écho d’une passion pour la justice. Également au sommaire de ce numéro, un article de l’historienne Natalie Zemon Davis sur Michel de Certeau, qui reste pour le pape François « le plus grand théologien pour aujourd’hui », ainsi que nos rubriques « À plusieurs voix », « Cultures » et « Librairie ».