Le puzzle postmétaphysique de Habermas
Le dossier d’août-septembre 2015 de la revue Esprit consacré à Habermas présentait celui-ci comme « le dernier philosophe ». Non qu’il ne pût plus y avoir de philosophie après Habermas, mais plutôt de moins en moins de figures de philosophes qui prétendent embrasser dans une œuvre l’esprit de leur époque : la recherche philosophique s’est entre-temps pluralisée et est devenue une œuvre collective. Que Habermas puisse figurer parmi ces philosophes, c’est ce que Jean-Marc Durand-Gasselin montre bien dans son dernier ouvrage, qui produit une synthèse très convaincante de l’œuvre foisonnante du théoricien de la seconde génération de l’école de Francfort, validée par Habermas lui-même.
Chez Habermas, le thème de la pensée « postmétaphysique » dénote la volonté de faire un pas de côté par rapport à la tradition philosophique allemande dominante, qui aurait pour vocation, de manière un peu grandiloquente, de saisir l’absolu. Cette tradition favoriserait la posture du philosophe seul face aux malheurs du monde et capable d’assigner leurs places aux différents savoirs, posture dont Heidegger serait l’épitomé. Au contraire, l’attitude postmétaphysique consiste à justement renoncer à l’absolu et à accepter la finitude et la faillibilité du discours philosophique. Cette renonciation est une manière de prendre acte de la spécialisation progressive des différentes formes de savoir propre au monde moderne : la ph