
Le collectif écologique
Face à la dégradation généralisée de l’environnement, des mouvements collectifs peinent encore à émerger de façon décisive. L’impuissance de Nicolas Hulot lorsqu’il était au gouvernement français était en partie due à l’absence d’un mouvement social pour soutenir ses initiatives. Certes, une minorité active (associations, Ong, militants et citoyens tentant de changer leurs modes de vie) joue la mouche de coche de la majorité, comme le montrent les marches pour le climat actuelles, déterminées mais encore peu nombreuses. Mais cette majorité demeure passive, à cause de la difficulté de coordonner les actions des individus séparés : une action individuelle n’aura en effet que peu d’effet global sans qu’elle soit coordonnée à celle des autres. De plus, les luttes de la minorité agissante font face à un contre-mouvement, principalement mené par les acteurs économiques dont les profits sont menacés par les projets de l’écologie politique.
La cause écologique nous oblige à reconsidérer l’idée que nous nous faisons du collectif. Les dommages que nous infligeons à notre habitat impliquent de transformer notre conception des êtres qui ont potentiellement droit à la parole. En effet, la grande absente de notre débat public reste la nature. Les animaux, plantes et écosystèmes ne peuvent certes pas parler mais ils peuvent communiquer au sens de la diffusion de signes : les produits chimiques rejetés dans nos rivières nous reviennent sous forme de cancer et les néonicotinoïdes que nous dispersons dans nos cultures détruisent les abeilles, insectes pollinisateurs, qui garantissent leur pérennité.
La cause écologique
nous oblige à reconsidérer l’idée que nous nous faisons du collectif.
Or, si les êtres humains vivent en interdépendance avec les autres vivants, il convient de les préserver pour nous préserver. Même avec des prédateurs comme les loups, une coexistence est possible, à condition d’employer des moyens de communication adaptés[1]. Cette coexistence requiert une transformation profonde de nos catégories de pensée : nous séparons la nature et la culture, et notre droit réduit les animaux à des choses dont la propriété permet d’user et d’abuser. Mais nous savons aujourd’hui que la distance qui sépare l’être humain de l’animal (voire de la plante) est plus de degré que de nature. Il convient donc de s’inspirer des sociétés qui, comme les Achuar d’Amazonie, voient dans les animaux qu’elles chassent des personnes, avec qui on peut entrer en lien de parenté et qu’il faut respecter, sur fond de co-dépendance[2].
Le problème écologique nous appelle donc à inclure les non-humains dans la collectivité que nous formons, en leur portant attention et en laissant une place à toutes les voix, certes humaines, qui mettent en avant les intérêts spécifiques de la nature. Divers textes juridiques ont établi des modalités diverses de prise en compte des nécessités environnementales[3]. Mais ce droit demeure en grande partie inscrit dans une forme de pensée selon laquelle la nature est quelque chose d’externe à l’homme qu’il faut protéger ; et la situation actuelle montre que ces protections sont dérisoires. L’écologie est la rationalité (logos) de l’habitation (oikos). Elle peut donc être rejointe par les pensées socialistes. Le socialisme est une écologie de l’humain, la recherche d’une façon rationnelle d’organiser l’habitation collective, dépassant la rationalité individuelle qui est la seule valable pour le libéralisme[4] et, peut-on avancer, dépassant l’humain pour s’élargir au non-humain.
Peut-on atteindre cet objectif sans violence ? Peut-on éviter une « dictature verte » ? L’usage de la violence intervient souvent, chez le dominant, à la suite d’un déséquilibre du rapport de force ou bien, chez le dominé, d’une impuissance à le transformer. Il n’a donc rien de nécessaire dans un processus de changement radical, mais dépend des circonstances. Il est encore temps de prendre les décisions nécessaires sans avoir à les imposer par la force et en prenant le temps de la délibération : des moyens légaux, appuyés par un mouvement social puissant, peuvent conduire à une organisation sociale qui prenne la nature en considération.
[1] - Voir Baptiste Morizot, Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Marseille, Wildproject, 2016 et mon compte rendu dans Esprit, septembre 2016.
[2] - Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
[3] - Des traités de régulation de la chasse à la baleine (1946) jusqu’à l’Accord de Paris (2017), en passant par le traité de Rio (1975) et la charte de l’environnement (2004).
[4] - Félix Guattari, Les Trois Écologies, Paris, Galilée, 1989.