
Les origines cybernétiques du management contemporain de Baptiste Rappin
Baptiste Rappin relève la rupture qu’opère la cybernétique avec la métaphysique : une réorientation de la transcendance vers l’immanence. Faut-il comprendre que cette « rationalité », qui permit de sortir du religieux, introduit un nouveau bouclage, un nouveau contrôle, à travers la convergence de la « fonction-objectif » ? Il s’agit en tout cas d’adhérer à une « nouvelle conception de l’histoire, progressiste, messianique et eschatologique ».
Dans cette compilation d’articles, Baptiste Rappin nous entraîne dans la salle des machines du capitalisme. Il montre que le management stratégique, la gestion de projet, le contrôle de gestion, les systèmes d’information, le coaching et la conduite du changement « se sont entièrement moulés dans la matrice cybernétique ». C’est un peu la pièce manquante du puzzle, puisque l’on connaissait le tropisme cybernétique des sciences dures et de la gouvernance. Les participants aux conférences Macy (1942-1953) voulaient en effet établir une science totale, capable d’infuser toutes les disciplines.
Pour comprendre la cybernétique, Baptiste Rappin fait un détour par l’informatique. Pour qu’une « science de l’information » soit possible, il faut que n’importe quelle signification soit transmissible, donc consentir à une « irréversible coupure entre vérité matérielle et vérité formelle ». La critique du capitalisme se déplace alors : « En tant que formalisme logico-symbolique, le management perd autant de vue la réalité éprouvée du travail que son sens. » Et nous sommes nous-mêmes cybernétiques, améliorés par le coaching, le développement personnel et l’hypnose. Nous pouvons nous augmenter, réguler et normaliser nos pensées et nos actions, acquérir notre « compatibilité existentielle ». Nous sommes désormais un rouage de la grande machine.
Baptiste Rappin relève la rupture qu’opère la cybernétique avec la métaphysique : une réorientation de la transcendance vers l’immanence. Faut-il comprendre que cette « rationalité », qui permit de sortir du religieux, introduit un nouveau bouclage, un nouveau contrôle, à travers la convergence de la « fonction-objectif » ? Il s’agit en tout cas d’adhérer à une « nouvelle conception de l’histoire, progressiste, messianique et eschatologique ». Pas si nouvelle, puisque nous suivons, avec les cybernéticiens, Joachim de Flore et le Maharal de Prague pour échapper à l’entropie (au désordre) et parvenir à la réparation, point de fuite inatteignable mais toujours proche d’un dernier pas : « Tout comme Dieu, l’intelligence collective immanente n’a pas de cause matérielle, est à elle-même sa cause finale, est à elle-même sa cause efficiente, est à elle-même sa cause formelle. »
L’étude de Baptiste Rappin en appelle alors une autre, qui ferait comprendre la volonté des Modernes : dans un monde sans transcendance, seuls les dieux Arbitraire et Contingence ont pu déterminer la finalité poursuivie par le bouclage cybernétique. Mais le philosophe, ne regardant que la technique, ne porte pas ici le fer et persiste à distinguer les modèles cybernétique et bureaucratique. Or que resterait-il si nous devions nous passer, non seulement de la science, mais aussi de la gouvernance ?