
Apaiser Hitler de Tim Bouverie
Trad. par Séverine Weiss
La politique d’apaisement (appeasement) exprime le désir de la Grande-Bretagne et, à un moindre titre, de la France, dans les années qui suivirent la Grande Guerre, d’éviter un nouveau conflit : elle fut le souhait le mieux partagé en Europe. C’est sur ce sentiment que s’appuyaient les dirigeants des vieilles démocraties, en fermant les yeux sur les multiples signes du réarmement allemand, apparus sitôt le Führer devenu chancelier. Le « Plus jamais ça ! » et la « der des der » résonneront fortement et longtemps dans les oreilles des Européens : une opinion générale, puissamment relayée par les associations d’anciens combattants, qu’Adolf Hitler se complaisait à endormir sur ses réelles intentions, déclarant sournoisement ne vouloir qu’obtenir la parité avec les autres puissances européennes.
L’étude serrée de Tim Bouverie, diplômé d’Oxford, auteur de documentaires historiques et politiques, porte essentiellement sur la classe politique britannique, bien que les figures d’Édouard Daladier ou de son ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet apparaissent de-ci de-là. Sans entrer dans le détail des événements, émaillés de nombreuses intrigues, disons que la politique du Cabinet de Londres ne fut qu’une suite de renoncements. En 1935, il adresse quelques platitudes moralisantes aux Italiens concernant l’intégrité de l’Éthiopie. L’empire britannique empêche la tard-venue Italie de posséder à son tour des colonies, ce qui a tout simplement poussé Mussolini dans les bras de Hitler, dont il se méfiait jusque-là. En mars 1936, ni Londres ni Paris ne font quoi que ce soit pour empêcher la remilitarisation de la rive gauche du Rhin et en repousser les 22 000 soldats allemands, alors qu’ils en ont alors les moyens. Quand la guerre civile espagnole éclate, la Grande-Bretagne a signé un pacte de non-intervention, qu’elle fut la seule à respecter avec la France. En 1938, après le « lâche soulagement » de Munich, rien n’est entrepris pour empêcher le morcellement de la Tchécoslovaquie.
Cette politique d’apaisement repose sur quatre arguments : étant donné l’état alarmant du réarmement britannique, ni la Grande-Bretagne ni la France ne sont prêtes à faire la guerre avant l’automne 1939. Or Tim Bouverie montre que c’est surtout après Munich que la Wehrmacht monte en puissance. Le déclenchement de la guerre, avance-t-on, aurait divisé l’opinion publique et très probablement l’empire britannique. De plus, ce n’est qu’avec l’invasion de la Tchécoslovaquie, en mars 1939, que Hitler a prouvé qu’on ne peut pas lui faire confiance. Mais c’est sur le dernier argument que repose la politique d’apaisement : tenter d’éviter les horreurs d’une nouvelle guerre mondiale en faisant des concessions à l’Allemagne nazie est après tout une politique raisonnable qui vaut la peine d’être essayée. Le malheur est qu’elle a échoué, avec toutes ses conséquences tragiques. En dehors de quelques personnalités isolées dont Winston Churchill, aucun dirigeant britannique n’a perçu « la nature du monstre » qu’ils auront à affronter. Ils se conduisent comme le petit enfant prenant le loup pour un agneau. Pourtant, dès 1933, grâce à une lecture attentive de Mein Kampf, l’ambassadeur britannique à Berlin, sir Horace Rumbold, peut avertir le gouvernement britannique de l’idéologie agressive et expansionniste du nouveau chancelier, mais sa dépêche en 5 000 mots ne connaît pas la postérité du fameux télégramme de George Kennan qui, en 1947, jeta les bases de la politique d’endiguement que menèrent les États-Unis vis-à-vis de l’Union soviétique durant un demi-siècle.
Ce n’est qu’après 1945 que les prétendues leçons de cette politique d’apaisement ont été invoquées par divers historiens et experts pour justifier une série d’interventions étrangères – en Corée, au Vietnam, à Suez, à Cuba, aux Malouines, au Kosovo et par deux fois en Irak. Inversement, toute tentative d’accord avec un ancien adversaire est systématiquement comparée aux accords de Munich de 1938. Les conservateurs américains n’ont-ils pas brandi le spectre de Neville Chamberlain pour fustiger l’accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015 ? Aujourd’hui, le concept d’apaisement connaît un certain regain d’intérêt concernant l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie. Mais peut-on comparer ces époques ? En tout cas, la lecture d’Apaiser Hitler devrait nous permettre de mieux répondre aux dilemmes de notre temps.